Vélos de nuit, le gouvernement vous interdit de clignoter


Paris, reportage

Un petit œil rouge clignote. Accroché à l’arrière du vélo, il fait la vigie, pendant que Camille attend au feu tricolore. « J’ai choisi cet éclairage arrière, le stimulus est très visuel. » Vert. Les véhicules démarrent. « Je ne savais même pas que c’était interdit. En tout cas, moi, avec ce clignotement, je me sens en sécurité face aux voitures, il me rassure », lâche-t-elle en redémarrant. Les flashs de son feu arrière s’éloignent, dessinant la suite de son parcours nocturne.

Infraction ! Camille est en faute. Car un décret récent interdit les feux clignotants à l’arrière des vélos. Mais beaucoup l’ignorent. Remontant le boulevard Jules Ferry à Paris, Emma attache sa bicyclette. Les mains sur le cadenas, elle nous répond : « J’avoue, j’ai les deux options sur ma lampe, clignotante et fixe, mais je mets plutôt les feux fixes pour ne pas éblouir les autres. » Pressée, elle détale dans la nuit, ajoutant : « Mais les automobilistes aussi, ils m’éblouissent. » À quelques rues de là, dans son atelier de réparation de vélo, Jacob évoque l’interdiction : « L’essentiel, c’est que le cycliste soit visible. Tout ce qui le permet est à encourager, lampe fixe ou clignotante, qu’importe ! »

Ils sont plusieurs comme Camille à circuler avec un feu clignotant sur l’arrière de leur vélo. Et pourtant, le décret du 27 novembre 2024 a modifié le Code de la route pour interdire ces éclairages. De nuit comme de jour, la lumière arrière rouge du vélo doit désormais être fixe, à l’image du phare avant blanc.

Le décret qui vise à « améliorer la sécurité routière et la visibilité des cyclistes » encadre aussi les éclairages supplémentaires facultatifs : les feux stop, les feux de position et les clignotants pour les changements de direction sont autorisés, et il est aussi possible d’ajouter des dispositifs fluorescents ou rétroréfléchissants latéraux… Mais un feu clignotant expose le contrevenant à une amende de 11 euros. La raison invoquée : cela « éblouirait » les autres usagers du bitume, automobilistes, cyclistes et piétons. Autrement dit, cela troublerait leur vision et serait dangereux pour tous.


Les cyclistes doivent désormais utiliser un éclairage fixe.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Si l’autorisation des équipements lumineux annexes est largement saluée, l’interdiction des feux clignotants fait bondir certains cyclistes de leur selle. Une pétition a même été lancée pour obtenir son abrogation. Parmi les cyclistes parisiens interrogés par Reporterre, beaucoup ignoraient cette interdiction, restant plutôt dubitatifs face au motif de l’éblouissement.

À la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), réseau de 500 associations, le chargé de mission vélo Christophe Corbel rappelle la complexité de l’enjeu des feux clignotants : « Ça dépend de la pratique de chacun et du sentiment de sécurité. » Selon lui, bien appréhender la sécurité des cyclistes nécessite d’intégrer les spécificités territoriales, ce que ne permet pas l’uniformisation de l’interdiction : « Il faut déployer des stratégies différentes selon le type de territoire, en ville ou en campagne. »


Pour Jacob, réparateur de vélos, l’important est que le cycliste soit visible.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Distinguer grandes et petites villes

Dans un environnement urbain, les feux clignotants permettent de distinguer les cyclistes des autres véhicules, mais la congestion du trafic peut renforcer l’effet d’éblouissement, même auprès des autres cyclistes. En revanche, hors agglomération, sur des routes non aménagées pour le vélo, l’éclairage clignotant est vu comme un « gage de sécurité », il aide à bien signaler sa présence.

« Les feux clignotants ou flashes attirent plus l’attention qu’un feu fixe rouge, qui peut être noyé dans l’éclairage urbain ou couvert par les phares de la voiture venant en sens inverse », résume Julien Sales, de l’association Innovation véhicules doux (In’VD).

Plusieurs études, dont celle de l’université de Brunel (Angleterre) et l’université Deakin (Australie), publiée en 2024, concluent qu’en moyenne les conducteurs évaluent avec plus de précision la proximité du cycliste quand ce dernier est éclairé à l’arrière par un feu clignotant.

Arnaud Sivert, expert de la commission éclairage de la FUB, a testé 140 éclairages sur cinq ans. Il fait l’analogie avec le warning des voitures. Selon lui, le choix de dispositifs rouges et clignotants pour alerter d’un danger témoigne de l’efficacité signalétique de cet éclairage. Cycliste lui aussi, il cumule 15 000 km par an, et préfère risquer l’amende : « Je garde mes modes clignotants parce que je choisis d’être bien vu. »


Beaucoup dénoncent une politique «  du fait accompli  ».
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Autre raison : la durée d’autonomie des lampes. La batterie à éclairage flash consomme 2 à 3 fois moins que la batterie à éclairage fixe, selon Aymeric Cotard, chargé de mission à Mieux se déplacer à bicyclette (MDB). Renoncer aux feux clignotants implique des recharges plus fréquentes ou l’achat de batteries plus puissantes, mais aussi plus sujettes au vol…

Par ailleurs, tous ces organismes dénoncent l’absence de concertation engagée par l’État. Cette politique « du fait accompli » ne constitue pas une pédagogie efficace pour faire appliquer le décret. Les associations proposaient des alternatives : la fixation d’une norme sur l’éclairement lumineux avec un seuil maximal à ne pas dépasser pour éviter l’éblouissement. Certains pays comme l’Allemagne ont aussi fixé un seuil d’éclairement efficace (10 lux à 10 mètres de distance en ville).

Un élément clé pour limiter les accidents graves ou mortels sur la route : 221 cyclistes sont décédés en 2023, selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière.

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