Depuis plus d’un an, ils expriment leur colère sur les routes. Si les agriculteurs se sont mobilisés pour réclamer de meilleurs revenus et la fin de l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Bolivie), il existe de nombreuses divergences au sein de la profession. L’une de ces visions de l’agriculture pourrait bien s’imposer et obtenir le contrôle des chambres d’agriculture, dont les élections se tiennent jusqu’au 31 janvier. De quoi orienter la politique agricole du pays et peser dans les débats avec le gouvernement.
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2,2 millions de personnes du monde agricole (chefs d’exploitation, salariés agricoles, retraités…) sont ainsi appelées à choisir quels syndicats contrôleront les 102 chambres d’agriculture départementales, interdépartementales, régionales et nationale. Trois principaux syndicats agricoles défendent des visions radicalement différentes de l’agriculture : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), majoritaire et productiviste ; la Coordination rurale (CR), aux valeurs compatibles avec celles de l’extrême droite ; et la Confédération paysanne, classée à gauche.
Transmission des fermes, revenus, pesticides, accords de libre-échange… Reporterre fait le point sur les positions des trois principaux syndicats.
La transmission des fermes
C’est l’un des principaux défis pour le monde agricole dans les années à venir. En 2020, 43 % des agriculteurs avaient plus de 55 ans. Parmi eux, plus d’un tiers n’avait aucune idée de l’avenir de leur exploitation. Qui pour les remplacer ? Le nombre d’agriculteurs ne cesse de décliner : ils étaient 2,5 millions en 1955, et 496 000 en 2020. Parallèlement, les fermes ont grossi pour atteindre 69 hectares en moyenne en 2020, contre 55 hectares en 2010.
C’est pourquoi la priorité de la Confédération paysanne est de lutter contre l’accaparement du foncier et l’extension des fermes existantes afin de favoriser l’installation de nouveaux professionnels. Le syndicat appelle ainsi à « une gouvernance démocratique et transparente des Safer » (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) — ces organismes ayant un droit de regard sur la vente des terres agricoles et des fermes — et une « véritable loi foncière pour préserver et répartir les terres agricoles ». Il souhaite avantager fiscalement les ventes de biens à destination de l’installation plutôt que de l’agrandissement d’autres fermes.
De son côté, la Coordination rurale s’inquiète aussi « du phénomène d’agrandissement des exploitations qui les rend de fait difficilement transmissibles » et déplore la façon dont fonctionnent les Safer, toutes contrôlées par la FNSEA. Pour faciliter les transmissions de fermes, elle demande une réduction d’impôts pour les cédants qui vendent leur exploitation à un jeune agriculteur.
Pour la FNSEA, la solution passe aussi par des mesures fiscales qui incitent les agriculteurs à transmettre plus tôt leur exploitation. Le syndicat productiviste plaide également pour moderniser les cursus de formation, « notamment en développant les compétences managériales et entrepreneuriales ». Sur la question de l’accaparement du foncier par les plus grosses exploitations, la FNSEA reste muette.
Le revenu des agriculteurs
Là encore, le constat est le même : tous les syndicats défendent une meilleure rémunération des agriculteurs. Selon l’Insee, en 2020, le revenu médian des ménages agricoles était de 1 900 euros net par mois, une somme qui intègre également le salaire du conjoint ou de la conjointe et les entrées d’argent liées à la location des terres. Dans le détail, les inégalités de revenus au sein de la profession sont très fortes : le taux de pauvreté [1] atteint par exemple 25 % pour les maraîchers et 11,5 % pour les viticulteurs.
Lors du débat organisé sur la chaîne LCP le 13 janvier, Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, a défendu des prix minimums garantis afin de couvrir les coûts de production, la main-d’œuvre, les charges et la protection sociale. Cela doit être assorti d’une répartition des volumes, « sinon les gros [producteurs] vont tout prendre ». En outre, elle estime que la loi Egalim, qui prévoit depuis 2018 une fourchette de prix en dessous duquel un acheteur ne peut pas vendre, est insuffisante, la loi ne s’appliquant « que sur la base du volontariat ».
Sans se positionner clairement sur les prix planchers, Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, a elle estimé lors du débat qu’il fallait agir sur deux leviers : les prix et les charges. Elle demande une loi de moralisation des coopératives pour « que tous les dividendes issus de filiales privées appartenant à nos coopératives reviennent aux agriculteurs ». Elle plaide aussi pour l’allègement des charges à travers notamment un bouclier énergétique.
Opposé aux prix planchers, Arnaud Rousseau, porte-parole de la FNSEA, a demandé plus de transparence et de rigueur dans l’application de la loi Egalim. Le syndicat réclame aussi la prise en compte des coûts de production dans les contrats pour déterminer les prix des produits agricoles.
L’écologie
C’est sans doute sur ce thème que les positions divergent le plus. Sur les pesticides, la Confédération paysanne exige l’interdiction immédiate des produits les plus dangereux, classés comme cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) et perturbateurs endocriniens (PE). Pour sortir des pesticides, le syndicat classé à gauche veut encourager la recherche afin de développer les alternatives, et appelle à un changement de modèle pour en finir avec la « compétition acharnée ».
Côté bio, la Confédération paysanne demande davantage de soutien financier à la filière, et un respect de l’objectif d’Egalim, visant 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective. Opposée à la simplification des normes environnementales, elle lutte aussi contre les mégabassines.
Anti-écolo, la Coordination rurale est notamment opposée au Pacte vert européen, qui préconise la réduction de la moitié des pesticides d’ici 2030. Le syndicat proche de l’extrême droite est aussi favorable à la suppression de l’Office français de la biodiversité (OFB) — dont certains agriculteurs affiliés attaquent régulièrement les locaux —, pour la baisse du tarif du gazole non routier, la simplification des normes environnementales — motifs de leurs mobilisations sur les routes —, et les mégabassines.
Une position très proche de celle de la FNSEA, qui réclame une politique environnementale bien plus laxiste. Le syndicat, qui ne mentionne jamais les pesticides dans son programme, a obtenu l’an dernier la suppression de la stratégie Écophyto, qui vise à réduire de 50 % l’utilisation des pesticides d’ici 2030, ainsi que la simplification des normes environnementales comme celles liées à la protection des haies ou des terres en jachère.
Sur les effets du dérèglement climatique, la FNSEA défend des solutions technologiques et se borne à demander « une indemnisation rapide et à hauteur du préjudice subi ». Il réclame également la suspension des contrôles des agents de l’OFB, le déploiement des mégabassines et de « sécuriser juridiquement les ouvrages existants ».
Les accords de libre-échange
Si l’ensemble des trois syndicats ont manifesté leur opposition au traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, tous ne partagent pas la même vision du libre-échange. La Confédération paysanne et la Coordination rurale sont opposées à tous les accords de libre-échange, entraînant selon elles une baisse du revenu des paysans, et plaident pour une relocalisation de la production. Afin de protéger les agriculteurs des importations déloyales, la Confédération paysanne souhaite l’instauration de prix minimums d’entrée sur le territoire.
Bien que la FNSEA ait appelé à manifester contre l’accord avec le Mercosur, le syndicat libéral ne souhaite pas pour autant la suppression des traités de libre-échange. Il a seulement exigé « plus de transparence sur les négociations », et souhaite imposer des clauses miroirs, avec des normes sociales et écologiques identiques à celles de l’Union européenne.
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