Derrière une saga rocambolesque, les limites d’une démocratie
On crut d’abord à l’un des fiascos les plus retentissants dans l’histoire mondiale des coups d’État. Il fallut en effet moins de six heures pour qu’échoue celui tenté par le président sud-coréen Yoon Suk-yeol, le 3 décembre 2024. Mais, au fil des jours, le scénario d’une opération digne des Pieds nickelés céda la place à une autre interprétation des faits, autrement préoccupante.
Le 3 décembre dernier, le président de la Corée du Sud quitte soudainement une réunion du conseil des ministres, sans donner d’explication. La plupart des membres du gouvernement ne découvrent la raison de ce départ inattendu qu’en entendant M. Yoon Suk-yeol prononcer une allocution télévisée depuis la pièce adjacente : le pays s’apprête à connaître son dix-septième épisode de loi martiale depuis la fondation de la République, en 1948. Par chance, le plus bref.
Au moment où il prend la parole, les choses sont simples dans l’esprit de M. Yoon : lorsqu’une Assemblée nationale aux mains de l’opposition refuse d’obtempérer à un président — par exemple en ne votant pas le budget qu’exige son gouvernement —, elle bafoue le suffrage universel et méconnaît la Constitution. Qu’importe si les députés ont eux-mêmes été élus et si la force de l’opposition à l’Assemblée s’explique avant tout par la détestation dont fait l’objet le président en question. Dans le monde de M. Yoon, un Parlement obéit, ou se renverse.
Sur la base de cette logique — dont on imagine qu’elle pourrait séduire d’autres dirigeants politiques, et pas nécessairement en Asie —, le dirigeant conservateur dénonce la « dictature législative » organisée par l’opposition et la « paralysie » de l’État : « Une incitation à la rébellion qui piétine l’ordre démocratique (…) et perturbe les institutions légitimes établies par la Constitution et la loi. »
Or la Corée du Sud est toujours en guerre avec son voisin du Nord puisque, depuis l’armistice de 1953, son allié américain s’emploie à torpiller les efforts visant à signer un traité de paix. Pour M. Yoon, aucun doute n’est permis : les députés séditieux sont en réalité des agents communistes qui cherchent à « renverser [le] système démocratique libéral [du pays] » pour le livrer à l’ennemi. Qu’importe si la formation majoritaire au Parlement, le Parti démocrate (Minju), ferait passer le premier ministre français François Bayrou pour un zadiste et si elle a toujours contribué à (…)
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