Dans les supermarchés, les produits sains sont réservés aux riches


Manger des aliments sains, est-ce vraiment un choix ? Non, à en croire l’ONG Foodwatch. Elle vient de publier une étude démontrant que les produits les moins chers en supermarché sont aussi, en moyenne, les plus sucrés.

Conserves de petit pois, pain de mie, cordon bleu… Sur les 400 produits analysés dans les magasins E. Leclerc, Auchan, Carrefour, Coopérative U et Intermarché, acteurs majoritaires du secteur, le verdict est sans appel : même les aliments dans lesquels on ne s’attend pas à trouver du sucre en contiennent. Et surtout, les produits aux prix les plus bas, qui sont majoritairement de marques distributeurs, sont les plus sucrés.

Les inégalités sociales se retrouvent donc jusque dans nos assiettes, et ce sera un thème majeur du week-end de débats et de tables rondes organisé par Reporterre et le Ground Control, à Paris du 24 au 26 janvier, sur le thème « Choisit-on son assiette ? ».


85% des produits analysés contiennent du sucre ajouté, toutes catégories confondues.
Enquête Foodwatch

Un exemple tiré de l’étude Foodwatch : si vous achetez l’une des cinq conserves de petits pois les moins chères, elle contiendra en moyenne 43 % de sucre en plus que l’une des cinq les plus chères. Difficile alors de respecter le fameux message de santé publique « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé »

« Les consommateurs avec un budget réduit ne peuvent pas faire le meilleur choix pour leur santé », dit Karine Jacquemart, présidente de Foodwatch. Elle pointe la responsabilité de la grande distribution dans la création d’une « discrimination intolérable » dans ce « marché à deux vitesses »« seules celles et ceux qui ont les moyens peuvent accéder à des produits plus sains ».

Cancers, infarctus, diabète…

« L’alimentation à domicile est le poste qui différencie le plus la consommation des ménages selon leur niveau de vie », observait l’Insee en 2020. Parce qu’ils consacrent une plus grande part de leur budget à l’alimentation, celle-ci devient souvent une variable d’ajustement pour les plus précaires. En 2017, un rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) constatait que les cadres consommaient en moyenne 50 % de fruits et légumes en plus que les ouvriers.

Des fruits et légumes d’autant plus difficiles d’accès que leurs prix se sont envolés de 16 % entre juin 2022 et juin 2023, selon l’Observatoire des prix des fruits et légumes de 2023 de Familles rurales, soit 3,5 fois plus que l’inflation générale. Si bien que « manger au moins cinq fruits et légumes par jour et par personne », comme le recommande le Programme national nutrition santé, pèse de 5 % à 18 % d’un Smic net mensuel pour une famille de quatre personnes, soit de 65 à 241 euros par mois.


Au vu du prix des fruits et légumes, la réalité économique apparaît en décalage avec les messages de santé publique.
Familles rurales – Observatoire des prix des fruits et légumes – d’après l’Insee

Contraintes dans leurs choix alimentaires, les personnes précaires sont aussi « les premières victimes de maladies liées à une mauvaise alimentation », constate Foodwatch. Ainsi, l’obésité qui touche 8,5 millions d’adultes en France est deux fois plus répandue dans les catégories les plus modestes. L’excès de sucre en est un des facteurs et peut selon l’Anses entrainer le diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires et certains cancers.

« C’est la double peine pour les personnes précaires : elles doivent aller vers les produits à bas prix, ce qui les expose à des impacts sur la santé », dit Karine Jacquemart.

Marges opaques

Parmi les coupables de ce « marché à deux vitesses » inégalitaire, Foodwatch pointe des « surmarges » réalisées par la grande distribution sur les produits les plus sains. Elle vise « cinq acteurs : Leclerc, Intermarché, Auchan, Super U et Carrefour, [qui] contrôlent 80 % du marché alimentaire. Cette mainmise leur permet d’imposer leurs conditions aux fournisseurs, tout en utilisant leur pouvoir d’influence sur les pratiques de consommation, puisque ce sont eux qui décident ce qu’ils mettent dans les rayons et à quel prix ».

L’ONG s’inquiète de « marges excessives en catimini sur les rayons les plus sains pour compenser des rayons moins rentables et des produits d’appels à marges plus faibles ».

« Des marges excessives en catimini sur les rayons les plus sains »

Comment le prouver ? L’Observatoire de la formation des prix et des marges alimentaires (OFPM) ne suit la construction des prix que pour 34 produits, essentiellement des produits bruts, comme la viande fraîche ou la volaille, ou très peu transformés, comme le fromage et le yaourt.

Malgré ce manque de transparence, l’association Familles rurales était parvenue à démontrer qu’en 2021, « c’est notamment grâce aux bénéfices du rayon fruits et légumes (+ 247 millions d’euros après impôts) que la grande distribution a couvert les pertes de son rayon boulangerie / pâtisserie (-65 millions d’euros) ».

« Frilosité politique » face aux industriels

Foodwatch, Familles rurales, Que choisir et l’association CLCV demandent à l’État d’imposer une transparence et un encadrement des marges sur les produits les plus sains et durables, non seulement dans la grande distribution, mais aussi pour les industriels de l’agroalimentaire. Une requête demeurée jusqu’ici lettre morte, malgré l’engagement pris par le président de la République en septembre 2023 de parvenir à « un accord sur la modération des marges dans tout le secteur [alimentaire] ».

Dans le cadre des discussions sur le budget de la Sécurité sociale, les parlementaires avaient par ailleurs adopté une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits transformés. « Les montants de la taxe auraient pu être reversés à la prévention et à la lutte contre les inégalités sociales dans l’accès à une alimentation saine », précise la députée écologiste Sabrina Sebaihi, qui a porté ce texte à l’Assemblée nationale.

L’amendement a été balayé par le recours du gouvernement à l’article 49.3 de la Constitution, tout comme l’obligation faite aux industriels de mentionner le Nutri-score de leurs produits dans leurs publicités.

Lire aussi : Bien manger sans se ruiner : un village expérimente la Sécurité sociale de l’alimentation

« Ce ne sont pas des contraintes technologiques qui empêchent de faire des petits pois sans sucre ajouté, ce sont des choix économiques. Donc il faut l’imposer politiquement », dit l’épidémiologiste nutritionnelle Mathilde Touvier, qui a participé à l’élaboration du Nutri-score. Elle dénonce la « frilosité politique », au niveau français et européen, face au « lobby industriel » contre l’imposition d’une obligation d’affichage de ce classement des produits en rayon, en fonction de leur qualité nutritionnelle. Aujourd’hui, cette valeur est affichée de façon volontaire par les marques.

Par ailleurs, l’arrêté pour permettre l’entrée en vigueur du nouveau Nutri-score, dont le mode de calcul pénaliserait encore davantage les produits trop sucrés, n’a toujours pas été signé en France.

Quant à l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation — qui permettrait une prise en charge de l’achat de certains produits, grâce à une cotisation sociale sur le modèle de la Sécurité sociale dans le domaine de la santé — elle fait son chemin à travers des expérimentations locales. Une proposition de loi a été déposée par le député écologiste Charles Fournier pour les élargir, en créant un fonds national chargé d’abonder les caisses et financé par l’État.


« CHOISITON SON ASSIETTE ? »

Rencontre de Reporterre avec le Ground Control, à Paris, le 25 et 26 janvier 2025.

  • Nous discuterons de l’inégalité alimentaire samedi au Ground Control, avec la journaliste Nora Bouazzouni, autrice du livre Mangez les riches : la lutte des classes passe par l’assiette (éd. Nourriturfu, 2023), et Karine Jacquemart, de Foodwatch, qui a récemment publié une enquête démontrant que les produits les moins chers en supermarché sont aussi, en moyenne, les plus sucrés.
  • Et un autre débat, toujours samedi, permettra de réfléchir à une solution à cette question, avec Boris Tavernier, sur l’idée de Sécurité sociale alimentaire. Il est député LFI du Rhône et cofondateur de l’association Vrac.

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