À la racine du raisonnement, par Benoît Rittaud (Le Monde diplomatique, mars 2023)


D’Aristote au format A4

Les pythagoriciens ont découvert son irrationalité. Platon l’évoque dans le « Théétète ». La racine carrée du nombre 2 fascine depuis longtemps. Si, durant l’Antiquité, elle permet de jeter un pont entre la géométrie et l’algèbre, les interrogations quant à ses propriétés ont contribué au développement du raisonnement mathématique abstrait. Aujourd’hui encore, √2 n’a pas livré tous ses mystères.

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Felice Varini. — « Huit Carrés », 2006

© ADAGP, Paris, 2023 – Photographie : André Morin / Adagp Images / adagp images

L’abstraction n’a pas toujours bonne presse dans notre monde, qui valorise plus volontiers le pragmatisme, l’observation pratique et les choses concrètes. Pourtant, bien des questionnements qui pouvaient initialement paraître inutiles ont fini par jouer un rôle important, parfois dans des domaines inattendus. En témoigne, par exemple, l’histoire des réflexions à propos de la racine carrée de 2. Relevons d’abord la proximité quotidienne que nous entretenons avec ce nombre. Dans votre bureau à côté de votre ordinateur trône une imprimante et, juste à côté, un gros paquet de feuilles blanches qui attendent leur tour pour passer dans le cylindre. L’emballage qui retient ces feuilles ensemble en indique le format : 21 cm de large et 29,7 cm de long. Ces mensurations sont tout de même bien curieuses. N’aurait-il pas été plus simple de choisir 20 et 30 cm, par exemple ?

L’explication tient au rapport entre la longueur et la largeur. En divisant 29,7 par 21, on obtient environ 1,4142, qui n’est pas n’importe quel nombre : c’est la racine carrée de 2, notée √2. Autrement dit, en multipliant la valeur 1,4142 par elle-même on obtient (environ) 2. Ainsi présente dans notre modernité, la racine carrée de 2 est aussi l’un des nombres les plus anciens à avoir été reconnus comme importants. On le trouve mentionné dans une tablette babylonienne qui date d’il y a près de quatre mille ans. Dans celle-ci, qui porte le nom fort peu poétique de YBC7289, la racine carrée de 2 apparaît en tant que constante fondamentale de la géométrie : c’est le résultat de la division de la longueur de la diagonale d’un carré par celle de son côté.

Dès l’aube de la civilisation et de l’écriture, √2 a ainsi permis de jeter un pont entre la géométrie (un carré, son côté et sa diagonale) et l’algèbre (le nombre qui, multiplié par lui-même, donne 2). On ignore quel fut le raisonnement des Babyloniens, la plus ancienne démonstration dont nous disposons ne remontant qu’à Platon, un bon millénaire plus tard. Quoi qu’il en soit, il s’agit (…)

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