Qu’on en ait peur ou qu’on l’attende, le futur va finir par arriver, alors pourquoi ne pas s’y préparer ? Être capable de réfléchir à l’avenir, d’appréhender différents scénarios et d’adapter ses actions en fonction, c’est ce qu’on appelle la prospective, le « design fiction », ou encore la « littératie du futur ». Est-ce une bonne idée de s’y consacrer ?
Pour répondre à cette question, entrons dans le vif du sujet :
« Dans notre monde complexe, les défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés nécessitent des approches plus inclusives et agiles en matière de conception de politiques et de prise de décisions. Enracinée dans la discipline de l’anticipation, la littératie des futurs peut améliorer notre capacité à façonner des politiques et des systèmes qui résistent aux chocs et créent une résilience à long terme. »
Voilà ce que l’on peut lire dans une publication de l’UNESCO, parue en 2023. Comment ne pas vouloir répondre à ces « défis mondiaux » ? Comment ne pas se sentir concernés ? La graine est plantée.
« Dans un monde marqué par des crises climatiques, sociales et technologiques, préparer les jeunes générations à naviguer dans l’incertitude est devenu une nécessité », écrit The Conversation en introduction d’un article paru le 28 janvier 2025. En guise d’exemple, on parle de jeunes âgés de 7 à 12 ans « inquiets pour la planète », qui ont participé en 2018 à une expérience sur « les représentations sociales du réchauffement climatique ». On leur parle du problème, et ils dessinent ce que ça leur évoque. Résultat : sur 42 enfants, une seule a représenté des « bons comportements » à adopter, tandis que les autres ont montré les causes ou les conséquences du phénomène. Conclusion : il faudrait « dépasser ce court-termisme » et « envisager des trajectoires durables » pour pouvoir agir en fonction.
Si l’idée en soi est intéressante, la mise en application pose question pour au moins deux raisons : la complexité du problème et la jeunesse de la cible. D’abord, il faut considérer que lesdites « crises » de notre monde ne sont pas perçues de la même manière par tout le monde, tout comme les causes ne sont pas toujours clairement identifiées, et les conséquences de nos actions encore moins. Et puis, de quel futur avons-nous envie ? Là encore, tout le monde n’est pas d’accord. Bref, c’est un sujet éminemment complexe et souvent anxiogène.
« En explorant différents types de futurs – probables, souhaitables et recadrés – les Sciences sociales et humaines de l’UNESCO encouragent les participants des Laboratoires de Littératie des Futurs à échapper aux récits dominants sur le futur et à embrasser de nouvelles possibilités d’action. »
C’est la première volonté du plan présenté par l’UNESCO. Think different, comme qui dirait. Penser différemment des discours dominants, vraiment ? Au début de la « crise sanitaire » du Covid-19, pendant que certains comptaient les morts et en prédisaient toujours plus, et que d’autres imposaient un passe sanitaire pour protéger la population immédiatement, d’autres encore réfléchissaient plutôt aux conséquences à long-terme de la vaccination, du confinement, ou de l’ordre social imposé. Dans ce cas là, penser différemment pour mettre en garde contre un futur non désirable et motiver d’autres actions, quand bien même ce ne fut que de la prospective, c’était à la limite du complotisme. Bouh.
Alors, penser au futur, d’accord, mais pas tous les futurs, ou pas pour tout le monde ? Et puis de toute façon, le futur, qui le construira ? Les jeunes générations. Voilà sûrement pourquoi l’UNESCO, à travers ses Laboratoires de Littératie des Futurs, planche sur la question auprès des jeunes.
« Grâce à un processus participatif d’apprentissage par l’action, les individus peuvent ressentir et donner un sens à différents récits du futur, et explorer différentes façons de connaître à travers un processus de création de connaissances par intelligence collective. Ce processus favorise une compréhension du changement, conduisant à un plus grand confort face à l’incertitude et à la différence. »
C’est la deuxième volonté du plan. Récits fictionnels, jeux de rôles, dessin, simulations, débats, tous les moyens sont bons pour permettre aux enfants de « raisonner sur des concepts abstraits » (The Conversation). Tout cela est bien beau, mais c’est aussi une douce manière de faire accepter aux enfants qu’il y a une « crise » (dont ils n’avaient peut-être pas connaissance jusque là), qu’il faut la résoudre et que c’est à eux de le faire. Une douce manière de former ce qui peuvent encore l’être, alors même qu’à cette période de la vie, on a beaucoup d’autres choses à apprendre et à construire (l’esprit critique, entre autres), justemment pour être prêts à l’avenir. Et si c’est l’UNESCO qui les forme à réfléchir, nul doute que ce qui en sortira plaira à l’UNESCO.
Mais peut-être que pour entrevoir un futur positif, les enfants ont d’abord besoin d’un cadre positif, qui n’est pas fait de crises, mais de rêves ? Ne pourrions-nous pas laisser aux adultes le soin d’être garants de l’avenir, pour que les jeunes puissent en profiter, plutôt que s’y préparer ? Pour ça, il faudrait véritablement que tous les discours soient acceptés, et que l’on imagine ensemble le devenir de nos sociétés.