douze ans de cauchemar d’une militante écologiste


Soorts-Hossegor (Landes), reportage

Six heures du matin, dimanche 15 avril 2012 en région parisienne : le bruit du téléphone sort Sylvie Brossard et son mari, Richard C., de leur sommeil. « Gendarmerie de Capbreton, c’est à propos de votre villa », annonce la voix au bout du fil.

À 700 kilomètres de là, le soleil commence à peine à lécher la toiture en tuiles rouges de la vieille bâtisse, boulevard de la Dune. En contrebas, les embruns enveloppent la sublime plage de Soorts-Hossegor, encore endormie. « Il y a un incendie, madame ! » annonce le messager matinal.


Sylvie Brossard a acheté en 2003 sa villa sur le front de mer d’Hossegor.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Sylvie Brossard reste interdite. Dans sa tête, les images se mélangent aux interrogations et à ce mauvais pressentiment, que confirmera l’expertise de l’assurance : l’incendie était d’origine criminelle. Elle se fait immédiatement une promesse : reconstruire.

« Peut-être que j’aurais agi différemment si j’avais su le prix à payer », dit-elle aujourd’hui, lors d’un bref moment de doute. Avant de se reprendre : « Et puis non, pourquoi faudrait-il que j’abandonne ? Pourquoi devrait-on renoncer à sa passion et à sa vie ? »

En douze ans, cette mère de famille et son mari ont été emportés dans un inextricable tourbillon judiciaire et administratif, révélateur de la grande solitude des voix qui osent, à leur échelle, s’élever pour la défense de l’environnement. « L’affaire Brossard, c’est une histoire de fou », résume l’ancien premier adjoint de Soorts-Hossegor, Jean-Jacques Tirquit.


© Louise Allain / Reporterre

Acte 1 : la procédure d’expropriation

Sylvie Brossard, alors travaillant dans la communication et âgée d’une quarantaine d’années, a placé en 2003 toutes ses économies dans cette villa. En 2007, des travaux doivent bétonner le dernier bout de dune préservé de cette partie du front de mer pour construire un parking et un restaurant panoramique. La riveraine, qui habite à deux pas du futur chantier, lance des recours « pour sauver la dune », invoquant la loi Littoral et la préservation de cet îlot de biodiversité.

Le tribunal administratif de Pau lui donne raison en 2008 et interrompt les travaux. Dans Soorts-Hossegor, c’est un choc. « Nous ne sommes pas habitués à ce que l’autorité du maire soit remise en cause », dit l’ancien adjoint Jean-Jacques Tirquit.


La fréquentation de la plage et du bord de mer de Soorts-Hossegor est décuplée en été, en faisant un enjeu fort pour la municipalité.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Un nouveau conflit l’oppose à la mairie en 2011. Cette dernière lui demande de défricher sa parcelle, qu’elle juge trop touffue. Cela fait tache, à une centaine de mètres de la place des Landais, épicentre du surf hexagonal et haut lieu de bringue estivale. « C’est une oasis verte dans un océan de béton », répond Sylvie Brossard. Hors de question d’y faire rugir une tronçonneuse.

Le dialogue semble impossible entre cette passionnée de vie sauvage qui « déteste le béton » et la municipalité de Soorts-Hossegor, ville cossue qui passe de 3 500 habitants en hiver à plus de 50 000 en haute saison et où le prix moyen du mètre carré d’une maison dépasse les 10 000 euros.

« On en a marre de vous depuis longtemps »

C’est dans ce contexte que le feu détruit la maison du couple, le 15 avril 2012. L’origine du sinistre est intentionnelle, mais l’enquête de la gendarmerie locale n’est pas parvenue à désigner de coupable.

« On en a marre de votre taudis. On en a marre de vous depuis longtemps », aurait lâché le directeur des services techniques de Soorts-Hossegor à Richard C., quelques jours après l’incendie, d’après une plainte qu’il a déposée à la gendarmerie. Contacté par Reporterre par l’intermédiaire de la mairie, le responsable affirme aujourd’hui ne pas se souvenir de cette altercation.


Sylvie Brossard et ses amies continuent de venir régulièrement sur la parcelle, qu’on pourrait croire abandonnée, pour la surveiller.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Les années passent. Un nouveau maire, Xavier Gaudio, prend les commandes de la ville. C’est lui qui, en secret, le 4 décembre 2015, prend la décision de classer la parcelle du couple en « emplacement réservé ». Sylvie Brossard l’ignore, mais sa villa calcinée fait désormais l’objet d’une procédure d’expropriation. Le maire veut-il empêcher le couple de reconstruire ? Espère-t-il faire taire l’écologiste ? Ou a-t-il un projet urbanistique sur cette parcelle située à deux pas de l’océan ?

La procédure ne fait l’objet d’aucune justification publique, comme l’exige pourtant la loi. « Elle a été votée sans débat au Conseil municipal, au milieu de dizaines d’articles. C’est la bombe atomique pour tuer une mouche. Une spoliation pure et simple », s’insurge Jean-Jacques Tirquit, à qui on a caché la manœuvre alors qu’il était adjoint en charge de l’urbanisme.

Sylvie Brossard découvre la mesure d’expropriation en juillet 2017 alors qu’elle espère entamer les travaux. Elle blêmit : « Je n’ai fait que faire appliquer la loi, pour protéger la nature. »

Acte 2 : le chantage

Rapidement, un dégel s’amorce. Le maire, Xavier Gaudio, s’engage par écrit à lever la procédure d’expropriation si la maison est rénovée. Les époux obtiennent un permis de construire en juin 2018 et prévoient de rehausser la bâtisse d’un demi-étage et de l’aménager comme la proue d’un navire. « On installera une longue vue, à l’étage, pour observer les dauphins qui se rapprochent parfois de la plage », se promet Sylvie Brossard.


Alors que des tractopelles préparent et remettent en état la plage pour la course de quads et motos «  Ronde des sables  », Sylvie Brossard rêve, elle, de voir des dauphins à la longue vue.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

À Soorts-Hossegor cependant, les esprits s’échauffent au sujet du lac salé, caché derrière les dunes, qui longe la côte sur deux kilomètres et fait la renommée de la commune. « Autour du lac, il y a un représentant du CAC40 dans chaque villa », dit Jean-Jacques Tirquit. Or, sans un dragage régulier, le lac est voué à s’ensabler, ce qui nuirait au cachet des demeures. Des travaux monstres s’organisent donc régulièrement pour en prélever le sable, avec des conséquences importantes sur le milieu naturel.

En 2018, Sylvie Brossard devient porte-parole locale de la Sepanso, une association de défense de l’environnement, qui conteste l’opération de « dragage éclair » qui a débuté sans mesure compensatoire pour les espèces animales touchées. Nouveau recours en référé. Nouvelle suspension administrative. Nouveau scandale dans Soorts-Hossegor.

« Cocktail Molotov ? »

Le lendemain de la décision du tribunal, le 22 décembre 2018, le maire, Xavier Gaudio, publie sur Facebook une photo de la maison en chantier. « Ce taudis appartient à la porte-parole de la Sepanso. Depuis des années, la commune lui demande sans succès de la réhabiliter. […] Les donneurs de leçons pourraient commencer par balayer devant leur porte », écrit l’élu. Parmi les 118 commentaires postés sous la photo, un homme propose de « craquer une allumette ». Un autre suggère : « Cocktail Molotov ? »

Sylvie Brossard raconte avoir été prise d’effroi, mais elle ne va rien lâcher. Elle porte plainte et enjoint le maire à respecter sa promesse de lever la procédure d’expropriation. Son courrier reste sans réponse.

Acte 3 : les vagues

À la mairie de Soorts-Hossegor, le « dossier Brossard » constitue une épaisse pile de paperasses mal rangées. Un nouveau maire est élu en juin 2020 et reçoit rapidement les époux. Malgré cette bonne volonté, le dialogue tourne encore au vinaigre.


Le lac marin artificiel d’Hossegor est aujourd’hui pollué et ensablé.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Dans la ville, le couple bénéficie de quelques soutiens et rencontre beaucoup d’indifférence. À la mairie, on nie que les ennuis de Sylvie Brossard soient liés à son engagement écologiste. Élue première adjointe en 2020, Maëlle Dubosc-Paysan affirme que le conflit s’est envenimé à cause des caractères explosifs des différents acteurs, des nombreux recours en justice de Sylvie Brossard et de la misogynie ambiante à la mairie.

« Les pouvoirs publics ont autre chose à faire que de combattre les écolos », minimise l’élue, aujourd’hui en guerre ouverte avec le maire. Elle tacle toutefois la Sepanso : « Quand vous tombez trop dans l’excès, vous passez pour des Khmers verts. Et parfois vous en êtes. »


En 2018, Sylvie Brossard était porte-parole de l’association qui a contesté et obtenu une suspension administrative du dragage du lac.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Pour ne rien arranger, les services de la ville dissuadent les artisans de travailler pour le couple, estimant leur permis « périmé ». Ce que nient fermement les époux. Ils parviennent néanmoins à faire démarrer les travaux. En six jours, fin novembre 2023, la ruine est mise à terre.

« Quoi que nous fassions, nous avons tort »

Mais l’optimisme de Sylvie Brossard est percuté en janvier 2024 par un « arrêté interruptif des travaux ». En démolissant, la propriétaire est sortie de ce que lui autorise son permis de construire. Elle doit remettre la ruine dans son état initial et faire une nouvelle demande de permis de démolition-reconstruction ou de régularisation.

Ceux-ci risquent de lui être refusés, au nom du fait qu’entre-temps la parcelle a été classée rouge au plan de prévention des risques littoraux (PPRL) : face au risque que représentent les vagues, la loi interdit toute extension de maison.

Sylvie Brossard comptait sur la justice et se retrouve percutée par le droit. « J’ai été ensevelie sous les procédures et j’ai commis une erreur avec cette démolition partielle, soupiret-elle. Ils me reprochent d’avoir détruit une ruine qu’ils me demandent de détruire depuis dix ans. Quoi que nous fassions, nous avons tort. »


Sylvie Brossard dans sa villa détruite par le feu et à la reconstruction à peine entamée.
© Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Le 20 janvier 2025, Ainoha Pascual, l’avocate de Sylvie Brossard, a déposé une nouvelle plainte contre X, entre autres pour « harcèlement », devant le procureur de la République de Dax.

Le recours en appel contre l’emplacement réservé, rejeté en première instance par le tribunal administratif de Pau, le 27 juin 2023, est encore en cours d’instruction. Tandis que l’ancien maire a été condamné en mars 2024 pour son post Facebook de 2018.

Ni la communauté de communes, ni la ville de Soorts-Hossegor n’ont souhaité faire de commentaire, « pour ne pas alimenter le débat », indique cette dernière à Reporterre.

Interrogé par Sylvie Brossard lors d’une réunion publique, le 15 octobre 2024, sur la raison du maintien de l’emplacement réservé, dix ans après son vote sans motivation officielle, le maire Christophe Vignaud s’est muré dans le secret : « Pour l’instant, le projet, je vais le garder pour moi, si ça ne vous gêne pas », a-t-il lancé à l’assemblée. L’avenir de la villa de Sylvie Brossard et son mari Richard reste suspendu à la volonté de l’édile…



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