Le 1er février, sur son réseau Truth Social, Donald Trump a invité les Californiens à « se réjouir d’une victoire obtenue de haute lutte ». En ordonnant l’ouverture de deux grands barrages, le président des États-Unis a déclenché la libération de 8,3 milliards de litres d’eau. L’équivalent de plus de 3 300 piscines olympiques ou de la consommation annuelle de 150 000 Français.
Objectif affiché ? Approvisionner le sud de la Californie, et notamment Los Angeles, pour affronter les mégafeux. Du 7 au 31 janvier, au moins 25 personnes ont péri dans les incendies « les plus dévastateurs » de l’histoire de l’État, d’après les mots de l’ancien président Joe Biden. Or, aux yeux de son successeur climatodénialiste, jamais un tel brasier n’aurait dû engloutir des quartiers de la « cité des anges » : « Si seulement ils m’avaient écouté il y a six ans, il n’y aurait pas eu d’incendie ! »
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En grand sauveur, le républicain a mandaté l’US Army Corps of Engineers — une institution de génie civil rattachée à l’armée de Terre — pour ouvrir les vannes, quitte à « contourner » les politiques de l’État. Le 31 janvier à l’aube, dans le comté de Tulare, le débit du barrage du lac Kaweah a bondi de 57 pieds cubes par seconde à plus de 1 500. Celui du lac Success, de 105 à 990, d’après les données fédérales relayées par Los Angeles Times.
Dans la foulée, Donald Trump s’est félicité que ces torrents filent enfin en direction de la mégapole meurtrie par les flammes. Seulement, d’après les experts en hydrologie, ce grand ouvrage est d’une absurdité sans nom. Et leurs arguments sont nombreux.
L’eau n’a jamais atteint sa destination
Premièrement, le matin même des lâchers d’eau, les pompiers californiens ont annoncé avoir maîtrisé les feux à 100 %. Par ailleurs, l’administration Trump a tenté d’établir un lien entre un supposé mauvais approvisionnement en eau et le tarissement de dizaines de bouches d’incendie. Or, celui-ci ne tient pas debout. L’assèchement de ces bornes ne résultait pas d’un manque de réserve, mais d’une incapacité du système à tenir une telle cadence. Celui-ci étant conçu pour lutter contre des feux de maison… et non de quartiers.
Deuxième argument, et pas des moindres, l’eau déversée par les petites mains de Trump n’atteindra jamais la destination espérée. Dans une lettre adressée au secrétaire à la Défense, le sénateur démocrate de Californie, Alex Padilla, semble tomber des nues : « Les rivières dans lesquelles cette eau a été déversée ne se jettent pas dans Los Angeles. »
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Le système anti-incendie de la ville est assuré par des réservoirs de l’État et le fleuve Colorado. Autrement dit, il n’est absolument pas rattaché au réseau hydrographique alimenté par les lacs Kaweah et Success. Le sénateur démocrate s’interroge : « Si l’objectif est d’aider à lutter contre les incendies de forêt dans le comté de Los Angeles — déjà presque entièrement circonscrits —, quel est le plan pour transporter cette eau jusqu’à Los Angeles et ne pas la laisser simplement se déverser dans le lac Tulare, où elle s’évaporera ? »
L’essence des réservoirs ouverts par le milliardaire new-yorkais est tout autre. Ces infrastructures doivent offrir un répit aux paysans en manque d’eau, durant les sécheresses. En dehors des périodes d’irrigation, en libérer autant revient purement et simplement à la gaspiller. « Ces lâchers sont extrêmement préoccupants, s’alarme auprès de CNN Heather Cooley, directrice de recherche au Pacific Institute. Cela n’apporte aucun bénéfice et expose les agriculteurs à des contraintes d’approvisionnement dans les mois à venir. » Dans la vallée concernée, de grandes fermes cultivent des noix, des agrumes et des graminées pour l’alimentation animale, précise la chaîne de télévision.
1 heure de préavis
Au-delà de l’absurdité de cette décision, des spécialistes locaux accusent la Maison Blanche d’avoir mis en danger des habitants en fonçant tête baissée, sans consulter les autorités locales. « En vingt-cinq ans, je n’avais jamais rien vu de tel, déplore Victor Hernandez, au média SJV Water. On ne m’a donné aucune information. » Seul un préavis d’une heure a été accordé à l’homme chargé de la rivière Kaweah. Craignant que l’ouverture des barrages entraîne des inondations, il s’est empressé de mettre à l’abri le matériel agricole à proximité directe des berges et d’avertir les riverains.
Dans Los Angeles Times, l’ancien directeur général du Lower Tule River and Irrigation District, Dan Vink, a lui aussi qualifié cette affaire de « totalement inédite ». Il a alerté sur la potentielle présence de campements de sans-abri dans les zones concernées, dont la sécurité a été ignorée. Bien que pris au dépourvu, les gestionnaires locaux ont toutefois réussi à convaincre le Corps des ingénieurs de l’armée de libérer une quantité d’eau inférieure à celle prévue, poursuit Dan Vink. Donald Trump ayant initialement promis de déverser quelque 19,6 milliards de litres.
Alors incompétence grossière ou coup de communication ? Quoiqu’il en soit, ce nouveau passage en force du président des États-Unis met en péril la population bien davantage qu’il ne la protège. Certains observateurs attribuent d’ailleurs son obsession aux politiques hydriques de Californie à la présence de son gigantesque golf — lui aussi gourmand en eau —, niché sur la luxueuse enclave de Rancho Palos Verdes.
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