Chaque année, l’industrie du football pollue autant que 150 millions de barils de pétrole


Dans le jargon footballistique, on appelle ça un but contre son camp. Une étude inédite publiée le 3 février par le New Weather Institute, révèle que l’industrie du football génère chaque année entre 64 et 66 millions de tonnes de CO2 équivalent. Soit autant que les émissions annuelles de l’Autriche, ou l’équivalent de la combustion de 150 millions de barils de pétrole.

Le football court ainsi directement à sa perte. Les terrains du monde entier subissent de plein fouet les dérèglements climatiques. Fin janvier, le Roazhon Park, où évolue le Stade Rennais, avait les pieds dans l’eau en raison des inondations historiques en Ille-et-Vilaine.

L’étude, menée par des chercheurs britanniques du Scientists for Global Responsibility, met en évidence trois principales sources d’émissions : les déplacements des supporters, la construction des stades et les partenariats avec des entreprises polluantes.

Cette dernière source, souvent négligée dans le bilan carbone du football, pèse particulièrement lourd : elle représente 75 % des rejets du secteur du football. Les grandes entreprises, notamment aériennes ou pétrolières, exploitent en effet l’image du sport pour promouvoir des activités à forte empreinte carbone. Qatar Airways, par exemple, sponsor principal du Paris Saint-Germain (PSG), tente de vendre ses voyages en avion aux spectateurs. Tout comme Emirates avec le Real Madrid, ou le constructeur automobile Audi avec le Bayern Munich.

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Le football est énergivore, et certains exemples sont édifiants. Lors d’une Coupe du monde masculine, la présence du public et l’alimentation des infrastructures génèrent en un seul match entre 44 000 et 72 000 tonnes de CO2. Soit autant que 31 000 à 51 500 voitures circulant pendant un an au Royaume-Uni. En Premier League, l’élite du championnat anglais, une rencontre produit environ 1 700 tonnes de CO2, un chiffre qui double pour un match de Ligue des champions en raison des voyages en avion des spectateurs. Si l’on inclut les émissions liées aux sponsors, ces chiffres pourraient grimper de 350 % par match.

La Coupe du monde au Qatar a même été renommée le « Mondial de l’avion »

L’expansion des compétitions internationales aggrave la situation. La Coupe du monde masculine passera de 32 à 48 équipes en 2026, nécessitant davantage de déplacements et de nouvelles infrastructures. Lors des éditions précédentes [1], le transport aérien représentait déjà entre 74 et 86 % des émissions. En 2022, l’édition au Qatar a même été renommée le « Mondial de l’avion », environ 1 million de spectateurs devant rejoindre leur hôtel… en avion.

Un rapport prouvant « sans équivoque que le football est un pollueur majeur et que la situation empire », affirme Stuart Parkinson, l’un des auteurs de l’étude. La situation pourrait être pire, reconnait-il, tant les données manquent. Et le football féminin, lui, encore largement sous-financé, ne représente qu’une infime partie des émissions du football masculin.

Stades inondés, matchs annulés

Face à cette situation, plusieurs joueurs et joueuses tirent la sonnette d’alarme. « Le changement climatique est une menace directe pour notre jeu, alerte dans le rapport David Wheeler, du Wycombe Wanderers FC, en Angleterre. En tant que joueur et père, je veux que les générations futures puissent continuer à profiter du football comme nous l’avons fait. »

« Chaque pelouse inondée, chaque coup de chaleur qui frappe les joueurs, ce sont les signes d’un problème que nous continuons à nourrir et qui peut tous nous mettre à terre, souligne Tessel Middag, internationale néerlandaise des Rangers FC. Le football a une responsabilité énorme et doit devenir un moteur du changement. »


Inondations au stade Arena do Grêmio, au Brésil, le 7 mai 2024.
© Carlos Fabal / AFP

Les conséquences sont déjà visibles. En mai dernier, le stade Arena do Grêmio, au Brésil, a été inondé. Lors de la dernière Copa America, chaleur et humidité ont mis à rude épreuve joueurs et arbitres.

En Europe, des rencontres sont annulées ou déplacées en raison d’intempéries et de plus en plus de matchs incluent des pauses fraîcheur lors des vagues de chaleur pour que les joueurs puissent boire. Quant à Los Angeles, qui accueillera huit matchs du Mondial 2026, elle a récemment été ravagée par des incendies.

« Ce sport doit choisir : continuer à faire semblant ou devenir un véritable acteur du changement »

Malgré ces avertissements, les instances dirigeantes tardent à réagir. Si la Fifa et l’UEFA se sont engagées à réduire de moitié leurs émissions d’ici 2030, leurs décisions vont à l’inverse de ces ambitions. L’extension des tournois internationaux et la signature de contrats avec des géants des énergies fossiles, comme la multinationale saoudienne Aramco, témoignent d’une priorité donnée aux profits plutôt qu’à la transition écologique.

Ce partenariat a été vivement critiqué, notamment par plus de 130 joueuses, qui dénoncent non seulement son rôle dans la crise climatique, mais aussi ses atteintes aux droits des femmes et à la communauté LGBTQ+.

« Tout le monde veut un football qui ne soit pas stoppé par les inondations, les tempêtes ou les incendies. Mais en continuant à collaborer avec les plus gros pollueurs, les instances du football jouent contre leur propre camp », dénonce Andrew Simms, du New Weather Institute.


À la Copa America 2024, ici le 29 juin en Floride, chaleur et humidité ont mis à rude épreuve joueurs et arbitres.
© Carmen Mandato / Getty Images North America / Getty Images via AFP

Le rapport propose plusieurs mesures pour limiter les émissions du football. Parmi elles : privilégier des compétitions plus régionales pour éviter les déplacements massifs, mettre fin aux accords de sponsoring avec les entreprises fossiles et repenser complètement la mobilité des supporters. « Le football ne doit plus être le porte-drapeau d’une industrie qui nous mène droit dans le mur », insiste Peter Crisp, de l’association Fossil Free Football.

Certaines initiatives montrent que d’autres choix sont possibles. En Angleterre, le club de Forest Green Rovers alimente son stade en énergies renouvelables et propose une restauration 100 % végétale. Généraliser le train pour les déplacements des équipes, favoriser les transports en commun pour les spectateurs et concevoir des stades moins énergivores sont, pour les auteurs, autant de pistes à explorer.

« Les fans voient bien que le football est devenu une machine à cash, sans considération pour les conséquences. Ce sport doit choisir : continuer à faire semblant ou devenir un véritable acteur du changement », résume Peter Crisp. En ce sens, le rapport est clair : si ses dirigeants ne prennent pas rapidement des décisions fermes, ils risquent d’encaisser un carton rouge.

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