Devenir végane, quatre galères et leurs solutions


Océane [*] se souvient encore de ce repas de famille, en 2020, où elle a annoncé qu’elle arrêtait de manger de la viande. Alors qu’elle tentait de s’expliquer, son père l’a interrompue. « Il a utilisé son statut de médecin pour raconter à tout le monde que j’étais carencée, raconte-t-elle. Il n’y connaît pourtant rien en nutrition, et c’était surtout totalement faux. » Cet épisode a marqué la jeune étudiante de 21 ans, qui n’en avait que 16 à l’époque. Alors passer à l’étape supérieure en devenant végane — et donc ne plus consommer de produit d’origine animale (viande, poisson, œufs, fromage, cuir, laine, etc.) — lui paraissait inconcevable.

« La pression de la société était vraiment dissuasive, se rappelle-t-elle. Quand je disais que je mangeais encore des œufs et du fromage, on me répondait “Ah ça va, tu n’es pas extrémiste toi !” » Petit à petit, après de nombreux questionnements sur la domination et l’exploitation des animaux, Océane a pourtant décidé de sauter le pas. Elle est devenue végane en février dernier. Et comme beaucoup d’autres personnes dans le même cas, dont Reporterre a recueilli des témoignages, ce ne fut pas sans difficultés.

  • Obstacle n°1 : la réaction des proches

C’est en 2014, après avoir visionné des vidéos de l’association L214, qu’Irène a décidé d’arrêter de consommer tout produit d’origine animale. Âgée de 54 ans à l’époque — elle en a aujourd’hui 65 —, elle parle de ces images tournées dans des abattoirs comme d’un « électrochoc », « un tsunami ».

« Tous ces cris, ce sang, ces agonies imposées à des êtres sensibles… Il n’était plus possible pour moi de cautionner l’exploitation des animaux dans le but de finir dans mon assiette. » Un choix qui n’a pas été compris par ses proches, issus du milieu paysan normand. Elle aussi décrit des repas de famille où elle s’est sentie seule, « marginalisée ». « On me regardait de façon étrange, comme s’ils se disaient : “Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir te donner à manger ?” », raconte-t-elle.

« Ce n’est pas de la privation, au contraire, c’est un processus joyeux »

Le récit n’est guère différent chez Clothilde, 51 ans, végane depuis 2015 : « Alors que mes amis savent que je ne fais pas d’écarts, je dois toujours veiller à ce qu’il y ait un plat compatible avec mes engagements, au restaurant ou lors de dîners ensemble. Il n’est pas rare que je doive me priver, lorsque les gâteaux d’anniversaire ne sont pas véganes par exemple. »

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Certaines personnes décrivent aussi des disputes autour de l’exploitation des animaux. « Il faut beaucoup de courage et d’énergie pour aller à contre-courant de l’indifférence générale, voire de l’hostilité, que génère cette prise de conscience, même dans les milieux militants et progressistes, témoigne Lou, 22 ans. Ça n’a pas été facile au début, mais devenir végane m’a tout de même énormément soulagée, cela m’a permis de m’aligner avec mes convictions. »

« Il faut toujours garder en tête qu’avant de devenir végane, on ne l’était pas, et se rappeler pourquoi on n’avait pas eu le déclic, conseille Alexandra Coché, responsable de la campagne « Veganuary » — un défi qui incite à adopter une alimentation végétale tout au long du mois de janvier — pour l’association L214. C’est une remise en cause de sa vie, de ce qu’on nous a toujours appris. L’entourage peut plus ou moins bien le vivre selon sa relation et sa culpabilité vis-à-vis des animaux. » L’association propose ainsi sur son site quelques conseils pour en parler sereinement avec ses proches.

De son côté, Lou a adopté une stratégie : refuser les étiquettes négatives collées à l’alimentation végétale : « Ce n’est pas de la privation, au contraire, c’est un processus joyeux. On refuse la souffrance, l’exploitation, on crée autre chose. » Elle a repris des recettes de famille pour les végétaliser et les proposer à son entourage.

  • Obstacle n°2 : l’équilibre nutritionnel

À 32 ans, Nathalie a banni les produits d’origine animale en 2024, après sept ans de végétarisme. Deux changements progressifs qui n’ont pourtant pas été évidents. « Toute ma vie, je me suis très mal nourrie, je ne mangeais quasiment jamais de légumes, confie la jeune femme. Donc ça me semblait une montagne à franchir d’apprendre les bases de la nutrition, et d’essayer de me nourrir correctement avec une alimentation végétale. »

« Ne pas savoir quoi cuisiner, c’est l’un des obstacles les plus fréquents, confirme Alexandra Coché. En France, on est dans une culture où l’on nous apprend que le milieu de l’assiette est la viande et le reste de l’accompagnement. Avec l’alimentation végétale, il y a un changement de culture à mettre en place. » L’association L214 propose ainsi des centaines de recettes pour donner de l’inspiration aux néophytes.


Composition d’une assiette équilibrée.
© Association végétarienne de France

Après des moments de découragement, Nathalie a fini par trouver sur internet des informations sur la composition d’une assiette végane équilibrée. « Comme toute sorte d’alimentation, il faut que ce soit diversifié, résume Alexandra Coché. Tout est basé sur un équilibre d’apports en fruits, légumes, légumineuses, céréales et oléagineux — pas sur un seul repas, mais sur toute une journée. » Elle conseille aux personnes qui en ressentent le besoin de consulter un professionnel de santé spécialiste en nutrition, et rappelle que la supplémentation en vitamine B12 est indispensable quand on devient végane.

  • Obstacle n°3 : les recettes « compliquées »

Autre obstacle auquel Nathalie a été confrontée : l’accessibilité des produits. Elle se revoit encore, plantée avec son compagnon au milieu du supermarché Auchan à 18 heures, liste de courses à la main, à chercher désespérément les ingrédients d’une recette de « faux gras » (substitut végétal au foie gras). Miso blond, sauce tamari, champignons déshydratés… « Sur une seule recette, il y avait au moins quatre ou cinq ingrédients que je ne connaissais pas ou que je ne trouvais pas, se souvient-elle. Je me suis dit : “En fait, c’est impossible de faire une recette végane”. Ça m’a semblé insurmontable. »

À force de recherches, Nathalie a finalement réalisé que « ce n’était pas la cuisine végane qui était compliquée, mais simplement les recettes qu’[elle avait] lues » sur certains blogs spécialisés. Plutôt que d’acheter des « ingrédients un peu improbables », elle a reconstitué son épicerie de base en se procurant des produits bruts plus simples et accessibles comme des lentilles, des pois chiches, de la margarine, du lait végétal…

« En simplifiant mon alimentation, je me suis même retrouvée à payer moins cher mes courses ; alors que je suis passée au bio entre-temps ! » se réjouit Nathalie, qui conseille de composer des repas simples pour commencer, et d’y aller progressivement.

  • Obstacle n°4 : la sensation de faim

Si certains ont réussi à passer le cap du véganisme, d’autres sont encore en phase de tâtonnement. Benjamin, 43 ans, s’est inscrit pour la seconde fois au challenge « Veganuary ». L’année dernière, il a « tenu quinze jours ». Il se définit comme un « gros mangeur » et s’est retrouvé confronté à des fringales, pile les jours où il n’avait pas eu le temps de préparer à l’avance une assiette végétale. « Dans ces cas-là, c’était difficile pour moi de résister aux plats déjà sur la table qu’allaient manger mon fils et ma femme », reconnaît-il.

« Les protéines d’origine végétale sont souvent moins caloriques à volume égal que les protéines d’origine animale, il ne faut donc pas hésiter à augmenter le volume de l’assiette sans crainte de prendre du poids », conseille Victor Chau, chargé de mission nutrition végétale pour L214. Il suggère aussi d’ajouter dans l’assiette des produits caloriquement denses — comme des oléagineux (noix), du beurre de cacahuète ou de la purée de sésame — et de privilégier les fibres — légumineuses, céréales complètes — pour arriver à satiété.

Loin de s’avouer vaincu, Benjamin retente l’expérience « Veganuary » cette année. En surpoids, l’homme aimerait végétaliser son alimentation sur le long terme « pour [sa] santé d’abord, puis pour le bien-être animal et l’impact sur l’environnement ». Chaque jour, plus de 3 millions d’animaux sont abattus en France. L’élevage représente par ailleurs 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

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