Journaliste, Charlotte Meyer dirige la revue indépendante Combat et écrit pour la rubrique environnement des Échos. Dans Les Enfants de l’Apocalypse. Faire des mômes n’empêche pas d’être écolo (Tana éditions, 16 janvier 2024), issu de trois années de reportage auprès de familles alternatives partout en France, elle aborde différentes thématiques de la parentalité écologiste tels que la naissance, le maternage, l’éducation, le mode de vie et le militantisme.
Reporterre — Pourquoi consacrer un livre aux parentalités écologistes ?
Charlotte Meyer — Je suis tombée enceinte alors que ce n’était pas prévu – j’avais d’ailleurs décidé que je n’aurais pas d’enfants à cause du changement climatique. Plus je lisais, plus je regardais des documentaires, plus je me disais qu’il était déraisonnable voire criminel de faire naître un enfant dans ce monde-là. D’après une étude, les personnes nées en 2020 pourraient vivre sept fois plus de vagues de chaleur extrêmes que les celles nées en 1960 !
J’ai contacté le Planning familial, qui m’a donné rendez-vous six semaines plus tard pour avorter. Sauf que j’ai senti dès les premiers instants que je voulais profondément cet enfant. La veille de l’IVG, j’ai dit à mon compagnon que je ne me rendrai pas au rendez-vous.
Nous étions en reportage itinérant en vue d’écrire un livre, et c’est alors que je me suis dit qu’il serait consacré à cette question : comment élever des enfants dans un contexte de crise écologique ? Je voulais dépasser la théorie et explorer en les incarnant de nouvelles manières d’être parent. En particulier en mettant en avant des familles dites alternatives, encore absentes de nos imaginaires et victimes de nombreux préjugés. Par exemple, j’ai passé trois mois chez Delphine et Gurun, qui vivent avec Melwenn, leur fils de deux ans né à la maison, dans une paillourte [une yourte en paille] qu’ils ont eux-mêmes construite dans la forêt de Brocéliande. Il m’était important de montrer ces familles dans leur vie quotidienne. Je ne dis pas que tout le monde doit, demain, aller vivre en yourte dans la forêt, mais ce sont des sources d’inspiration.
Comment définissez-vous une parentalité écologiste ?
Elle va au-delà des écogestes, insuffisants et qui dépolitisent le débat. C’est une manière différente de se relier au monde. Ma définition est très large. Dans mon livre, certaines personnes vivent en région parisienne scolarisent leurs enfants à l’école publique, ont un travail classique mais essaient de changer le système de l’intérieur — comme Jessica, qui va régulièrement parler d’écologie dans l’école de ses enfants. D’autres ont épousé la vie en écolieu, en habitat léger, voire le nomadisme comme Céline et Xavier qui voyagent à vélo depuis treize ans et ont accueilli en route leurs filles Nayla et Fibie.
L’éducation occupe une place centrale dans cette parentalité. J’ai découvert tout un panel de pédagogies, parfois mises en œuvre par des profs qui essaient de faire bouger l’école de l’intérieur. Mais beaucoup de parents que j’ai rencontrés ont choisi l’instruction en famille (IEF).
Je voulais casser les caricatures qui y sont associées, notamment depuis la loi contre le séparatisme de 2021 qui en a durci les règles. Certaines font école au milieu des bois, ce qui crée un rapport au vivant complètement différent. Chez Olivier, Livia et leurs trois enfants, qui vivent en autonomie sur trois hectares à Roz-sur-Couesnon (Ille-et-Vilaine), l’école ne dure que deux heures le matin et est concentrée pendant l’hiver. Le reste du temps, les petits sont dehors avec leurs parents, à participer au potager en permaculture, à la récolte du miel, etc.
« L’éducation occupe une place centrale dans cette parentalité »
C’est aussi un rapport au temps différent. Dans notre société, nous ne sommes pas poussés à nous occuper de nos enfants : nous sommes censés reprendre le travail très vite près leur naissance et les mettre à la crèche puis à l’école jusqu’à 18 h 30 ; ils sont exclus de certains restaurants et de certains avions ; les rues ne sont pas aménagées pour y circuler avec des poussettes ou de jeunes enfants… Les familles que j’ai rencontrées ont décidé de mettre l’enfant au centre, et ça détonne dans le paysage.
Pour certains écolos, se pose aussi la question de concilier parentalité et militantisme…
C’est difficile. Il est compliqué de caser le militantisme dans son emploi du temps, notamment quand on pratique le maternage proximal et qu’on s’occupe de son enfant à plein temps. Ça change aussi le rapport au risque : on ne peut pas se permettre de finir en garde à vue quand on a des enfants qui attendent à la maison. Certaines organisations créent des minigroupes de parents, à l’image de Mothers Rebellion, issu d’Extinction Rebellion, qui mènent des actions moins dangereuses.
Les enfants ne sont jamais loin. J’ai l’exemple de Jessica, mère de quatre enfants, qui milite le week-end aux Soulèvements de la Terre. Parfois, un de ses fils l’accompagne. Quand elle ne peut pas aller sur le terrain, elle s’implique dans la pose des affiches et le réseautage. Un soir, alors qu’elle organisait une réunion chez elle, les enfants s’étaient cachés derrière le canapé pour y assister.
Malika Peyraut et John Palais, qui se sont rencontrés à Alternatiba et ANV–COP21, emmènent aussi leurs deux petites filles en réunion et discutent devant elles de sujets tels que l’énergie nucléaire. Le militantisme n’est pas un cours inscrit dans l’emploi du temps mais fait partie des choses normales abordées au quotidien, et les enfants apprennent très vite.
La plupart des personnes que vous avez interviewées sont des femmes. Certaines pratiques présentées comme écologistes dans votre livre, par exemple le maternage proximal ou l’allaitement non écourté, demandent un fort investissement maternel. Peut-on concilier parentalité écolo et émancipation des femmes ?
Effectivement, c’est un dilemme. Il n’existe pas de réponse concrète à comment concilier allaitement, maternage proximal et féminisme. Pour certaines femmes, pas toutes, la grossesse et l’allaitement sont des moments de redécouverte du corps et d’empowerment. Très tôt dans mon reportage, j’ai rencontré des femmes qui avaient accouché à domicile, au terme de grossesses très peu suivies, parce qu’elles ont confiance en leur corps. Pourtant ancienne anorexique, j’ai adoré voir mon ventre s’arrondir, réaliser que mon corps de femme était capable de faire pousser un nouvel être et de lui donner la vie. En allaitant, je me suis rendue compte que mon corps pouvait nourrir mon enfant et qu’il était en cela un outil de lutte contre le système capitaliste qui nous vend des laits industriels contenant de l’huile de palme. C’était hyper puissant. Les hommes ne savent pas faire tout ça !
Cela pose aussi la question du travail. Oui, le travail nous a émancipées. Nous avons besoin d’indépendance financière. Mais le nombre de burn-out explose. Jessica, qui comme aide-soignante gagne 1 300 euros par mois, m’a écrit ce message : « Moi, le travail me tue. » À l’inverse, Daliborka Milovanovic a choisi de rester à la maison s’occuper de ses enfants avec qui elle pratique le maternage proximal, le cododo et l’instruction en famille. Elle est aussi éditrice, autrice et a cofondé la troupe de théâtre des Femmes sauvages.
Le problème, c’est que s’occuper de ses enfants est dévalorisé par la société, alors que c’est un vrai travail. S’il était reconnu et que pères et mères au foyer étaient correctement rémunérés, les choses seraient complètement différentes.
Qu’est-ce que qu’écrire ce livre vous a apporté en tant que future et jeune mère ?
Aujourd’hui encore, en tant que journaliste écolo, je traverse des montagnes russes émotionnelles : de profonde écoanxiété après avoir discuté avec des scientifiques, d’optimisme après un sujet « solution ». Les familles alternatives que j’ai rencontrées pour ce livre ne sont plus du tout là-dedans. Elles ont parfois trois ou quatre enfants et ont inventé un mode de vie harmonieux, qui correspond à leurs valeurs, proche du vivant et respectueux des limites planétaires. Elles vivent dans le bonheur et élèvent leurs enfants dans la joie. Quand j’ai vu arriver Delphine au loin pour la première fois, cela se voyait jusque dans sa démarche, son sourire. Cela m’a beaucoup aidée de voir ça.
« Nous sommes dans un système qui ne nous incite pas à penser différemment »
De manière plus concrète, quand je suis tombée enceinte, mon compagnon m’a dit qu’on ne pouvait pas accueillir cet enfant dans le van où nous vivions à l’époque. Puis, au fur et à mesure de mon reportage, j’ai rencontré des parents qui élèvent leurs quatre enfants dans une yourte, d’autres en étant nomades à vélo. Les enfants étaient acclimatés, et heureux. Ça m’a fait relativiser et j’ai appris plein de choses. Nous sommes dans un système qui ne nous incite pas à penser différemment. Mais en tant que visiteuse, j’avais parfois envie de m’installer avec mes hôtes dans leur paillourte !
Quels messages souhaitez-vous adresser aux lecteurs qui hésitent à avoir des enfants pour des raisons écologiques ?
Il faut arrêter ce débat qui nous divise et nous fait perdre du temps. Notre combat est le même. La question est de savoir comment élever les générations suivantes, leur apprendre à être courageux, résilients et heureux malgré le changement climatique. Nos enfants nous obligent, nous donnent de la force et de l’espoir. Ils nous incitent à repenser encore plus fort nos modes de vie. Si je n’avais pas eu ma fille, je ne sais pas si j’aurais quitté Paris. Aujourd’hui, nous vivons dans les gorges du Verdon. Ma fille se baigne tous les jours, escalade les rochers et, à 2 ans et demi, sait déjà reconnaître les feuilles et une quinzaine d’oiseaux différents. Sa curiosité éveille la mienne, je redécouvre le monde à travers ses yeux. C’est une richesse !
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Les Enfants de l’Apocalypse, de Charlotte Meyer, aux éditions Tana éditions, janvier 2025, 272 p., 18,90 euros. |
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