Les fonctionnaires font régulièrement l’objet d’attaques répétées de la droite et de l’extrême droite de l’échiquier politique. Fréquemment décrits comme privilégiés et paresseux, ils sont pourtant à la base de nos services publics dont chacun bénéficie chaque jour. Derrière ce discours se cache en réalité une volonté de privatisation massive. Décryptage.
Ces dernières années, les insultes envers les fonctionnaires n’ont pas tari. Ainsi, une fraction de la classe politico-médiatique n’a cessé de les accuser de tous les maux afin de perpétuer au sein de la population un certain nombre de clichés. Le but ? Faire accepter leur disparition au profit de l’emploi privé qui serait moins cher et plus efficace. Des préjugés qui sont pourtant à l’exact opposé de la réalité.
Une avalanche d’insultes
Récemment, l’ancien président Nicolas Sarkozy, qui avait supprimé pas moins de 150 000 postes de fonctionnaires durant son mandat, revenait à la charge, cette fois-ci contre les professeurs estimant qu’ils ne travaillaient que « 24 heures par semaine, six mois dans l’année ».
Le ministre de la fonction publique, Guillaume Kasbarian, bien connu pour ses positions ultralibérales, à la limite du libertarianisme (il avait même félicité Elon Musk pour sa nomination dans le gouvernement Trump, ajoutant qu’il avait « hâte de partager avec lui les meilleures pratiques pour lutter contre l’excès de bureaucratie »), avait lui aussi attaqué les salariés de l’État en insinuant qu’ils seraient de plus en plus absents de leurs postes et qu’il faudrait donc augmenter leurs jours de carence. Des affirmations démenties par d’autres spécialistes de la question.
Main dans la main, le RN et la Macronie entretiennent ces préjugés et n’ont pas hésité à soutenir les propositions de suppressions d’emplois souhaités par Michel Barnier et Emmanuel Macron.
Des poncifs à la peau dure
Au mépris des politiciens et des journalistes libéraux, il faut ajouter les poncifs que l’on retrouve régulièrement dans la société. Du petit fonctionnaire derrière un bureau qui ne sait pas quoi faire de sa journée, à celui qui mettrait quatre heures à accomplir une tâche réalisable en cinq minutes, en passant par les employés de voirie composés de « un qui travaille et quatre qui regardent » ; les clichés dans le domaine sont tenaces.
Derrière tous ces préjugés se cache une seule et même idée ; les fonctionnaires seraient privilégiés et paresseux. Ils travailleraient ainsi moins que dans le privé, leurs emplois représenteraient une véritable « planque », et ils bénéficieraient de tout un tas d’avantages.
Diviser pour mieux régner
Ces préjugés, entretenus par la bourgeoisie, participent d’abord à une volonté de diviser les classes populaires. On connaît bien la musique : en désignant des boucs émissaires, les plus riches créent des tensions parmi les plus précaires pour qu’ils soient bien trop occupés à se pointer du doigt les uns les autres pour se soucier des véritables privilégiés, à savoir les plus fortunés.
On va alors s’acharner à dénoncer une catégorie de la population comme problématique et à l’origine de tous les maux. C’est le cas par exemple avec les personnes en parcours de migration et descendantes de l’immigration, les plus pauvres (souvent appelés « les assistés »). À chaque fois, la rhétorique est la même : ces gens profitent de la société et se la coulent douce pendant que les honnêtes travailleurs feraient tourner le pays.
Trouver des boucs émissaires
Ainsi, pour provoquer la discorde entre ces catégories de population, les politiciens et les médias libéraux vont pointer du doigt les prétendus avantages de certains. Untel touche telle aide, untel est mieux payé, untel part plus tôt à la retraite, ou untel pose plus d’arrêts maladie.
Ce genre remarques, qui se fonde la plupart du temps sur des mensonges, tente d’enclencher des mécanismes de rivalités pour monter les précaires les uns contre les autres et les empêcher de s’unir contre le système capitaliste qui les oppresse tous de manière identique.
Des chiffres qui démentent les préjugés
Que ce soit dans le public ou dans le privé, il existe de multiples professions dans toutes sortes de domaines qui offrent chacune des avantages et des inconvénients. Qui peut dire par exemple qu’il est plus facile d’être aide-soignant avec des horaires irréguliers et une pression constante que d’être un cadre dans le marketing d’une entreprise privée ?
Il est fallacieux d’affirmer que tous les fonctionnaires passent leur vie derrière un bureau alors mêmes que les éboueurs peuvent ramasser plus de cinq tonnes de déchets par tournée, et que les pompiers réalisent plus de 12 000 interventions quotidiennes.
Les préjugés sur la paresse des enseignants sont également tenaces, et pourtant, ils ne travaillent pas moins de 41 heures par semaine en moyenne. Au-delà des heures en présentiel devant les enfants, ils doivent aussi se charger de la préparation des cours, de la correction des copies, de recherches, de tâches administratives ou du relationnel avec les autres professeurs et les parents d’élèves.
Publique ou privée, chaque profession a ses spécificités
On l’aura compris, il est absurde de faire des moyennes sur l’ensemble des fonctionnaires comme s’il s’agissait d’une catégorie uniforme d’emplois qui nécessiteraient tous les mêmes tâches et un investissement similaire. Dans la réalité, certains fonctionnaires travaillent plus que certains salariés du privé, et vice versa.
De fait, chaque situation et profession dispose de ses spécificités. Si certaines peuvent donner des avantages par rapport à d’autres, elles ont également leurs défauts. Les atouts que certains postes peuvent offrir sont, de plus, souvent là pour compenser les inconvénients et la pénibilité. Certains bénéfices du public, comme la sécurité de l’emploi, n’existent d’ailleurs qu’à cause des turpitudes du secteur privé qui n’hésite par exemple pas à procéder à des licenciements boursiers. Il serait absurde de vouloir s’aligner sur ce genre de pratique.
Si je souffre, tu dois souffrir aussi
Et pourtant, comme toujours, lorsque la droite s’attaque aux prétendus « avantages » d’une profession publique, elle propose de la niveler par le bas, c’est-à-dire de mettre chacun au niveau du pire. Jamais les chantres du libéralisme ne suggéreront au contraire d’améliorer la condition de tous. Ce processus, qui alimente le syndrome du larbin, est d’ailleurs approuvé par nombre de concitoyens qui considèrent que « c’est difficile pour moi, ça doit l’être pour tout le monde ».
Comme une volonté de revanche sur ses propres malheurs, beaucoup de personnes semblent souhaiter que chacun en passe par là, y compris les futures générations, comme si leur manque d’imagination politique ne leur permettait pas d’entrevoir l’effort collectif autrement que par une souffrance partagée. Par manque d’empathie, il est alors plus facile de projeter sa frustration sur ses semblables, jugés comme mieux lotis.
Et pourtant, il serait sans doute plus opportun d’essayer de s’extraire de cette illusoire « culture du mérite » dans laquelle le travail acharné et le sens du sacrifice sont perçus comme une preuve de légitimité sociale. D’autant plus lorsque l’on sait que ceux qui gagnent le plus d’argent ne sont pas ceux qui se tuent le plus à la tâche, mais bien ceux dont le capital a permis d’exploiter le fruit du labeur des autres.
Une volonté de destruction de l’État
En réalité, derrière ces attaques contre les fonctionnaires se cachent une volonté de détruire nos services publics pour d’une part enrichir le secteur privé et d’autre part réduire les impôts des grandes fortunes.
Depuis l’apparition des fonctionnaires à la Révolution française, une partie de la classe politique a toujours estimé qu’ils étaient « trop nombreux ». Elle évite évidemment de préciser quelle catégorie exacte serait visée.
Elle va plutôt évoquer les fonctionnaires en général, de façon assez obscure, en pointant vaguement du doigt la bureaucratie, sans permettre de savoir de quoi elle parle concrètement. En restant flous, les néolibéraux peuvent ainsi attaquer toute une partie de la population sans vraiment assumer le fait qu’ils veulent au fond se débarrasser de la plupart d’entre eux.
Le chantage à l’austérité
Car, en définitive, la problématique s’articule autour d’un seul sujet : celui du budget. La France dépenserait trop d’argent et il faudrait réduire le déficit. En se servant de la misère économique, qu’elle a elle-même organisée, la bourgeoisie écarte bien évidemment la question des impôts de l’équation. Il serait scandaleux d’augmenter « les impôts » alors que les classes populaires n’en peuvent déjà plus. Et bien sûr à aucun moment ne seront différenciés les impôts sur les plus pauvres de ceux sur les plus riches.
En définitive, cette thématique n’est là que pour défendre les intérêts de ces derniers. En faisant un chantage à la dette, tout en mettant de côté la question des prélèvements, il ne reste alors plus qu’à réduire le budget de l’État. Et pour ce faire, il n’existe pas d’autres solutions que tailler dans les services publics, à commencer par toute cette « bureaucratie inutile » dont ne sait toujours pas à quoi elle correspond exactement.
Et pour parvenir à ce but avec l’aval de la population, quoi de plus productif que susciter la haine envers ces « privilégiés » que seraient les fonctionnaires ? Il est plus facile de tout privatiser lorsque la rumeur courre que les principaux artisans des services publics sont incompétents, moins efficaces et beaucoup plus chers que les salariés du privé.
Des services dégradés sciemment
Et peu importe, si en réalité, les entreprises privées coûtent plus cher et sont moins efficaces que celles du public. Ce qui compte réellement, ce sont les idées reçues qui s’impriment dans l’esprit d’une partie de la population qui en arrivera de cette façon à voter contre ses propres intérêts.
L’entourloupe va même d’ailleurs jusqu’à réduire l’enveloppe financière des services publics pour en dégrader sciemment la qualité. Il est ainsi demandé à tous de faire plus, plus vite, avec moins d’argent. Une équation évidemment impossible à résoudre, malgré la dévotion de certains travailleurs.
Des boucs émissaires tout trouvés
Dans ces conditions, les services publics ne peuvent alors que se dégrader de jour en jour. Dans un discours orwellien, les libéraux expliqueront même qu’ils cherchent à améliorer l’efficacité de nos services tout en leur supprimant des moyens. À l’inverse, le but est plutôt d’organiser leur décrépitude. Cette situation mettra donc inévitablement les fonctionnaires en difficulté dans leur tâche.
De ce fait, alors que le problème est en réalité structurel et voulu, les citoyens pourront facilement croire que la faute en revient aux fonctionnaires, incapables et paresseux. Il sera d’autant plus aisé de céder à cette façon de pensée que ceux-ci sont financés par des impôts sur lesquels nous n’avons aucun contrôle.
Penser contre soi-même
Et pourtant, les responsables de la situation ne sont pas les travailleurs de la fonction publique, mais bien ceux qui organisent la structure de l’État, son budget, et son financement. Il est certes plus facile de s’attaquer à une fraction de la population plutôt qu’à l’élite économique qui prend les décisions au sommet du pays et maintient en place le système capitaliste.
Or, c’est bien ce système qui nous monte les uns contre les autres à grand renfort de préjugés véhiculés par les grands médias et une partie des politiciens. Les fonctionnaires, comme tous les autres travailleurs, disposent d’ailleurs des mêmes intérêts que la majorité des gens. Et dans ce cas de figure, c’est bien l’union des classes populaires qui pourra faire céder la digue et participer à créer un nouveau paradigme.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Flickr