Plusieurs metteurs et metteuses en scène ont choisi récemment de transformer les scènes de théâtre en espaces carcéraux, non pour y enfermer les spectateurs et spectatrices, mais pour saisir ce que les quatre murs des acteurs et actrices peuvent exprimer des quatre murs des cellules des prisonniers et prisonnières. Des spectacles souvent composés à l’origine dans des ateliers tenus à l’intérieur de prisons réelles et parfois incarnés par d’anciens prisonniers, qui ne se contentent pas de parler de l’enfermement, mais parlent aussi d’émancipation et du rôle que le théâtre pourrait y jouer.
On évoque aujourd’hui Quartier de femmes de Mohamed Bourouissa et Zazon Castro, Marius de Joël Pommerat, qui était récemment présenté dans le cadre du festival d’Automne et continue une grande tournée, et enfin Inconditionnelles de Dorothée Munyaneza, traduction et mise en scène d’un texte de Kae Tempest.
« Quartier de femmes »
Quartier de femmes est une proposition du plasticien Mohamed Bourouissa, qui, à partir d’ateliers menés dans un centre pénitentiaire de Lille, a demandé un texte à Zazon Castro pour un seul en scène interprété par Lou-Adriana Bouziouane, qui incarne Henda, galérant à trouver un travail maintenant qu’elle est sortie de prison et revenant sur la manière dont elle est arrivée en cellule et ce qu’elle y a vécu.
La comédienne, en mode stand-up, raconte la vie très quotidienne de la prison en égrenant les expériences de plusieurs détenues, plus ou moins borderlines, plus ou moins inquiétantes, mais souvent très drôles. Quartier de femmes nous plonge ainsi dans le quotidien d’une jeune femme qui traverse l’expérience de la prison pendant trois ans, avec la subtilité des géographies pénitentiaires invisibles de l’extérieur, puisque selon l’étage où l’on se trouve, la condition carcérale n’est pas la même.
Quartier de femmes a déjà été représenté au théâtre de Gennevilliers dans le cadre du festival d’Automne 2023, au théâtre du Rond-Point dans celui du festival d’Automne 2024, et sera visible prochainement à Orléans et à Antony.
« Marius »
Marius est bien sûr le titre de la plus célèbre des pièces de Marcel Pagnol représentée pour la première fois il y a près d’un siècle à Paris, avant d’être adaptée en film en 1931. Mais c’est désormais devenu un tout autre objet sous la baguette du metteur en scène Joël Pommerat, qui en déplace l’action de l’entre-deux-guerres en 2024 pour tout à la fois la dépoussiérer et l’accélérer.
Dans cette version, César tient une boulangerie-sandwicherie concurrencée par les autres fast-foods du quartier, Fanny est employée dans un salon de coiffure et Panisse possède des magasins de scooters. Et Marius, qui travaille dans la boulangerie de son père, rêve de s’embarquer en mer, plutôt que de reprendre le commerce de celui-ci, en dépit de l’amour qui le lie à Fanny.
La pièce a été créée en 2017 à la maison d’arrêt d’Arles, avec des détenus de longue peine, et notamment Jean Ruimi, qui joue César et avait obtenu que Joël Pommerat vienne l’aider à monter un spectacle en prison. Une expérience bouleversante pour le célèbre metteur en scène, qui l’a poussé à monter ensuite, toujours avec Jean Ruimi, Amours (1) et Amours (2) en 2019 et 2023.
Après la représentation de Marius à la centrale d’Arles puis aux Baumettes de Marseille, Joël Pommerat promet notamment à Michel Galera, Ange Melenyk et Jean Ruimi de reprendre la pièce une fois qu’ils seront dehors. Maintenant que les prisonniers acteurs ont purgé leurs peines, la pièce connaît donc une nouvelle vie, et tourne dans la France entière, avec ses interprètes initiaux auxquels se sont ajoutés des comédiens professionnels. La pièce s’évade ainsi, comme Marius aspire à prendre le large.
La pièce de Joël Pommerat a été jouée ces derniers mois à la MC93 et à la Ferme du Buisson dans le cadre du festival d’Automne en décembre, puis à la scène nationale de Marseille. Elle sera visible dans les prochains temps à Limoges, Alès, Genève, Tarbes, Strasbourg, Narbonne, Dunkerque ou encore Colombes.
« Inconditionnelles »
Inconditionnelles est le titre français donné par la chorégraphe et danseuse d’origine rwandaise Dorothée Munyaneza à la traduction qu’elle a faite d’une pièce de Kae Tempest (Hopelessly Devoted), figure centrale du spoken word et du rap anglais, et qu’elle reprend aujourd’hui pour sa première mise en scène théâtrale. Le spectacle était notamment visible aux Bouffes du Nord dans le cadre du festival d’Automne et tourne dans plusieurs villes de France.
Sur un plateau délimité par une sorte de carrelage pouvant évoquer une cellule de prison, quatre personnages féminins occupent la scène : Chess, qui purge une longue peine pour homicide, et Serena, sa codétenue, partageant la même cellule, dans cet espace où évoluent aussi Silver, professeur de musique en prison, et une surveillante impressionnante par sa taille et sa sévérité.
Inconditionnelles de Dorotée Munyaneza était visible à Paris, au Creusot et au Mans en décembre, et fait désormais un passage par la Belgique, avant Lyon au théâtre de La Croix-Rousse en mars prochain.
Avec :
- Caroline Châtelet, qui écrit pour ScèneWeb et le trimestriel Théâtre ;
- Zineb Soulaimani, que vous pouvez lire dans la revue Mouvements, dans Le Quotidien de l’art et dont vous pouvez aussi écouter le podcast « Le Beau Bizarre » ;
- Vincent Bouquet, dont vous pouvez retrouver la plume sur ScèneWeb.
« L’esprit critique » est enregistré par les équipes de Gong et réalisé par Karen Beun et Samuel Hirsch.