Chaque altermondialiste s’est un jour demandé comment ses idées pouvaient ne pas rencontrer plus d’écho parmi la population. Pourquoi des figures qui proposent des avancées sociales, démocratiques et écologistes ne parviennent-elles pas à attirer plus de sympathie au sein du grand public ? Comment, à l’inverse, les camps des réactionnaires, de l’austérité et des inégalités fédèrent-ils autant de personnes autour d’eux, contre leurs propres intérêts ? Réponses dans le faisceau du petit écran…
La réponse à ces questions s’avère bien sûr multifactorielle ; pour autant, le rôle de télévision dans ces phénomènes apparaît comme primordial. Si l’ensemble des médias de grande écoute, y compris à la radio et sur internet, ont envahi chaque espace fréquenté par les citoyens, la télévision reste sans aucun doute l’arme phare des plus riches et des gouvernements néolibéraux pour asseoir leur domination intellectuelle sur les esprits.
Il n’est pas inutile de rappeler que sur les 30 canaux disponibles sur la TNT : 20 appartiennent à quatre milliardaires (Bouygues, Bolloré, Saadé, et Mohn), 3 à des hectomillionaires (Amaury, Baudecroux) et 7 seulement sont sous gestion publique avec toutefois des dirigeants indirectement désignés par l’exécutif.
44 millions de Français regardent la télévision chaque jour
En outre, une enquête de 2018 expliquait que 78 % des Français de plus de 15 ans s’informaient à l’aide de la télévision. Chez les retraités, ce chiffre grimpe jusqu’à 90 %. Une donnée à mettre en corrélation avec le fait que l’essentiel de l’électorat d’Emmanuel Macron se trouve dans une tranche d’âge similaire.
Quotidiennement, pas moins de 44 millions de Français regardent la télévision. La moitié d’entre eux, soit 22 millions de téléspectateurs, écoute au moins un journal télévisé dans le même laps de temps. Lorsque l’on connaît ces données, il est inutile de préciser la force de frappe colossale dont disposent ces chaînes sur l’opinion publique, en particulier en comparaison des médias indépendants dotés de très peu de moyens.
Ces éléments en tête, on commence déjà à mieux comprendre pourquoi autant d’électeurs, atteints du syndrome du larbin, votent à leur propre détriment et n’ont de cesse de disqualifier les mouvements altermondialistes et progressistes. Il s’agit en grande partie du message global qui est transmis des heures durant par les canaux de télévision dont les propriétaires défendent tous des causes communes, favorables à leurs affaires.
Une semaine d’immersion totale dans ma TV
Pour mesurer l’ampleur du phénomène, l’un de nos rédacteurs s’est soumis à un difficile exercice : analyser l’actualité diffusée par nos TV pendant cinq jours. L’expérience, qui s’est déroulée du 20 au 24 janvier 2025, s’est attardée sur 8 chaînes qui disposent toutes d’un contenu « informatif » : TF1, France 2, France 3, BFMTV, CNEWS, RMC Story, LCI et France info.
Sous la forme d’un journal de bord, son regard critique pointera du doigt plusieurs graves problèmes déontologiques, dont un traitement de l’information extrêmement biaisé (sans ligne éditoriale explicite) et un manque de pluralisme éditorial criant. Bref. Bienvenue en enfer.
Lundi 20 janvier 2025
7 h : TF1 – Bonjour ! La même information qu’ailleurs avec un peu de bonne humeur
Les yeux encore gorgés de sommeil, je m’installe dans mon fauteuil et je presse ma télécommande. La lumière perce l’obscurité du brouillard et les pixels s’assemblent. TF1. Mon aventure commence. Énième chaîne de milliardaire, cette fois-ci celle de Martin Bouygues.
Depuis un an, du lundi au vendredi, on y retrouve une matinale, présentée par Bruce Toussaint, débauché de BFMTV. Réputé pour son apparence sympathique, l’animateur est chargé avec une bande de chroniqueurs de faire passer « un bon moment » à toutes les lève-tôt. L’émission s’adresse donc en majorité aux retraités, mais aussi aux travailleurs, affairés à se préparer pour la journée.
« Après tout, qui voudrait douter de la parole et des intentions de personnes aussi joviales et conviviales ? »
On y découvre une bande de journalistes qui ne lésine pas sur les petites blagues et les chroniques amusantes. De quoi vous sentir très à l’aise et en confiance. Mais ne nous y trompons pas. Les biais et l’idéologie sont toujours sous-jacent : le côté sympathique ne représente que le sucre destiné à faire avaler la pilule. Après tout, qui voudrait douter de la parole et des intentions de personnes aussi joviales et conviviales ?
Derrière la petite musique enjouée, j’assiste au même fil d’informations, à la même échelle de priorités, que sur n’importe quel autre canal : l’investiture de Trump, les otages relâchés en Israël, et la proposition du gouvernement de faire trimer gratuitement les Français sept heures de plus par an. « Deux minutes par jour ! » précise Bruce Toussaint. Des titres qui seront repris jusqu’au soir par toutes les chaînes.
Dans un programme gentillet, qui ne se présente jamais comme orienté politiquement, on évoquera ainsi l’arrivée au pouvoir d’un leader d’extrême droite dont l’Europe ferait bien de s’inspirer selon l’éditorialiste de l’émission. Et évidemment, marotte de la droite et du grand patronat : le plateau discutera sagement de l’augmentation du temps de travail.
10 h 30 : BFMTV (Le live BFM) — Séance de lapidation quotidienne de la gauche radicale
À peine trois heures plus tard sur BFMTV, les titres reproduisent exactement ceux de TF1 : Trump, otages israéliens, augmentation du temps de travail. Mais entre ces actualités, fil rouge de la journée, vont défiler les éditorialistes et invités politiques pour donner leurs opinions sur bon nombre de sujets.
Et l’un des sports favoris de ce type d’individus, qui ne se démode jamais, est sans aucun doute celui qui consiste à tirer à vue sur la France Insoumise. Il faut dire que depuis l’effondrement du Parti socialiste, en conséquence du mandat calamiteux de François Hollande, la grande bourgeoisie incarnée par les journalistes mainstream n’a eu de cesse de montrer sa nostalgie d’un duel factice entre le PS et l’UMP. Deux mouvements qui promettaient de ne pas changer grand-chose à leur confort de vie.
Mais depuis que le programme de rupture de LFI rassemble la gauche, sans aucune mesure vis-à-vis du quota réel de qualités et défauts du parti, tous se sont mis en tête de diaboliser le plus possible l’organisation. Dans le même temps, tout sera tenté pour ressusciter le social-libéralisme, sauce Hollande.
Alors quand le PS a refusé de voter la censure de François Bayrou au profit d’Emmanuel Macron, des pluies de félicitations médiatiques se sont déversées sur lui. Par la même occasion, la France Insoumise qui a dénoncé cette trahison envers son électorat s’attire leurs foudres.
À 10 h 43, l’animatrice de « Live BFM », Roselyne Dubois, épaulée deux éditorialistes bien droitiers, Anne Saurat-Dubois (BFM) et Louis Hausalter (Le Figaro) s’en donnent à cœur joie autour de Christophe Marion et Arthur Delaporte, députés Ensemble et PS. Le sujet porte sur les « 7 heures de travail gratuit » suggérées par le gouvernement, mais dévisse sans aucune raison sur LFI.
— Que reste-t-il du nouveau Front populaire ? Que reste-t-il de gauche avec Jean-Luc Mélenchon qui tacle le PS avec des mots de plus en plus graves, qui l’accuse de trahison ? s’interroge la présentatrice. On diffuse alors un extrait de François Hollande qui reproche à Jean-Luc Mélenchon « d’éructer, d’invectiver, d’insulter ». Il assure ensuite que ce n’est pas avec lui que « la gauche peut l’emporter », mais avec « une gauche qui s’ouvre, qui propose, qui travaille, qui fait des compromis ».
Roselyne Dubois, représentative d’une volonté quasi obsessionnelle de l’ensemble de la presse de voir le PS renouer avec sa tradition libérale, embraye en lançant le député PS avec une question à peine orientée :
— LFI vous a traités de collabos, de traîtres, est-ce qu’il ne faut pas clarifier les choses, acter le divorce une bonne fois pour toutes ? Et de relancer le député macroniste présent sur le plateau : — C’est vrai que cette violence verbale, pour les électeurs, elle est plus que choquante.
Les bras ne m’en tombent pas vraiment tant je suis habitué à ce genre de comédie sur les chaînes d’informations en continu depuis des années. Gageons enfin que si quelque chose augmente la défiance des citoyens par rapport à la politique, c’est sans doute bien plus l’abandon de la population en faveur des minorités les plus riches.
16 h : France 2 (Émission spéciale) – Trump célébré comme un roi
Sur toutes les chaînes, l’investiture de Donald Trump continue à faire la une. Sur France 2, on a même décidé d’interrompre les programmes habituels pour émettre une émission spéciale pour couvrir cet événement « historique ».
La diffusion s’ouvre sur l’hymne américain et un plan large sur le capitole comme pour donner le ton. L’ambiance devient d’autant plus gênante que l’événement s’apparente presque à un spectacle sportif léger. Un homme (qui plus est d’extrême droite) est glorifié, presque comme un demi-dieu, entouré de toutes les grandes fortunes du pays, venues lui assurer leur allégeance.
La façon dont est organisée cette couverture médiatique n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle que l’on observe régulièrement sur les monarchies européennes, notamment britanniques.
17 h 45 : Fr2, BFMTV, CNEWS, LCI, Franceinfo – Trump, Trump et encore Trump
Cinq chaînes, dont les quatre canaux d’information en continu, diffusent à présent la cérémonie d’investiture de Donald Trump en simultané, minute par minute. Sans qu’on s’en doute, car nous y sommes habitués, y est sublimée la marque de la domination et de l’impérialisme américain sur la France. Cette pièce de théâtre, entrecoupée d’un scandaleux salut nazi d’Elon Musk, occupera tous ces canaux jusque tard dans la nuit.
19 h : France 3 (Ici 19/20) – Gloire à la technologie au service du capitalisme
Au JT du soir, sur France 3, les sujets s’égrainent et les remises en question sont peu nombreuses. On glorifie d’abord l’intelligence artificielle nouveau « bras armé du fisc » qui permettrait de détecter la fraude, notamment en scrutant les propriétés à l’aide d’une observation satellite. Pas un mot sur la surveillance généralisée qui s’installe de plus en plus dans les esprits, d’autant que ce type de manœuvres se portera bien évidemment en premier lieu sur les classes populaires.
Pendant ce temps, le nombre de contrôleurs fiscaux ne cesse de diminuer. Les plus riches, quant à eux, gardent sans doute les moyens d’échapper aux IA, comme en témoignent les 100 milliards d’euros de perte estimée par les chercheurs.
Peu importe, France 3 s’envole déjà vers d’autres latitudes pour cette fois-ci promouvoir les cryptomonnaies. On nous montre ainsi plusieurs commerçants qui accepteraient d’être payés en Bitcoin « ce qui coûte moins cher en frais de commission ». À Cannes, on a même pour objectif de « démocratiser » cette pratique, « surtout dans les boutiques de luxe ». Une manière pour les plus riches de s’extraire du système monétaire national et de se jeter dans les bras du privé. De quoi échapper à tout contrôle citoyen et s’en remettre aux affres de la spéculation.
« Le café du commerce plutôt qu’un travail de fond, une journée ordinaire à la télévision ».
Autant de dangers contre lesquels la chaîne n’avertira évidemment pas le téléspectateur, le laissant croire qu’il n’a reçu que des faits alors qu’il digère un narratif lacunaire, partiel et positif par défaut, et préférant remplacer une analyse journalistique par des micros-trottoirs. Le café du commerce plutôt qu’un travail de fond, une journée ordinaire à la télévision.
Mardi 21 janvier 2025
10 h 10 : CNEWS (L’heure des pros) – La transphobie, en tout quiétude
Tout juste remis de la veille, je m’attaque d’entrée de jeu à l’un des plus gros morceaux du paysage audiovisuel : CNEWS. Dans une caricature qui confine presque à la parodie, la chaîne s’évertue chaque jour à transmettre des messages réactionnaires, racistes et à la gloire de l’extrême droite. Et à peine ai-je allumé la télévision sur ce canal, que je comprends aisément que cette réputation n’est pas usurpée.
— Ce n’est pas être transphobe que de dire qu’il y a que deux genres ? interroge Pascal Praud.
— Bah, c’est juste avoir des yeux, rétorque la polémiste d’extrême droite Charlotte D’Ornellas, c’est biologique.
— Oui, parce qu’à la SNCF quand on réservera un billet, on ne dira plus si on est homme ou femme
— Oui, quand vous aurez un cancer de la prostate, vous serez homme, vous serez considéré homme, ajoute la polémiste sous le regard hilare du présentateur.
Fatigue. On commence fort. Et pour faire la distinction entre sexe biologique et genre (ou sexe social), les anthropologues méritent a priori plus de crédit.
12 h : RMC Story (Estelle Midi) – Le degré 0 du débat
« un énième « café du commerce » filmé en direct »
Prenez une présentatrice dont l’expérience consiste à avoir animé des programmes sportifs pendant plus de 20 ans (Estelle Denis) et propulsez-la à la tête d’un contenu d’actualités. Ajoutez des chroniqueurs qui traitent de sujets auxquels ils ne connaissent rien, et vous obtiendrez la recette de l’émission Estelle Midi, un énième « café du commerce » filmé en direct, comme la chaîne RMC Story s’en est fait une spécialité.
Personne ne parlera bien sûr ici de l’avenir de planète, du partage des richesses ou d’altermondialisme. Non : au programme du jour, on évoquera plutôt une bonne série de nouvelles anxiogènes comme les morts du narcotrafic à Marseille, ou des faits divers sordides.
Se suivent alors des débats sur la SNCF, McDonald’s, ou encore les magasins sans personnel. La polémique porte sur une nouvelle 1re classe de luxe mise en place dans les trains.
— Je n’en peux plus de passer mes coups de fils dans les toilettes, là on aurait un vrai espace pour travailler, s’enthousiasme une première chroniqueuse.
— S’il y a des gens pour payer, je ne vois pas pourquoi ils ne le feraient pas, rebondit un autre.
— Les Italiens le font et gagnent de l’argent, et nous on va dire « oh non, la lutte des classes ! », ironise un troisième.
Du haut niveau.
On embraye ensuite sur McDonald’s qui lance un nouveau sandwich végétarien.
— Le veggie c’est l’avenir du fast food ? Vous en prendrez à un Mcdo, demande la présentatrice.
— Bah non. Si je vais à Mcdo, c’est pour prendre un hamburger avec de la viande. Quand je vais dans un restau marocain, c’est pour manger du couscous. Mais pas de la carotte compressée avec la vague panure dessus. En plus, ils appellent ça veggie, mais il devrait pas y avoir de lait. Il y en a qui vont tomber en syncope, il y a toujours plus extrémiste en la matière. Moi je suis libéral, s’ils en vendent c’est qu’ils pensent qu’on va en acheter. Du moment que moi on ne m’impose pas de manger cette merde.
— Oh noooon, joue Estelle Denis faussement indignée. Moi je vais quand même essayer. Pour dire que j’aime pas.
— Pourtant je suis végétarien moi normalement, ironise le chroniqueur, je ne mange que des animaux qui mangent de l’herbe.
Hilarité générale sur le plateau. Les blagues de mauvais goût et les poncifs continueront de s’enchaîner d’interminables minutes. Ma journée va être longue, très longue.
17h22 : BFM (BFM Story) – Musk, un nazi ?
Comme tous les soirs, BFM Story, programme d’information et de débat, se déroule sur un créneau stratégique, puisqu’il s’agit du moment où la plupart des gens sortent du travail. Certains en profitent alors pour se renseigner sur l’actualité du jour et peuvent malencontreusement tomber sur cette chaîne.
Pour l’occasion, BFM emploie deux de ses présentateurs les plus à droite : Alain Marschall et Olivier Truchot. Un duo également connu pour diriger l’émission « les grandes gueules », l’un des pires « cafés du commerce » du paysage audiovisuel français (mais on y reviendra).
Ce jour-là, on s’attarde encore longuement autour du cas Donald Trump. Pour chanter les louanges du nouveau chef de l’État américain, la chaîne a invité Philippe Karsenty, un « porte-parole du Comité Trump en France ». Pendant plus d’une demi-heure, cet adepte de la théorie du grand remplacement énoncera énormité après énormité.
J’entends ainsi que l’arrivée de Donald Trump au pouvoir est « une chance pour le monde entier », que « Trump a pacifié le monde ». Un discours lunaire quand on sait les pires décisions récentes du nouveau président. Il renchérit alors en expliquant qu’il « aimerait bien avoir un président qui dit “la France en premier”. Il part ensuite dans une tirade lunaire sur l’environnement :
— En 1980, on nous disait “ en 1990, on aura plus de pétrole ”, en 2009, Al Gore nous disait qu’en 2015, il n’y aurait plus un gramme de glace sur les calottes glaciaires. Donc on nous a baratinés depuis des décennies, on a tous vécu sous ce catastrophisme climatique, il est temps d’arrêter.
Grand sourire de l’intéressé, et absolument aucune réaction sur le plateau face à ce négationnisme. Comme si de rien n’était, le présentateur préfère plutôt rebondir sur la polémique créée par le salut nazi exécuté par Elon Musk la veille. Et là encore, comme sur d’autres plateaux, la complaisance va être totale.
Deux saluts nazis OKLM. Ses aficionados parlent d’erreur, de mauvaise interprétation du geste. Alors qu’il y a une semaine à peine Elon Musk soutenait un parti néonazi Allemand. L’homme n’est pas bête et sait à qui il s’adresse : sa fan base. #musk
— Mr Mondialisation (@mr-mondialisation.bsky.social) 2025-01-21T22:04:53.708Z
— A-t-il fait un salut nazi, oui ou non ? s’interroge Alain Marschall dans une fausse naïveté. Lui dit que non, qu’il parle aux gens avec son cœur, qu’il leur donne son cœur, c’est troublant quand même non ?
— On a absolument tout entendu, répond Patrick Sauce, l’un des journalistes présents sur le plateau. Il y a évidemment, les attendus, les démocrates qui ont dit “ évidemment que c’est un salut nazi ”. […] Vous avez eu des associations de défense des juifs aux États-Unis qui ont dit “ on combat tout le temps Elon Musk, mais ça non, ça n’est pas un salut nazi ”. On a presque été jusqu’à éplucher des avis médicaux en disant “ vous savez, il a un syndrome autistique, c’est sans doute pas de sa faute ”. Encore ce matin, un diplomate israélien en France qui m’a dit “ pour moi, ce n’est pas un salut nazi ”. Je me garderais bien de donner le mien d’avis personnel, mais effectivement, c’est troublant.
Après avoir exposé tous les arguments de l’extrême droite (y compris israélienne), ce grand reporter de BFM fait heureusement preuve d’un courage exemplaire en ne se mouillant pas face à l’évidence absolue.
— Pourquoi aurait-il fait un geste nazi ? s’interroge ensuite Olivier Truchot. Je ne suis pas sûr que ça profite à lui-même et à son camp.
— Elon Musk est allé à Auschwitz visiter, reprend Philippe Karsenty, bien lancé par le présentateur, il porte autour du cou un badge en soutien des otages israéliens, il est totalement en phase avec Israël et avec les juifs. Les soutiens des nouveaux nazis qu’est le Hamas, ce sont les démocrates.
— Non là vous avez des raccourcis quand même, tempère mollement le présentateur, hilare.
— Je trouve que la polémique est justifiée, intervient alors Richard Werly, journaliste pour Blick.
Enfin, quelqu’un va-t-il réagir face à la vache qui se tient dans le couloir ? Mes attentes seront bien vite déçues.
— Je ne jugerais pas, est-ce qu’il a voulu faire un salut fasciste, je n’ai pas les éléments. Mais de fait, il fait ce geste, il ne peut pas ignorer sa portée et l’ambiguïté, parce qu’il y en a une.
Quels éléments faut-il de plus à monsieur Werly pour dénoncer un salut fasciste lorsqu’il en observe un à la télévision, exécuté devant des centaines de millions de téléspectateurs, dans un contexte où Elon Musk possède par ailleurs un passif familial ouvertement raciste et soutient fermement le parti d’extrême-droite allemand ? L’ambiguïté n’existe absolument pas, les faits parlent d’eux-mêmes.
— Il a quand même soutenu l’AFD en Allemagne, souligne enfin timidement et à juste titre Alain Marschall.
— Vous avez vu qu’il a des gestes saccadés, reprend Philippe Karsenty dans une nouvelle justification ahurissante, tout le monde a bien compris qu’il a une forme d’autisme asperger. Vous voyez bien quand il se met à sautiller sur la scène. J’ai fait toutes les fêtes aux États-Unis après la victoire, je me suis jamais mis à sauter comme ça.
C’est bien connu, les autistes et les gens exaltés exécutent tous des saluts nazis involontairement. Le débat se conclura sur ces mots confusionnistes et infondés, et on nous enverra une énième page de publicité (un véritable matraquage sur les chaînes d’informations).
19 h 37 : LCI (24 h Pujadas) – El Krief, championne de l’hypocrisie
Sur un nouveau plateau de l’enfer qui regroupe notamment David Pujadas, l’ex-présentateur du JT de France 2 qui trouvait “ génial ” le 11 septembre et Ruth El Krief, l’une des plus farouches éditorialistes de droite du paysage audiovisuel français.
Cette dernière s’insurge aujourd’hui contre les personnalités et médias qui ont décidé de boycotter X (ex twitter) pour protester contre le tournant d’extrême droite pris par la plateforme achetée par Elon Musk.
— Arrêtons ce cinéma ! s’exclame-t-elle. […] C’est sûr que ce réseau n’est pas un champ de roses et les algorithmes faussent le débat. Mais vous croyez qu’Elon Musk va être vexé parce que Sandrine Rousseau et Le Monde quittent X ? Ce qui m’agace dans ce geste, c’est le sentiment de bonne conscience. J’ai raison, je ne veux plus entendre les autres, ceux qui pensent mal, ceux qui m’offensent. Ça signifie quoi ? Vivons entre nous ! C’est bien confortable. Allons sur un autre réseau social où tout le monde pense comme moi. […] Ça me rappelle l’attitude de déni sur des sujets évoqués par le Rassemblement national, on dit attention, n’y touchons pas, c’est moche, c’est mal, alors ça n’existe pas. Mais c’est pas vrai, ça existe ! […] Ne désertons pas ! »
L’incarnation du culot de la part d’une journaliste bourgeoise qui ne sort jamais de son petit milieu élitiste et qui appartient depuis des décennies à des équipes éditoriales où pratiquement tout le monde diffuse la même pensée néolibérale. Le toupet encore d’expliquer que les sujets de prédilections du RN seraient évités partout alors qu’ils sont mis constamment sur la table par des médias et des chaînes d’informations auxquelles elle participe depuis tant d’années. L’audace enfin de parler d’entre-soi concernant non pas un réseau d’échanges d’analyses diverses mais la diffusion permanente et débridée de fausses informations, de haine gratuite et de violences.
20 h 11 : CNEWS (L’heure des Pros 2 )– Le fantôme d’Orwell
Retour de Pascal Praud et sa joyeuse bande de chroniqueurs d’extrême droite. L’avocat Gilles-William Goldnadel, bien connu pour ses outrances et dérives identitaires, s’amuse des dénonciations du salut nazi d’Elon Musk.
— Comment ça va ? rigole-t-il en tendant la main vers l’autre partie du plateau. Je viens de commettre un salut nazi. Ça va circuler, Goldnadel le juif a fait un salut nazi. L’extrême gauche est dans un désastre culturel. Ils sont à nouveau dans l’antinazisme devenu fou. Ils sont tellement à la rue intellectuellement et culturellement, ils ont plus que ça comme fonds de commerce depuis « CRS SS ».
De circonstance également. pic.twitter.com/tCbPk7NRil
— Caisses de grève (@caissesdegreve) January 21, 2025
— C’est vrai que beaucoup de jeunes gens ont pris ce geste au premier degré, fait remarquer un chroniqueur.
— Ils ont peut-être moins de culture, explique Pascal Praud.
— Jean-Marie Le Pen est mort depuis à peine une semaine et ils ont trouvé un nouveau diable de rechange, assure Élisabeth Levy.
— Oui, tout cela est ridicule, confirme Pascal Praud.
Sans commentaires. On va s’arrêter là pour aujourd’hui.
Mercredi 22 janvier 2025
6 h 30 : RMC Story (Apolline Matin) – Gloire au capitalisme
Chaque jour, Apolline de Malherbe, journaliste issue de la grande bourgeoise, et infatigable pourfendeuse de la gauche, prend une importance phare sur les canaux de BFM-RMC. Quotidiennement, elle occupe la place sur les deux chaînes de 6 h 30 à 10 h avec plusieurs émissions.
Dans Apolline Matin, l’animatrice donne largement la parole aux auditeurs, une technique de manipulation, déjà décryptée par Mr Mondialisation, qui consiste à trier sur le volet les participants au standard pour proférer des opinions à l’antenne sans avoir à les tenir soi-même. Dès 6 h 38, on commence d’ailleurs sur les chapeaux de roue avec un intervenant très à droite qui est invité à s’exprimer au sujet des retraites :
— J’ai 37 ans et quand j’étais en 4e, ça fait plus de 20 ans, on nous expliquait que le système de retraite était mort du fait de l’allongement de la durée de vie et de la chute de la natalité. Déjà, il y a 20 ans, on apprenait ça au collège. Est-ce que nos ministres ont été au collège jusqu’en 4e ?
— Et quelle est la solution, sinon, Benoît ?
— La capitalisation, répond-il tout fier.
— La capitalisation. Vous, vous le faites Benoît ?
— Oui, j’ai commencé à me faire un portefeuille en bourse avec un objectif d’arrêter de travailler quand j’ai 300 000 euros sur ce compte pour avoir à peu près 10 % de dividendes, donc 30 000 euros par an.
— J’adore ! s’enthousiasme la journaliste. Vous m’épatez ! Vous avez fait vos calculs, franchement, je trouve ça assez inouï. Vous en êtes à combien, là, Benoît ?
— Bah pour le moment là, j’ai mes enfants, c’est la période où il y a beaucoup de dépenses. Je suis à 2-3 milles euros d’actifs. Dès que les enfants auront 18 ans, je pourrais peut-être multiplier par cinq mes placements.
— En tout cas, vous vous dites, je ne pourrais pas forcément compter sur l’état.
— Euh… pas du tout.
— C’est vrai que ça tourne autour de ces questions-là : à la fois, travailler peut-être plus longtemps et devoir se débrouiller un peu par soi-même ! Merci Benoît !
Et on en restera là. De l’enthousiasme d’une bourgeoise envers un système basé sur la spéculation des marchés qui a conduit des millions de gens à la rue et qui n’a d’autre but qu’enrichir les grandes banques et les fonds de pension privés. Aucun avertissement ni mise en garde sur les dérives de ce système. Le tout défendu par un prolétaire, chauffeur routier, sans aucun doute atteint par le syndrome du larbin.
Une bonne page de publicité, avant de tout de suite embrayer sur un nouveau sujet « la concurrence peut-elle sauver les trains ? ». Et quelque chose me dit que personne n’évoquera sur le plateau le désastre auquel a conduit ce processus dans d’autres pays, en particulier au Royaume-Uni…
16 h : France Info (Le 16 h/18 h) – Débat à sens unique
Sur un plateau encore bien à droite, on débat des économies budgétaires. On retrouve autour de la table : Anthony Morlet-Lavidalie, économiste libéral membre du Think Tank Rexecode qui défend les intérêts du patronat (des données qui ne vous seront jamais précisées à l’antenne), Gilles Bornestein, éditorialiste de FranceInfo bien connu pour son hostilité envers la gauche de rupture, Isabelle Veyrat-Masson, chercheuse au CNRS et enfin Marc Eynaud, employé à Valeurs Actuelles, hebdomadaire référence de l’extrême droite française.
Il est d’ailleurs important de noter que les salariés de cette publication appartenant à Vincent Bolloré ont drastiquement augmenté leur présence sur les plateaux des chaînes d’information depuis plusieurs années. Là où on ne voyait que ponctuellement le seul Geoffroy Lejeune il y a quelques années, les nouvelles têtes issues de ce magazine sont maintenant partout sur tous les canaux, comme si chacun d’entre eux faisait la course à l’audience avec CNEWS. Et personne ne semble dérangé par le fait que des journalistes d’extrême droite sont traités comme des intervenants comme des autres.
Mais revenons au plateau. On y évoque plus particulièrement le budget des sports que le gouvernement souhaitait rogner. Pourtant devant le tollé suscité par cette décision, Emmanuel Macron a lui-même déjugé son Premier ministre. Un énième coup de communication.
— J’aimerais rappeler qu’on a un déficit public absolument monumental, martèle Anthony Morlet-Lavidalie. On doit faire des efforts, on s’est engagé auprès de l’Europe. […] Chacun va devoir contribuer.
Sauf les riches et les grands patrons, sans doute. Isabelle Veyrat-Masson poursuit :
— Je suis d’accord avec tout ce que vient de dire monsieur. […] Cette réaction m’a fait penser à une situation de cohabitation. Je me souviens de François Mitterrand qui faisait son marché parmi les décisions d’un Premier ministre qui n’était pas de son camp.
On apprend donc, sur France info, qu’Emmanuel Macron et François Bayrou ne seraient pas du même camp politique, alors qu’ils font partie du même bloc depuis près de 7 ans. Merveilleux. Après plusieurs minutes à pleurer sur le déficit du pays, sans jamais proposer de créer de nouvelles recettes, on évoque maintenant les retraites :
— C’est un quart des dépenses publiques, geint Anthony Morlet-Lavidalie.
— L’idée de geler momentanément l’indexation des retraites avait fait un scandale national, s’agace le journaliste d’extrême droite. Les salaires des actifs ne sont pas indexés sur l’inflation, que les retraites le soient, pardon, mais c’est une injustice.
Évidemment, comme d’habitude, l’extrême droite veut niveler la société par le bas : au lieu de proposer les meilleures conditions pour tous, elle préfère que personne n’en profite. D’autant plus s’il fallait mettre à contribution le grand patronat.
— Il n’y a rien d’anormal à vendre son bien pour financer ses vieux jours en EHPAD, rajoute Anthony Morlet-Lavidalie.
— Tout de même à côté de ça, il y a des gens qui gagnent des milliards, finit par évoquer timidement Isabelle Veyrat-Masson.
— On est un des pays les plus taxés au monde, s’insurge Marc Eynaud, pour venir au secours des riches dans une rengaine mille fois éculée.
Et cette comédie se poursuivra encore longtemps.
20 h : TF1 (JT) – Une institution néolibérale
Je ne pouvais bien sûr pas passer une semaine devant l’information à la télévision sans évoquer le célèbre JT de TF1, véritable institution nationale, puisque son ancêtre sur le premier canal remonte à 1949. Semblable à une messe quotidienne pour de nombreuses personnes, il fait partie de JT les plus regardés d’Europe avec plus de 5 millions de téléspectateurs chaque soir. Inutile de préciser le pouvoir colossal dont dispose une telle machine.
Comme dans chaque JT, on occupera beaucoup de temps d’antennes à des nouvelles anxiogènes mais totalement décousues et décorrélées d’analyses systémiques sociétales (airbags défectueux, éboulements de falaises sur les routes, vols sur les chantiers, hécatombes des agences immobilières, fusillades en série à Besançon, faux billets de parcs d’attractions, attaque au couteau, vice caché sur une vente de maison), mais aussi à des informations destinées à provoquer un sentiment de colère passagère (prix des trains ou du gaz, gardiens de prison corrompus, libération d’un détenu condamné pour viol…)
Évidemment, la peur ne sera pas dirigée vers le désastre environnemental et la colère n’aura rien à voir avec le capitalisme ou les inégalités criantes. À l’inverse, on misera plutôt sur des sujets sécuritaires. Quant aux nouvelles économiques, elles seront simplement exposées sans analyser leurs causes profondes. Du pain béni pour la droite et l’extrême droite. Et c’est sans aucun doute le but.
Jeudi 23 janvier 2025
10 h 30 : RMC Story (Les Grandes gueules) – Les tréfonds du café du commerce
Ce matin, sur RMC, je retrouve Olivier Truchot et Alain Marschall, bien occupé à faire vivre le café du commerce le plus abouti du paysage audiovisuel français. Ici, on débat d’une actualité bien évidemment triée sur le volet afin de bien rentrer dans la ligne éditoriale subliminale. Au programme : démagogie, mauvaise foi et propagande néolibérale.
Alors que Marion Maréchal vient de quitter le plateau, on va maintenant s’attaquer à l’un des plus grands soucis de la France selon la bourgeoisie : la fraude sociale. Histoire de pointer du doigt les « assistés » qui profiteraient du système. La ligne directrice est toujours la même : monter les gens les uns contre les autres tout en faisant oublier les vrais problèmes de partage de richesses du pays et du monde.
On va également parler d’une « petite histoire qui a attiré l’attention » de l’émission. Une jeune femme sur les réseaux sociaux se filme au ski tout en se vantant d’être en arrêt maladie. « Qui va faire quoi ? La CPAM, le contrôle du travail, venez me chercher, je m’en fous, je suis libre ». Olivier Truchot s’émeut également de ce qu’il entend :
— Elle nous dit, « je vais tirer mon arrêt maladie au maximum, je vais aussi aller à la mer bronzer ». (…) tout ça fait dire à certains politiques « regardez la fraude sociale », ça existe. Est-ce qu’on ne peut pas contrôler davantage ? Parce que si je comprends bien la CPAM ne fait pas de contrôle comme ça, elle n’en fait que si l’employeur le demande. Il y a peut-être sans doute quelque chose à faire, et surtout des sanctions plus sévères. Barbara ?
Il lance alors Barbara Lefebvre, chroniqueuse bien connue pour ses positions d’extrême droite et réactionnaire :
— Cette personne insulte ceux qui travaillent, ceux qui travaillent pour elle, s’indigne la polémiste. C’est nous qui payons son arrêt maladie. Cette personne se vante de frauder, j’espère que bien entendu elle sera licenciée, qu’elle ne va pas avoir en plus l’outrecuidance d’aller aux prud’hommes, que les services fiscaux vont aller lui courir derrière pour aller bien lui regarder dans ses réseaux sociaux et lui décortiquer le téléphone, voire pourquoi pas perquisitionner. Parce que moi je suis désolée, aussi ces influenceurs, il y a un moment, ça commence à me gonfler. Les gens qui passent leur temps à parler pendant des heures dans ces espèces de rectangles avec des espèces de filtres où ils ressemblent d’ailleurs à rien. […] Et puis si elle veut être influenceuse, elle se met à son compte, elle paiera l’URSSAF. Parce que c’est notre argent, à nous qui cotisons et qui bossons, et j’espère que les services fiscaux vont se réveiller, parce qu’à mon avis, il y a de quoi faire avec elle.
Il suffisait pourtant de creuser un petit peu (un travail journalistique aurait sans doute été trop demandé à cette joyeuse bande du café du commerce) pour apprendre que la jeune femme est en réalité en arrêt maladie pour harcèlement moral et que dans ces conditions, partir en vacances avec l’autorisation du médecin est tout à fait légal.
Mais au-delà de la provocation indiscutable de l’influenceuse et de la volonté de faire le buzz, il apparaît évident que cette « histoire » sert surtout à l’émission pour alimenter les clichés et les préjugés. En utilisant un exemple, qui n’a aucune valeur sociologique, on va toutefois réussir à transmettre l’idée au téléspectateur qu’il demeure toute une catégorie de la population profiteuse qui plombe le reste de la société. Ou comment opposer les classes les plus basses pour des miettes.
Or, dans les faits, s’il existe des gens de cet acabit, ils ne représentent qu’une extrême minorité qui pèse très peu sur l’ensemble du système. À l’inverse par exemple de la fraude fiscale des milliardaires qui ne fera sans aucun doute jamais un sujet intéressant à traiter par cette émission.
13 h : France 2 (JT) – Un message bien caché
Le JT de 13 h, que ce soit sur France 2 ou sur TF1, prend une place particulière dans l’information à la télévision. Il dispose comme déjà dit d’une force de frappe importante puisque les deux tiers des téléspectateurs devant leur poste à cette heure-ci regardent ce programme. À l’image des matinales, il diffuse de nombreux reportages « en région » et se veut proche du quotidien. S’enchaînent alors de multiples séquences sur des sujets a priori sans conséquence.
Mais, ne vous y trompez pas, le journal véhicule tout de même bon nombre de messages politiques, en toute subtilité. Ce jeudi, on fera par exemple la promotion d’un coup de communication d’Emmanuel Macron qui a répondu en ligne à un influenceur qui se plaignait de ne pas pouvoir payer avec son téléphone au péage. Pas de crainte « Emmanuel Macron promet de “régler ça” », comme l’affiche le bandeau sur la première chaîne du service public.
« Ce qui est aussi marquant dans ce JT, c’est peut-être même ce dont on ne parle pas ».
Ce qui est aussi marquant dans ce JT, c’est peut-être même ce dont on ne parle pas. Les grands sujets d’envergure sont soigneusement évités ou éludés. Montre en main, le programme consacre par exemple à peine 19 secondes à la Palestine :
— L’armée israélienne intensifie ses opérations en Cisjordanie où des centaines de Palestiniens auraient quitté la ville de Jénine suite à des tirs nourris et à des explosions. Tsahal y poursuit son opération antiterroriste. Le dernier bilan fait état de dix morts et trente-cinq blessés selon l’autorité palestinienne.
Pas un mot sur la colonisation en Cisjordanie ni sur le contexte. Les victimes ne sont décrites que comme la conséquence vague d’une intervention antiterroriste. Dans la droite ligne du traitement médiatique des massacres de Gaza. Au lieu d’épiloguer sur ce thème, le présentateur s’enthousiasme plutôt sur une « bonne nouvelle » : « la Côte d’Azur est devenue l’une des destinations favorites de riches touristes, comme à Nice où les hôtels de luxe ne connaissent pas la crise. »
Ainsi, cette fois, sur plusieurs minutes, on s’extasie sur les voyageurs étrangers qui font la fortune des établissements de luxe des environs. Un sujet qui valait sans doute bien la peine d’y consacrer presque sept fois plus de temps que la situation en Palestine. On ne parlera bien sûr pas une seconde des retombées écologiques de ce type de pratiques, mais seulement du côté lucratif. Une bonne nouvelle donc, mais uniquement encore une fois pour les plus aisés.
Le parti pris pour le chef de l’État se poursuivra ensuite avec les inquiétudes engendrées par les « conséquences de la censure du gouvernement » puisque le « budget 2025 » n’a toujours pas été adopté à ce moment-là. Pour illustrer cet exposé, on s’attardera sur des citoyens et des entrepreneurs de l’isolation bloqués par la situation. « Des retards de versement dus à la censure du gouvernement » selon France 2.
Évidemment, à aucun moment Emmanuel Macron ne sera remis en cause. Cette situation est uniquement due à sa méchante opposition qui a osé renvoyer Michel Barnier et qui rejette le budget austéritaire du président. Or, si le Premier ministre a été balayé, et si l’on se trouve dans ces circonstances, ce n’est pas du fait de ses adversaires. Il s’agit bien de la responsabilité du chef de l’État qui a refusé de reconnaître sa défaite aux élections législatives et qui s’obstine à désigner des gouvernements et construire des budgets dans la continuité absolue de la politique antisociale qu’il mène depuis 2017. Sans doute un hasard si les responsables de la chaîne et de l’émission ont été nommés par le CSA, lui-même largement composé de membres choisis par des proches d’Emmanuel Macron.
Saupoudrez cette farce de quelques sujets anxiogènes pour le troisième âge ; un kidnapping par ci, un reportage sur la grippe par là, les pannes d’ascenseur, les dentistes victimes de violence ; ajoutez quelques séquences sur les traditions et le savoir-faire français, et vous obtiendrez la parfaite recette d’un électeur de droite bien formaté. C’est discret et presque subtil, mais terriblement efficace.
19 h : BFM (Tout le monde veut savoir) – Une dynastie de libéralisme
Dans la famille Duhamel, on connaissait déjà l’oncle, Alain, le père Patrice, la mère Nathalie Saint-Cricq, on a assisté depuis plusieurs années à l’émergence du fils, Benjamin. Et là où on pouvait se consoler en se disant que tous les autres prendraient bientôt leur retraite, nous allons devoir subir le dernier pendant encore très longtemps : il n’a que 29 ans.
Et pourtant, sa jeunesse ne l’a pas empêché de récupérer les idées libérales largement éculées de toute sa dynastie. Du lundi au jeudi, il mène ainsi une quotidienne dans laquelle il reçoit des invités et tente de décrypter l’actualité.
Ce jour-là, seront accueillis Sophie Binet, patronne de la CGT, puis Marion Maréchal, eurodéputée d’extrême droite. On pourrait presque croire à un plateau équilibré, si l’on n’avait pas également sur place Emmanuel Lechypre, économiste ultra libéral bien connu, et Étienne Gernelle, directeur du magazine Le Point, publication caractérisée par ses positions extrêmement droitières et libérales. Pendant de longues minutes, les poncifs allant dans ce sens viendront répondre à tous les arguments de Sophie Binet qui demande simplement à mettre à contribution les plus aisés.
— Il faut travailler 7 h de plus par an non pas pour réduire le déficit, mais pour produire plus de richesses sur le territoire français, expose Étienne Gernelle, obsédé par la croissance. La quantité de travail par habitant a baissé depuis 2019, parce qu’on commence plus tard, on termine plus tôt et dans l’année, on travaille moins. […] Je ne sais pas dans quelle mesure on peut parler d’austérité alors qu’on a les plus fortes dépenses publiques du monde et le taux de prélèvement obligatoire le plus élevé du monde (ndlr : un propos malhonnête largement débunké).
On assistera ensuite à une autre diatribe sur les retraites :
— La France vit sur une autre planète que les autres. Sur les retraites, aucun socialiste d’Europe ne proposerait ce que proposent le centre et la droite en France. En Espagne, ce sont des socialistes au pouvoir : 67 ans. (ndlr : il ne précisera en outre jamais à quel point le système espagnol est différent et en grande difficulté)
Après cette accumulation de platitudes, Sophie Binet quitte la table en compagnie des deux éditorialistes libéraux. Arrive alors Marion Maréchal, qui contrairement à la syndicaliste, n’aura affaire qu’au seul Benjamin Duhamel.
Après 30 minutes de discours nauséabond d’extrême droite, va-t-on enfin avoir une respiration politique et un peu de pluralisme ? Évidemment pas. On accueille donc une seconde salariée du Point (encore !), un autre du Figaro (journal le plus communiste de France, si on aime l’ironie…) ainsi que Guillaume Kasbarian, ex-ministre macroniste connu pour ses positions ultralibérales, et pour finir la caution « de gauche » du plateau, le maire PS de Saint-Ouen Karim Bouamrane, figure du néo-Hollandisme. Rappelons que ce dernier est devenu l’une des coqueluches des médias pour sa faculté à constamment attaquer le Nouveau Front Populaire et la France Insoumise.
Sur les dix personnes qui se seront succédées sur ce plateau, il n’y aura eu que la seule Sophie Binet pour défendre de véritables idées de gauche ; et pour être honnête, sans grand succès. Le pluralisme, encore et toujours. Vais-je m’infliger dix minutes supplémentaires de ce calvaire à sens unique ? Non, certainement pas. Bonne nuit.
Vendredi 24 janvier 2025
7h40 : LCI (6/9) – Piétinons la gauche
Sur la matinale de LCI, j’entame mon dernier jour de supplice comme j’avais démarré mon premier : sur une séance de généreuses critiques envers la France Insoumise. Pour mener l’office à bien, la chaîne met à contribution l’un des plus farouches détracteurs du mouvement de gauche : Nicolas Domenach. Rappelons que cet individu, idéologiquement proche du Hollandisme, s’évertue chaque instant à tirer à vue sur le parti de Jean-Luc Mélenchon.
Dans cette séquence intitulée « l’œil de Nicolas » et titrée « Rima Hassan, le vote de la honte », l’éditorialiste va pouvoir s’en donner à cœur joie. D’entrée, le présentateur commence par raconter n’importe quoi dans son lancement (on sent à quel point il a travaillé le sujet) :
— Elle a voté au parlement européen une proposition qui s’oppose à la libération du franco-algérien Boualem Sansal, détenu en algérien et soupçonné d’intelligence par le pouvoir.
Dans la réalité, il ne s’agit pas d’un texte qui se dresse contre la relaxe de l’écrivain, mais d’une résolution plus globale, co-présentée par Marion Maréchal (qu’elle n’a en définitive même pas votée, préférant aller assister à l’investiture de Donald Trump). En plus de réclamer la libération du polémiste, celle-ci menace en particulier l’Algérie de ne pas renouveler ses accords d’associations avec le vieux continent. Raison pour laquelle Rima Hassan s’est opposé à ce texte, notamment pour ne pas créer une escalade diplomatique entre les deux institutions.
— Elle a voté contre, reprend Nicolas Domenach, pour essayer de remettre son présentateur sur les rails. C’est hallucinant, cet écrivain franco-algérien est détenu depuis plus de 70 jours de manière totale arbitraire. Les autorités françaises ne parviennent pas à obtenir sa libération. […] Au parlement européen, on aurait pu penser que tous les parlementaires se seraient prononcés en ce sens. Or, qu’est ce que l’on voit ? 24 voix contre, dont Rima Hassan et deux autres députés insoumis et absentions 48 dont Manon Aubry. Alors abstention comme contre, c’est hallucinant. Imaginez quelqu’un qui se noie, bah vous vous abstenez, vous jetez pas une bouée.
— Ça veut dire quoi, que les insoumis soutiennent l’Algérie pour des raisons politiques ? relance le présentateur
— Ah bah c’est toujours la ligne stratégique recommandée par le grand timonier Jean-Luc Mélenchon. On abandonne l’électorat populaire qui est capté par le Rassemblement National et on se focalise sur le vote communautaire, on présuppose que pour les arabes, né de deuxième ou troisième génération, le conflit palestinien est déterminant, d’où la présence de madame Rima Hassan en numéro 7 sur la liste européenne.
Rappelons que « grand timonier » était le surnom du dictateur chinois Mao Zedong, tout est dans la finesse. Pas un mot sur le fond de l’affaire qu’il était censé commenter au départ. L’éditorialiste se concentre volontairement sur Rima Hassan, n’évoquant pas une seconde les autres opposants à cette mesure. Il n’offrira pas non plus le moindre écho aux justifications données par la députée elle-même.
Il dérivera plutôt longuement sur la Palestine, sujet qui n’a absolument rien à voir, mais qui démontre bien à quel point l’actualité n’était au fond qu’un prétexte. Le racisme du commentateur est d’ailleurs à peine masqué quand il exclut « les Arabes » de l’électorat populaire, comme s’il s’agissait d’une catégorie à part de la population.
15 h 30 : BFM, CNEWS, LCI, France info – L’extrême droite en roue libre
Les quatre chaînes d’informations en continu sont sur le pied de guerre : Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, connu pour ses positions proches de l’extrême droite, donne une conférence de presse. Pendant près de 35 minutes, les quatre canaux (vive le pluralisme) diffuseront une diatribe anti-immigration.
21 h 10 : CNEWS (100 % politique) – Sus à l’immigration
Pour finir mon expérience, j’atterris sur CNEWS où un énième talk-show nous plonge dans une diatribe d’extrême droite pendant plus de 2 h. Avec des invités comme Geoffroy Lejeune (Valeurs actuelles) ou l’avocate Sarah Saldmann, incarnation même de la bourgeoisie réactionnaire, l’émission risque d’être très longue.
Et je ne suis pas déçu, les thématiques s’empilent ad nauseam. Glorification de Bruno Retailleau et sa « méthode Trump », immigration, charges répétées contre la gauche, islamisme, immigration, Algérie, immigration, wokisme, immigration…
Bilan : un paysage très sombre
Je sors de cette semaine de visionnage épuisé mentalement. L’expérience me rappelle le documentaire de Morgan Spurlock. Ce dernier s’était filmé pendant un mois à manger tous les jours à McDonald’s jusqu’à en devenir malade. L’information à la télévision, c’est un peu un principe similaire.
Notre cerveau est comme anesthésié, tétanisé par un flot de nouvelles anxiogènes et surtout par un matraquage politique constant feignant la neutralité avec une malhonnêteté difficile à supporter.
Toujours dans la même direction. L’orientation est presque orwellienne où on arrive à nous pousser à aimer le détestable, et à nous faire haïr ce qui devrait être souhaitable. CNEWS est bien sûr la quintessence de ce processus, tant ce média transpire les mêmes obsessions ressassées jusqu’au dégoût.
Et le pire, c’est que les chaînes spécialisées ne sont pas les seules à transmettre ces messages insidieux. L’époque a également popularisé le divertissement combiné à l’information, sur le modèle des matinales. Comment questionner des émissions où la rigolade et la sympathie des intervenants sont constamment mises en avant ?
Des programmes comme Quotidien, dont le côté faussement subversif masque à peine sa nature libérale, en sont le parfait exemple. Poussé jusqu’à la caricature et tellement grossier qu’il ne trompe plus personne sur ses attentions, Cyril Hanouna exerce dans le même filon, avec un franc penchant pour l’extrême droite.
Mais l’on pourrait aussi citer d’autres productions, comme « Quelle époque » animé par Léa Salamé et tout un plateau de défenseurs de la grande bourgeoisie. Pire encore, d’autres, notamment de télé-réalité, érigent en véritable religion, la compétition, l’anti-intellectualisme, le superficiel, l’argent et la « réussite » entrepreneuriale.
Je n’oublierai enfin pas d’évoquer la publicité, qui mériterait un article à elle seule, tant elle est omniprésente sur la petite lucarne. Des problématiques qui étaient déjà abordées par le sociologue Pierre Bourdieu dans son livre « sur la télévision », il y a près de trente ans.
Et maintenant, que faire ?
À la lumière de toutes ces considérations, on pourrait facilement sombrer dans la déprime. Songer que l’on affronte un monstre aux moyens colossaux et qu’on ne pourra jamais lui résister. Et il faut bien avouer qu’après une semaine devant le poste, on a simplement envie de se dire les idéaux alternatifs à un modèle capitaliste dévorant (humains et planète) n’auront jamais leur place à grande échelle… Et pourtant, même si la majorité des Français leur font encore confiance, la remise en question des médias de masse par l’audience grandit de plus en plus. Selon un sondage, 57 % d’entre eux s’en méfient.
Rappelons ensuite que tout n’est pas à jeter à la télévision, il y existe aussi bon nombre de documentaires et de programmes capables d’apporter réellement quelque chose de constructif et de positif. C’est le cas sur la célèbre chaîne franco-allemande Arte, mais pas uniquement. En ce sens, développer notre esprit critique pour savoir les repérer apparaît comme crucial.
En outre subsistent de nombreuses solutions pour résister au drame qui s’écrit devant nous. La plus évidente d’entre elles consisterait bien sûr à lutter contre la concentration des médias aux mains des milliardaires, par la loi. Car c’est bien ce facteur qui permet une telle situation. Une gestion plus démocratique de l’audiovisuel public paraît indispensable.
Mais en attendant ce bouleversement qui ne sera pas aisé à obtenir, il est possible de pousser dans la bonne direction de manière plus individuelle. Même si les milliardaires accaparent de plus en plus la toile, en particulier sur les réseaux sociaux, il persiste des îlots de résistance, à travers les médias indépendants dont la ligne éditoriale comme le modèle économique sont transparents. La première chose à faire consiste d’abord à les soutenir, pour les faire grossir et augmenter leur influence (n’hésitez pas par exemple à aider Mr Mondialisation, on a besoin de vous).
Il existe enfin une multitude de chaînes YouTube fournissant une information de qualité et alternative, avec une mention spéciale pour « l’actu réfractaire » qui offre un JT concis et de bonne facture chaque jour de la semaine. Idéal pour se tenir un minimum au courant lorsque l’on dispose de peu de temps.
Même si le paysage médiatique dans son ensemble paraît très sombre et que les dirigeants politiques qui en découlent ne laissent pas entrevoir un avenir radieux, il convient malgré tout de continuer à résister face à l’obstacle, animé par l’espoir, aussi mince soit-il. Car, comme le disait Victor Hugo, « si noire que soit la nuit, jamais la lumière ne s’éteint, et si petite que soit la braise, c’est elle qui remet le feu à la plaine ».
– Simon Verdière
Image d’en tête : https://www.flickr.com/photos/151989841@N02/45351295525/