L’eau amorçait à peine une lente décrue, trois jours après le début d’une inondation historique dans l’ouest de la France, que Météo-France annonçait le 29 janvier au matin « de nouvelles pluies et de fortes rafales de vent » sur trois départements. L’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique et le Morbihan restent donc en vigilance rouge, alors que Vigicrues prévient que l’Ille-et-Vilaine fait face à un risque « d’inondations très importantes, y compris dans les zones rarement inondées ».
Sur l’ensemble du département, plus de 1 000 personnes ont déjà été évacuées et « des milliers et des milliers d’hectares de prairies sont inondés », dit le président du département, Jean-Luc Chenut.
À Rennes, la crue débutée les 25 et 26 janvier a déjà touché une centaine de maisons et plusieurs dizaines d’immeubles collectifs, soit 15 000 personnes, selon la mairie. Le niveau de la crue historique de 1995 devrait être battu à Redon, un des villages les plus durement touchés.
Les inondations le long de la Vilaine ne sont pas un phénomène nouveau. L’inondation en cours souligne néanmoins la nécessité de faire évoluer les pratiques urbanistiques, estime Nadia Dupont, géographe à l’université Rennes 2 et au laboratoire Espaces et Sociétés du CNRS.
Reporterre — Les inondations en cours ont montré que des zones inondables ont été largement urbanisées. Comment expliquer que le risque n’a pas été pris en compte alors qu’il était largement connu ?
Nadia Dupont — Nous avons construit en zones inondables sur le bassin de la Vilaine dès le XIXe siècle, pour des raisons liées à l’usage de la rivière. Le village de Guipry, qui compte parmi les plus touchés aujourd’hui, est lié historiquement à la navigation. Le port et les habitations autour sont donc exposés.
À Rennes, cela a été un processus progressif. Nous avons commencé à construire depuis longtemps dans des secteurs plutôt bas, en plaine, en zone inondable. Puis l’urbanisation s’est densifiée. La ville a remblayé pour continuer à construire, malgré la présence du risque, car les inondations sont certes régulières, mais pas dans les proportions que nous observons aujourd’hui.
La Vilaine a également été réaménagée. Son lit a été creusé pour essayer de limiter les débordements et des barrages ont été construits en amont pour tenter de stocker l’eau. La situation que nous traversons montre les limites de ces aménagements.
Faut-il déménager les zones frappées par l’inondation, ou au contraire apprendre à vivre avec ce risque accru ?
Cet événement nous alerte sur la nécessité de stopper l’urbanisation des zones inondables. Nous devons préserver les zones non urbanisées pour permettre justement l’inondation. Le débordement est un fonctionnement naturel, face à de tels volumes d’eau. Si l’on draine ou endigue la rivière pour empêcher la crue à un endroit, nous ne faisons que la déporter ailleurs, sans savoir exactement où et avec quelles conséquences.
À travers le plan de prévention des risques du bassin de la Vilaine, les autorités essayent donc de sanctuariser au maximum ces zones, mais avec les volumes d’eau que nous observons aujourd’hui, ce sont des secteurs énormes qu’il faut prévoir pour les débordements.
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À Rennes et dans les zones déjà urbanisées, la situation est différente. Raser ces quartiers parfois anciens serait démesuré par rapport au risque réel. L’eau est montée lentement, laissant le temps aux personnes de se mettre en lieu sûr. Les dommages sont importants, mais le risque est moins élevé que dans le sud, où les inondations sont rapides et violentes.
Nous pourrions donc choisir d’accepter ce risque et de faire des aménagements pour limiter au maximum les vulnérabilités et les dégâts. Des techniques architecturales ont fait leurs preuves. Nous construisons par exemple sur pilotis.
Mais avec le dérèglement climatique, ces événements vont changer en fréquence. Une inondation comme celle que nous connaissons n’arrive encore que tous les vingt ans, voire plus. Si elles deviennent plus récurrentes, avec des successions de sécheresse et de fortes précipitations, leurs conséquences seront plus difficiles à accepter.
A-t-on perdu la culture du risque, face à ces inondations qui sont en réalité déjà bien connues ?
Dans nos recherches, nous considérons que la mémoire des personnes dure une dizaine d’années. Lorsqu’un événement extrême survient, nous avons tendance à chercher les responsables, alors que nous avons tous un peu perdu la culture du risque. En Bretagne, ces dernières années, c’était la sécheresse qui occupait les esprits. Comment fait-on, alors que l’eau vient à manquer, pour préparer les populations à adopter les bons réflexes lorsque de grands volumes d’eau vont déferler ? C’est un travail de long cours. Il faut accroître notre connaissance commune du fonctionnement des cours d’eau.
Les plans de prévention des risques d’inondation sont-ils suffisamment dimensionnés ?
Ils se basent sur les crues les plus hautes connues, sans véritablement prendre en compte les conséquences du changement climatique qui va les rendre plus massives. Il faudrait les faire évoluer, mais cela pose un problème d’acceptation auprès des élus et des habitants. Ils ont plus de difficulté à se baser sur des prévisions éloignées de ce que les gens ont vécu.
La question climatique nous fait complètement changer de référence et c’est d’autant plus difficile à appréhender face à des événements qui restent relativement rares.
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