Contrairement à ce qui s’est passé en musique ou en arts plastiques, les élites culturelles françaises se sont peu intéressées à l’art chorégraphique pendant une bonne partie du XXe siècle. C’est en Allemagne (Mary Wigman, Rudolf Laban) et aux États-Unis (Isadora Duncan, Martha Graham) qu’émerge la danse « moderne » et non en France, où la danse classique exerçait son hégémonie, incarnée par les corps de ballet des opéras. Isolés de l’intelligentsia, dominés esthétiquement et politiquement, les danseurs ont raté leur rendez-vous avec la modernité. Et quand, en 1961, le ministre de la culture, André Malraux, s’adjoint une direction du théâtre, de la musique et de l’action culturelle, l’art chorégraphique y est toujours synonyme de ballet classique.
Cette situation renvoie à l’histoire. À la fin du XVIe siècle, un glissement vers l’art chorégraphique s’opère. Une danse savante se formalise à la cour. Avec l’escrime et l’équitation, elle a vocation à affirmer le corps civilisé convenant à la distinction du parfait homme de cour. Dans ce contexte s’instaure la séparation entre la danse comme pratique et la danse comme spectacle. Intégrée au théâtre à l’italienne, congruente avec l’idéal de représentation de soi des courtisans, de simple récréation elle devient instrument des relations codifiées entre le sujet et le prince. Avec la création de l’Académie royale de danse en 1661, acte majeur de l’histoire de l’art chorégraphique occidental, Louis XIV, danseur talentueux et metteur en scène, renforce l’institutionnalisation de la « belle danse », ancêtre de la danse classique. L’art chorégraphique est progressivement constitué comme objet politique.
Sans surprise, l’historiographie a privilégié les danses de cour. Elle a accrédité une double partition dans le monde savant comme dans l’opinion — l’une, entre pratiques amatrices et professionnelles, l’autre, entre danses de participation et danses de représentation — porteuse d’enjeux politiques et esthétiques… réactivés (…)
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Christophe Apprill
Sociologue. Auteur des ouvrages Les Mondes du bal, Presses universitaires Paris-Nanterre, 2018, et Slow. Désir et désillusion, L’Harmattan, Paris, 2021.