Contre les clichés, une brève histoire du véganisme


Officiellement né durant la Seconde Guerre Mondiale, le véganisme est un mode de vie qui refuse toute forme d’exploitation animale. Que vous n’en sachiez pas plus sur ce mouvement ou que vous y soyez sensibles sans tout y connaître, découvrez la brève histoire du véganisme.

Si le végétalisme (alimentaire) a connu de nombreux échos à travers l’Histoire et les cultures, le véganisme (tous les produits issus de l’exploitation animale), s’est principalement développé comme tel dans les pays de l’hémisphère nord et mêle une lutte globale en faveur des animaux, de l’environnement et de la santé.

Faire le tour de ce sujet de manière exhaustive relèverait de l’exploit, mais une brève histoire du véganisme suffira à clôturer le Veganuary, ce mois de sensibilisation au véganisme propulsé par L214, en tentant d’expliquer les grandes lignes du mouvement.

Les origines d’un mouvement basé sur l’empathie

Le mot « vegan » (ou « végane » dans certains dictionnaires comme Le Robert) est un anglicisme lui-même dérivé du mot vegetarian. Le cofondateur de la Vegan Society, Donald Watson, a proposé l’abolition des lettres centrales après avoir essuyé le refus de la Vegetarian Society de promouvoir un mode de vie sans produits laitiers dans son magazine.

Il est repris en 1951 par la Vegan Society et commencera dès lors à entrer dans les mœurs. En France, il faut attendre 2013 pour que le mot apparaisse dans les dictionnaires et soit défini comme l’exclusion de la consommation de produits d’origine animale, tous domaines confondus (alimentation, textile, cosmétique, santé, tourisme loisir, spectacle…). Quand le véganisme ne touche que l’alimentation, on parle alors de végétalisme.

La naissance de ce mouvement semble se développer parallèlement à celle d’exploitations de plus en plus grandes du vivant : la modernisation de l’agriculture de l’après-guerre en France, comme ailleurs, coïncide avec l’apparition progressive de fermes-usines dans lesquelles les animaux s’entassent, au détriment de leurs besoins et de leur bien-être. Le rendement prend alors le dessus sur la morale, légalisant des modes de production intensifs qui nient totalement les besoins de la faune comme de la flore.

Maltraités, torturés, concentrés, abattus ou pêchés dans des conditions terribles : la demande de viande et de poisson explosant à la sortie de la guerre, agriculture et pêche prennent la route d’un productivisme à outrance qui entraîne avec lui, d’année en année, toutes les dérives possibles concernant le traitement des animaux.

L’exploitation animale enferme et exploite les animaux à vie, avant de les abattre. Source : Wikimedia Commons

C’est dans ce contexte que des voix commencent à s’élever, comme celle des philosophes Peter Singer, Richard D. Rider ou Gary Francione qui s’opposent, avec des approches toutefois différentes, au fait d’infliger volontairement de la douleur à des êtres que nous savons doués de sensibilité. Ces mêmes philosophes développent alors le concept d’antispécisme, qui considère qu’aucune espèce ne peut ou doit être traitée différemment d’une autre.

Le véganisme, associé à l’antispécisme, s’affirme comme une pensée politique mise en pratique qui refuse que soient utilisés des animaux nés pour souffrir jusqu’à leur mort, au profit de la consommation humaine. Or, agriculture productiviste et bien-être animal sont incompatibles, comme le rappelait Audrey Jougla dans un récent entretien. Dès lors, une seule solution possible pour celles et ceux qui s’opposent à la souffrance animale : agir personnellement en refusant tout produit nécessitant leur exploitation.

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Plus personne ne peut dire « Je ne savais pas »

La visibilité du mouvement a explosé ces dix dernières années. En France, l’association L214, née en 2008, est à l’origine d’une réelle prise de conscience : ses vidéos d’élevages et d’abattoirs, qui se contentent de montrer la réalité des faits, ont révélé au grand public ce que l’industrie agro-alimentaire prend soin de dissimuler.

Accusée de sectarisme ou d’extrémiste par ses détracteurs, L214 ne fait pourtant rien d’autre qu’aller là où personne ne va, et montrer ce qu’on veut nous cacher. Ces vidéos ont permis à de nombreux Français de prendre le recul nécessaire pour réaliser que la normalité n’était pas celle que l’industrie tente de nous vendre depuis des décennies.

Soyons honnêtes, qu’est-ce qui est extrême ? Dissimuler une caméra dans un abattoir qui découpe des animaux encore vivants ou… découper des animaux encore vivants ?

Pourtant, ces « extrémistes » que sont L214 ne sont pas abolitionnistes. Il existe en effet deux courants majeurs au sein du mouvement : les réformistes, qui souhaitent modifier le système actuel afin de le rendre plus « vivable » pour les animaux qui en pâtissent, et les abolitionnistes, comme 269 Libération Animale, désireux de mettre un terme à toute forme d’exploitation animale, sans compromis.

Les deux ont leurs arguments. Avec un rythme actuel tuant jusqu’à 6,5 milliards d’animaux terrestres et marins chaque jour, la position réformiste se défend d’être la plus réaliste, même si elle implique que des animaux continuent de souffrir pour nous nourrir, nous soigner et nous vêtir.

L’industrie agro-alimentaire nie les besoins primaires des animaux, au nom du profit. Source : Francis M. – flickr

En révélant ce que peu de personnes souhaitent voir, les vidéos de L214 ont également cristallisé les tensions dans les débats car désormais, plus personne ne peut dire qu’il ne sait pas. Toutefois, seule une minorité souhaite bouleverser ses habitudes de vie et de consommation.

Devenir végane, ce n’est plus simplement manifester, exprimer verbalement son désaccord ou signer une pétition. C’est radicalement changer sa manière de percevoir le monde, changer le contenu de son frigo, faire face (au mieux) à l’incompréhension et aux moqueries… Un cap que très peu de personnes sont capables de franchir tout en ayant conscience que la souffrance des animaux des élevages est indéfendable.

De fait, cette position qui dérange est souvent à l’origine de commentaires et comportements provocateurs ou agressifs : à défaut d’arguments, insultes, moqueries ou inversement de paradigme (les véganes sont les extrémistes pour encore 45% des Français) deviennent les dernières armes disponibles contre un mouvement qui ne fait que porter la voix de ceux qui n’en ont pas.

Un mode de vie aux multiples visages

Le mouvement végane est loin d’être uniforme même s’il fait converger la notion d’empathie, le respect des animaux et un désir profond de réforme de notre système de production (alimentaire, textile…) mondial. Si la majorité des véganes le sont par empathie vis-à-vis des animaux, certains le deviennent dans une démarche écologique, d’autres encore pour leur santé.

Plus globalement, c’est une prise de conscience qui va par-delà une « simple » révolte face à la maltraitance animale : devenir végane, c’est réaliser que les bases de notre monde contemporain sont terriblement bancales et génératrices de souffrance, de destruction, de pollution. C’est réaliser qu’il y a, en profondeur, quelque chose qui cloche et que si l’humain en est le seul coupable, nous en sommes tous victimes : homme, animal, nature.

À l’instar des courants politiques, religieux, communautaires ou sociaux, le véganisme s’est rapidement vu essentialisé. Or, la communauté végane est variée. Elle reste toutefois l’adage des nouvelles générations, le nombre de véganes diminuant proportionnellement avec l’âge.

Source : Treeninglife

Si la sensibilité de ceux qui s’en réclament s’inscrit par essence dans une mouvance politique de gauche, progressiste et sociale, de nombreux véganes sont apolitiques, et surtout, comme partout, l’être humain est suffisamment complexe pour que l’idée de le catégoriser soit vite caduque.

Il existe des véganes musulmans, athées, chrétiens ou juifs, des véganes ingénieurs, des véganes au RSA, des véganes en famille mono-parentale avec trois enfants, des véganes étudiants, des véganes au SMIC, des véganes d’extrême-gauche, des véganes d’extrême-droite, des véganes qui mangent des légumes bio et locaux, d’autres qui préfèrent les chips et le Coca. N’en déplaise aux détracteurs qui le perçoivent comme une secte : le véganisme n’a pas de loi, pas de Livre, pas de gourou. C’est un choix, guidé par son sens moral et ses convictions personnelles, qui pousse ceux qui s’y essaient à faire de leur mieux.

Véganes et végétariens s’affrontent d’ailleurs parfois, les premiers reprochant aux seconds de continuer à faire vivre l’exploitation animale. Il est avéré que la production d’œufs et de produits laitiers sont sources de grandes souffrances. Quel dommage, toutefois, de ne pas plutôt saluer la prise de conscience de chaque personne qui tend à réduire sa consommation de produits animaux.

Le végane parfait n’existe pas, tout n’est pas noir ou blanc mais riche en nuances de gris. Beaucoup de personnes concernées par le mouvement se disent d’ailleurs « végéta*iennes » : des végétariens « presque » véganes, qui font leur part en consommant le moins de produits animaux possibles mais peuvent manger une denrée contenant du fromage s’il n’y a rien d’autre au menu, porter la ceinture en cuir qu’on leur a offerte ou manger les œufs de leurs poules…

Le véganisme a pour première motivation la fin de l’exploitation animale. Photo de Simon Berger sur Unsplash

Si 1/4 des Français se disent prêts à tester le régime végane pendant un mois, d’après une étude Deliveroo, le restant (donc, la majorité) ne souhaite pas devenir végane, par conviction personnelle ou simplement parce qu’il s’agit d’un mode de vie trop contraignant par rapport à nos habitudes culturelles et de consommation. Les injonctions à devenir végane rebutent plus qu’elles n’encouragent. Culpabiliser ne sera jamais la clé. Ce constat étant fait, évertuons-nous à saluer toute initiative allant dans le sens de la bienveillance, aussi petite soit-elle, car chaque sursaut de conscience est une victoire !

Le véganisme, un choix de riche ?

Il est régulièrement reproché aux véganes de suivre un « régime de luxe » ou « de riche », voire de faire preuve d’une coquetterie réservée à une classe supérieure de la population. Il est temps d’abattre quelques clichés. Un régime végane équilibré contient beaucoup de fruits et légumes, de céréales, d’oléagineux, de protéines (soja, seitan, légumineuses) : un type d’alimentation qui n’est pas spécialement onéreux.

Un kilo de lentilles corail biologiques coûte entre 4 et 5€, tandis qu’un kilo de steak haché de piètre qualité tourne autour de 9€. Côté protéines, les lentilles corail avoisinent les 26G au 100G. Les steaks hachés… 19G. Petit bonus : les lentilles ne financent pas notre futur cancer du côlon.

Le véganisme n’est pas plus luxueux qu’un régime omnivore : le luxe, c’est de pouvoir choisir entre les deux ! En 2025, manger à sa faim et pouvoir remplir son frigo reste une chance que nous avons trop tendance à oublier. Pouvoir choisir entre du jambon entrée de gamme à 12€/kg, du jambon végétal à 29€/kg ou du jambon bio à 45€/kg, c’est une chance.

Le véganisme n’est pas un choix de riches : c’est un choix de citoyens ayant la chance de vivre dans un pays riche où pléthore de supermarchés côtoient petits commerçants et permettent de s’alimenter selon ses convictions. Manger produits et sous-produits animaux à chaque repas, voilà le véritable luxe, érigé en normalité il y a un demi-siècle et source du virage mortifère pris par l’agriculture mondiale.

Jambon et nuggets : comparatif de recettes végétales/carnées

Les industriels ont bien compris que la « niche » végane était en train de grossir. Ils ont commencé à proposer leurs propres gammes de produits végétaux, parfois ultra-transformés et souvent chers : rien ne force à les consommer, d’autant que certains contiennent par exemple des œufs de poules élevées dans les pires conditions (coucou Herta !). Ces produits sont nés dans l’unique but de faire du profit, non par sursaut d’empathie. Il existe parallèlement de très bonnes entreprises, éthiques, qui ne travaillent que des produits d’origine végétale et permettent de diversifier son alimentation.

Quant aux fameuses listes d’ingrédients accusées d’être interminables des produits véganes transformés, elles sont à relativiser. Ceux créés par l’industrie agro-alimentaire sont finalement à l’image des produits omnivores déjà massivement consommés : peu recommandables. Mais les entreprises végétales françaises, comme HappyVore, Accro, Tomm’pousse ou La Vie, font de réels efforts.

En effet, une petite comparaison entre jambons ou nuggets classiques VS végétaux suffit à faire la part des choses : dans les produits végétaux, pas d’additifs douteux, de nitrates ou encore de sucre… Des ingrédients oui, mais naturels. La viande la plus consommée, en plus d’être l’aliment le plus générateur de CO2 dont la chaîne de production implique quantités d’eau et céréales OGM, est rarement pure mais peut contenir de nombreux ingrédients transformés (« préparations hachées », poulets OGM, nuggets,…). Ainsi, une assiette végane reste bien plus écologique et plus éthique qu’une assiette omnivore, quelle que soit sa composition.

Le mouvement végan n’est pas simple à résumer, et peut difficilement être essentialisé. Évolutif, diversifié, personnalisé selon les contraintes individuelles, il témoigne avant tout d’une prise de conscience face au rouleau-compresseur qu’est l’industrie agro-alimentaire, visant le profit au détriment de toutes les formes de vie.

Végane ou non, il appartient à tous et toutes de faire de son assiette un choix politique, tourné vers une agriculture responsable et respectueuse des animaux, de l’homme et de la nature. Végétaliser son alimentation, totalement ou partiellement, n’est ni une sensiblerie, ni une mode : c’est une nécessité, pour le bien de toutes et tous. 

– Mélusine L.


Source image d’entête : Activistes véganes et anti-spécistes tentent de faire entendre la voix des animaux. Photo de Chuko Cribb sur Unsplash

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