les agents de la biodiversité abandonnés par l’État


À côté du portail métallique calciné, un graffiti vert à l’écriture bancale : « DE LA PART DES DEALERS. » Le 22 janvier, le site audois de l’Office français de la biodiversité (OFB) a été pris pour cible à Trèbes, près de Carcassonne. Peinturlurée sur le muret d’enceinte, l’inscription est une référence directe à la déclaration d’un agent de l’établissement public, tenue quelques jours plus tôt.

Au micro de France Inter, le fonctionnaire décrivait son sentiment de ne plus être le bienvenu sur certaines exploitations agricoles : « C’est du même ordre que si les dealers demandaient aux policiers de ne plus venir dans les cités », a-t-il pesté sur les ondes de la radio publique. Une formulation jugée maladroite par certains, inacceptable pour d’autres.

Dès lors, un énième bras de fer entre les principaux syndicats agricoles et l’OFB s’est cristallisé. Toujours le 22 janvier, une quarantaine de paysans ont bloqué un centre spécialisé dans la formation des policiers de l’environnement, dans le Loiret. « Comme on nous traite de “dealers”, on va leur laisser en cadeau un peu de poudre », raillait l’un d’eux. En l’occurrence, de la poudre de calcaire et du sable, entassés par centaines de kilos devant les entrées du bâtiment.


L’entrée de l’OFB à Trèbes pris pour cible par des paysans, le 22 janvier 2025.
© Idriss Gibou-Gilles / AFP

François Bayrou, le pompier pyromane

Si la malheureuse comparaison aux trafiquants de drogue a attisé la colère, François Bayrou avait, lui, mis le feu aux poudres. Le 14 janvier, dans son grand oral devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a accusé les inspecteurs de l’OFB d’humilier les paysans en menant leurs contrôles avec une « arme à la ceinture, dans une ferme déjà mise à cran par la crise ».

Par ces mots, le maire de Pau a ouvert une boîte de Pandore, sur laquelle se sont jetés grand nombre de politiciens de droite et d’extrême droite. « Maintenant, ça suffit ! L’OFB doit être purement et simplement supprimé », a éructé le chef de file des députés républicains, Laurent Wauquiez.

Lire aussi : L’Office français de la biodiversité, bouc émissaire facile de la crise agricole

Armé d’une tronçonneuse — pour plagier le président climatosceptique de l’Argentine, Javier Milei, qui souhaite couper drastiquement dans les dépenses publiques —, Éric Ciotti, allié du Rassemblement national, a promis de dissoudre l’établissement : « [Il] incarne le pire de la bureaucratie autoritaire », avait-il écrit quelques jours plus tôt.

Cadavre de blaireau et concierge terrorisé

Répercussions immédiates de ces propos boutefeux : une pluie d’intimidations et de dégradations s’est abattue, aux quatre coins de l’Hexagone, sur les locaux de l’administration publique. Le 16 janvier en Lozère. Le 18 janvier en Haute-Loire. Le 19 janvier dans l’Hérault.

Tantôt un cadavre de blaireau ficelé sur la porte d’un bâtiment. Tantôt des menaces peintes sur le bitume : « Gare à vous ». Tantôt encore, l’attaque simultanée de trois établissements dans une opération baptisée « Blanche neige ». Cette fois, les agriculteurs ont déversé devant les entrées des remorques emplies de farine, de chaux et de plâtre.

« Je n’avais pas envie à 63 ans

de me faire taper dessus »

Dans la nuit du 19 au 20 janvier, ces violences ont atteint leur paroxysme, devant les locaux de Toulouse. Aux traditionnels jets de sacs de chaux, de branches et de fumier s’est additionné celui de ragondins morts. Aucun membre du personnel n’était présent à ce moment-là, à l’exception du concierge qui y habite. Dans le média Ici, Miguel raconte être resté enfermé toute la nuit dans la peur : « Avec l’agressivité qu’il y avait, je n’avais pas envie, à 63 ans, de me faire taper dessus. »

« Un cap inédit dans la violence »

La détestation de l’Office français de la biodiversité par certains agriculteurs s’illustre plus que jamais auparavant. Mais le saccage de locaux, les insultes et les menaces ne datent pas d’hier. En mars 2023, l’un des sites nationaux de l’Office — hébergeant une centaine d’employés à Brest — avait été incendié par des pêcheurs, au moyen de plusieurs centaines de fusées de détresse. Un acte criminel commis sous les regards impassibles des forces de l’ordre.

Entre janvier et juin dernier, quelque trente-six agressions et dégradations ont aussi été recensées. Et depuis, la liste continue de s’étendre, encore et encore. Le 8 octobre, le chef de la section du Tarn-et-Garonne a échappé à un accident, en s’apercevant de justesse qu’une roue de son véhicule avait été déboulonnée.


Un pêcheur jette des caisses de pêche vides sur un feu de joie, lors d’une manifestation devant l’OFB à Brest, le 30 mars 2023.
© Fred Tanneau / AFP

Le 31 octobre, les bureaux de la Haute-Saône ont été encerclés de fils barbelés par des membres de la Coordination rurale — syndicat aux valeurs compatibles avec celles de l’extrême droite. Ceux de la branche oisienne de la FNSEA ont de leur côté muré avec des parpaings, l’automne dernier, les locaux de l’organisme.

Le 19 novembre, dans la Creuse, des paysans de la Coordination rurale sont allés jusqu’à briser une porte, pénétrer dans les bureaux, saccager plusieurs pièces et menacer un agent. Des vols de documents confidentiels, dont des dossiers judiciaires parfois en cours, ont été déplorés : « On passe un cap inédit dans la violence, s’est alarmé le directeur adjoint auprès du journal La Montagne. C’est la stupéfaction ! »

Grève imminente

Stupéfaite de l’absence d’intervention des ministères compétents, la présidente du conseil d’administration de l’OFB, Sylvie Gustave-dit-Duflo, s’interrogeait auprès de l’AFP, le 17 janvier : « Où est-ce qu’on a déjà vu une police attaquée de la sorte sans que les autorités compétentes prennent sa défense ? »

Dans la foulée, une grande intersyndicale — composée notamment de la CGT et de Force ouvrière — a appelé les 3 000 agents de l’établissement public à une mise en retrait total jusqu’au 31 janvier, journée pour laquelle un préavis de grève a été déposé.

Interpellée le 20 janvier devant le Sénat, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, s’est contentée d’exprimer son « soutien le plus ferme aux agents ». Ajoutant : « Je n’accepte pas qu’on mette une cible dans le dos d’agents publics. » Reste que, pour l’heure, l’État ne semble pas décidé à assurer la sécurité de ses fonctionnaires, qui ont un rôle de surveillance essentiel pour préserver les écosystèmes.

Le lendemain, la députée écologiste Sandra Regol a par ailleurs précisé que « 81 agents ont déjà été tués dans le cadre de leur fonction depuis la création des divers établissements ayant précédé l’OFB et que 180 situations de tension forte ont été remontées depuis 2020 ».

Vendredi 24 janvier, les syndicats de l’OFB seront reçus dans l’après-midi par le cabinet du Premier ministre.

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