Angers (Maine-et-Loire), correspondance
La bétaillère est couverte d’une bâche jaune ornée du slogan : « On a tous besoin d’un cap. » Elle s’arrête sur les marchés, sur les places de villages ou devant la chambre d’agriculture et, chaque fois, c’est l’occasion de déguster des produits fermiers, boire un coup et discuter avec les militants locaux de la Confédération paysanne. En quelques semaines, elle a sillonné toute la Loire-Atlantique pour les élections à la chambre d’agriculture, qui se tiennent jusqu’au 31 janvier. « Les gens discutent, cela crée une dynamique », s’enthousiasme la tête de liste Marie Savoy. On parle d’installation, de partage de l’eau ou d’accès au foncier. Une campagne « au plus près du terrain », qui pourrait bien la faire gagner.
Si la « Conf’ » est si dynamique cette année, c’est que ses militants croient en la victoire, avec un désir de revanche. Voilà dix-huit ans que le syndicat agricole ne dirige plus la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique. Lors du précédent scrutin en 2019, il avait bien failli la reprendre, à deux voix près. Il avait fallu revoter quelques mois plus tard à la suite d’un recours, et la FNSEA 44, alliée à son syndicat satellite Jeunes agriculteurs (JA), l’avait finalement remporté à l’issue d’une campagne âpre.
« Il n’y avait pas eu de débats sur les idées, selon le conseiller régional Dominique Deniaud, qui conduisait la liste de la Confédération paysanne. Nos adversaires faisaient circuler des rumeurs selon lesquelles nous étions associés à l’association anti-élevage L214. Ils présentaient notre syndicat comme un “repaire de zadistes”. » L’une des candidates de la Confédération, Albine Vaucouloux, avait de surcroît été la cible d’attaques personnelles sur Facebook.
Coups bas et boules puantes
Pour motiver son électorat, la FNSEA — syndicat majoritaire et productiviste — avait fait une intense campagne au téléphone, permettant de faire bondir le taux de participation. « Ils avaient mobilisé au moins quinze salariés, se souvient Dominique Deniaud. Nous-mêmes avions été appelés ; je ne sais pas comment ils avaient eu nos coordonnées, ces listings provenaient vraisemblablement de la chambre d’agriculture, ce qui est illégal. » Des accusations difficilement vérifiables. « Je les voyais téléphoner dans les bureaux de la chambre d’agriculture, rapporte une ancienne salariée écœurée. Ils disaient : “Si vous élisez la Conf’, c’est L214 qui sera à la tête de la chambre !” C’était du trumpisme avant l’heure ! »
Sur les 20 candidats de la liste de la Confédération paysanne cette année, 18 sont eux-mêmes éleveurs. D’ailleurs, l’axe principal de sa campagne est la défense de la polyculture-élevage. « Une méthode qui maintient la biodiversité et fournit du fumier au maraîchage ou à la vigne », précise Antoine Baron, le n°2 de la liste.
« La FNSEA n’est jamais à court de mensonges ! »
Associer les candidats de la Confédération paysanne aux pires ennemis du monde agricole et les faire passer pour des casseurs, la méthode a fait ses preuves et la FNSEA la reprend cette année. « Quand la Confédération paysanne s’associe aux Soulèvements de la Terre qui détruisent les réserves de Sainte-Soline [en référence à la manifestation en mars 2023 contre les mégabassines] et les serres expérimentales au sud de Nantes [plusieurs actions ont eu lieu contre le maraîchage industriel], il y a une ligne rouge qui est franchie », répète en public Mickaël Trichet, président de la FNSEA 44 qui brigue la présidence de la chambre. « Jamais nous n’avons cautionné les actions violentes, nous les avons toujours condamnées ! » s’insurgent en cœur les candidats de la Confédération paysanne.
La FNSEA 44 déploie ses arguments de campagne par courrier postal, par mails et communications sur les réseaux sociaux. La première lettre de campagne, envoyée en 3 000 exemplaires (deux tiers des fermes), accuse la Conf’ d’être « contre l’élevage », de « soutenir L214 », et d’avoir « détruit les serres des maraîchers nantais ». « La FNSEA n’est jamais à court de mensonges ! » s’étrangle le syndicat paysan.
La Coordination rurale en embuscade
Lorsque la FNSEA avait gagné la chambre de Loire-Atlantique en 2007, il s’agissait d’une prise de guerre : la Conf’ y était aux commandes depuis 1976. Le mouvement paysan a prospéré en Loire-Atlantique grâce à des figures nationales de la gauche paysanne telles Bernard Lambert et Bernard Thareau. La Confédération paysanne de Loire-Atlantique a d’ailleurs intégré la FDSEA — Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles, branche locale de la FNSEA — dès sa création et c’est ainsi qu’elle s’appelle toujours officiellement « FDSEA – Confédération paysanne », ce qui ne manque pas de sel. Et c’est pour la même raison que la « Fédé », qui n’a pas le droit de s’appeler « FDSEA » comme dans les autres départements, s’appelle ici « FNSEA 44 ».
En Loire-Atlantique, la Confédération a toujours eu la réputation d’être plus modérée qu’ailleurs. Mais les temps changent, les adhérents aussi. « Une partie du syndicat est devenue plus radicale, certains de ses militants sont antimaraîchers nantais, antibassines. C’est dû notamment à l’évolution démographique, les jeunes et ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole », analyse la journaliste agricole Catherine Perrot. « Oui, la Conf’ d’aujourd’hui peut effrayer un électorat modéré », concède Dominique Deniaud.
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La FNSEA s’inquiète de son côté d’un grignotage de voix par la Coordination rurale (CR), dont les valeurs sont proches de celles de l’extrême droite. Le syndicat a gagné en visibilité avec les récentes mobilisations des agriculteurs. Sa tête de liste, Loïc Crespin, espère faire « beaucoup plus que la dernière fois ». « La CR va probablement monter pour les mêmes raisons que le RN [Rassemblement national] progresse, ce sera au détriment de la FNSEA 44. Cela peut faire basculer l’élection au profit de la Conf’ », dit David Leduc, délégué CFDT à la chambre d’agriculture.
Ce que craint la FNSEA par-dessus tout, c’est une démobilisation de ses électeurs, « que les bulletins de vote restent sur le coin du buffet de la cuisine ». « On est les sortants, nos adhérents sont dans le confort, il faut les remobiliser, dit Mickaël Trichet. Ces élections, on est capables de les perdre, c’est un vrai match. »
Jusqu’aux dernières heures du scrutin, chacun mobilise ses troupes pour un phoning actif. « Mais il y a un énorme écart de moyens entre la FNSEA et nous », observe Antoine Baron.
Un corps électoral qui se renouvelle
En Loire-Atlantique, où l’on n’est jamais trop loin de la vie citadine, la vente directe est très développée et l’élevage intensif peu répandu. Un quart des quelque 6 000 agriculteurs sont en bio, ce qui le place dans le peloton de tête. Un terreau favorable pour la Confédération paysanne, qui défend l’agroécologie. Et le corps électoral évolue : près des deux tiers des nouveaux installés ne sont pas issus du milieu agricole, des profils activement soutenus par le syndicat paysan.
« Il faudrait que l’on parle à tous ces nouveaux profils, dit le directeur de la FNSEA 44 Jean-Philippe Bouin, qui dirige par ailleurs le journal agricole départemental. Le premier syndicat, ce sont les non-syndiqués, on sait que le scrutin sera serré. »
La Conf’, elle, y croit. « Il y a une dynamique, une envie de faire campagne, de gagner, dit la porte-parole nationale Laurence Marandola, au lendemain d’un meeting ayant rassemblé 200 personnes à Fay-de-Bretagne. Ici, ils y vont pour gagner, pour mettre en œuvre leur projet, pas simplement pour augmenter leur score. »
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