Soigner la faune sauvage, le combat de Céline Maury


Soigner la faune sauvage, le combat de Céline Maury
Soigner la faune sauvage, le combat de Céline Maury

Céline Maury est directrice d’Hegalaldia, le seul centre de soins pour la faune sauvage au Pays basque. Pour Mr Mondialisation, elle raconte l’histoire du centre et son combat pour la sauvegarde de la faune. Interview.

Hegalaldia, qui signifie l’envol en basque, est une association de protection de la nature qui gère le seul centre de soins pour la faune sauvage des Pyrénées-Atlantiques. Avec plus d’un hectare d’installations et 25 volières et enclos, piscines, bâtiments, l’association accueille plus de 2 500 animaux chaque année. Pourtant, l’instabilité financière des centres de soins en France les fragilise fortement.

Interview

Mr Mondialisation : Comment est née l’association ? 

Céline Maury : Tout est parti des vautours fauves, dont les populations étaient amoindries dans les années 2000, et il fallait les sauver. Ce rapace charognard (ndlr : qui se nourrit principalement de cadavres) – originaire des régions montagneuses et des plateaux du sud de l’Europe, du nord de l’Afrique et de l’Asie occidentale, était menacé par les tirs et les empoisonnements volontaires ou accidentels. Avec trois autres personnes, François Laspresses a alors créé l’association Hegalaldia qui opérait au fin fond d’une vallée basque dans un garage, faute de structure existante. Rapidement, l’Office Française de la Biodiversité nous a ramené des vautours, des chouettes, des buses, et d’autres oiseaux. 

« Il faut protéger la faune sauvage à tout prix et il nous faut des moyens pour le faire »

En 2002, le navire pétrolier le Prestige a fait naufrage au large de la Galice, en Espagne et a fini par se briser en deux, créant une marée noire très nocive pour la biodiversité et surtout pour les oiseaux. L’association a donc fait appel à Stephan Maury, intervenant sur les centres de soins, qui a mis en place le schéma d’intervention pour ce genre de catastrophes. Quelques mois plus tard, les élus locaux ont soutenu le projet et l’association a pu trouver un terrain à Ustaritz, à quelques kilomètres de Bayonne. 

Mr Mondialisation : Pourquoi votre centre de soins est particulièrement important pour la faune locale, mais pas seulement ?

Céline Maury : D’abord, le refuge d’Hegalaldia participe aux Plans nationaux d’actions en faveur des espèces menacées (PNA), qui vise à protéger les grands rapaces de type gypaètes barbus, percnoptères d’Égypte, vautours fauves et moines, espèces pour lesquelles nous établissons un suivi régulier et des rapports de prises en charge. 

« Le Pays basque est aussi une zone à fort intérêt de biodiversité, car il est situé sous des couloirs de migration, mais aussi à la croisée de différentes topographies : les littoraux, les villes, les campagnes et les montagnes »

À l’inverse de certains autres centres de soins, nous accueillons des animaux toute l’année, entre les jeunes, les migrateurs affaiblis, les oiseaux marins, les hérissons, ou encore les blaireaux et renards qui sont classés ESOD (ndlr : Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts, selon le classement ministériel).

Avec toutes autorisations – Hegalaldia  

Mr Mondialisation : Pour quelles raisons avez-vous tant d’animaux à soigner ? 

Céline Maury : Contrairement à ce qu’on pense, le tir, c’est moins de 1 % des accueils, car nous sommes plutôt sur un territoire sur lequel les chasseurs font des battus de sangliers et de chevreuils, des palombes et des canards, à l’inverse d’autres centres qui accueillent beaucoup de rapaces tirés, par exemple. Quand on a une espèce tirée, on le signale aux chasseurs du coin qui font remonter l’information en interne. La prédation de chats et chiens, ainsi que les accidents avec des véhicules sont nos principales causes d’accueil. 

Mr Mondialisation : Quels sont les animaux que vous accueillez le plus ? 

Céline Maury : L’année dernière, nous avons accueilli beaucoup de guillemots (ndlr : oiseaux marins de la famille des pingouins) car, de manière cyclique, tous les 3 ou 4 ans, ici au Pays basque, nous avons beaucoup de tempêtes. Et lorsqu’il y a des tempêtes, les bateaux en profitent pour relâcher des substances chimiques créant des mini marées noires qui impactent fortement les oiseaux marins.

Les guillemots sont des victimes visibles de ces pratiques, mais nous en voyons de moins en moins, ce qui n’est pas bon signe. Ils ont en effet plus de mal à se nourrir, ingurgitent d’énormes quantités de plastique, et subissent la grippe aviaire de plein fouet.  Avant, un guillemot qui arrivait au centre faisait 600 grammes, et on les ramenait à 800 voire 1000 grammes. Aujourd’hui, un guillemot arrive à 400 grammes, il repart à 600 grammes, et s’il repart à 700 grammes, c’est une prouesse. La dénutrition de cette espèce peut rapidement être fatale. 

Guillemots – avec toutes autorisations – Hegalaldia

Mr Mondialisation : Est-ce uniquement le cas des guillemots ?

Céline Maury : Malheureusement non. Tous les oiseaux marins sont concernés, à part peut-être les goélands qui sont débrouillards. Les colonies d’oiseaux marins se sont véritablement effondrées. Cette année, nous avons aussi accueilli beaucoup de tortues marines, qui n’ont plus assez de force pour passer les courants à cause de la pollution plastique qui les dénutrit, entre autres. 

Mr Mondialisation : Quels sont les animaux que vous accueillez le moins ? 

Céline Maury : On accueille très rarement des blaireaux et des renards, classés comme espèces nuisibles et soumis à une réglementation stricte. Au départ, nous avions le droit de nous en occuper, puis on nous l’a interdit, mais à force d’acharnements auprès de la préfecture, nous avons eu des autorisations pour les soigner et relâcher.

La situation des centres de soins face à cette règlementation est assez contradictoire puisque nous avons le droit de les accueillir, de les soigner en vue de les relâcher, mais pas de les transporter ni de les « relâcher ». Les textes de loi mentionnent le verbe « relâcher » au sujet des animaux d’élevage, mais nous parlons d’animaux qu’on remet dans leur milieu naturel. Il faut éclaircir ce texte de loi ! 

« Le renard dérange les gens qui ne s’occupent pas de leurs poules, qui veulent avoir tous les avantages de la campagne sans les inconvénients. Pourtant, c’est un formidable régulateur de rongeurs »

Certains agriculteurs font aussi des campagnes pour tuer le renard dans des conditions abominables, sans réfléchir aux conséquences, ou mettent de la mort au rat partout, ce qui tue aussi en bout de chaîne les rapaces… Bref, c’est un cercle vicieux. 

Les blaireaux sont déterrés parce qu’ils font remonter des pierres dans les champs, ce qui peut endommager les tracteurs, mais ils peuvent aussi véhiculer la tuberculose bovine. Quand ils l’ont, l’air des terriers est aussi contaminé. Quand des blaireaux sont tués, les jeunes d’autres terriers en recherche de territoire peuvent alors se réfugier dans ces mêmes terriers contaminés et tomber malades, encore un cercle vicieux. Il y a de vraies questions politiques à se poser à ce sujet ! 

Mr Mondialisation : Et le hérisson dans tout ça ? 

Céline Maury : C’est une espèce qu’on accueille depuis plus de 20 ans, car elle est très présente sur le territoire. Elle est classée comme « quasi menacé » par International Union for Conservation of Nature (UICN) qui publie chaque année une liste rouge des espèces menacées. Chez nous et dans d’autres centres, on en accueille tellement qu’on peut se poser des questions sur sa population réelle. Les chiffres sur les hérissons en danger d’extinction proviennent du Royaume-Uni, où, là, il est vraiment en danger.  

Avec toutes autorisations – Hegalaldia

Mr Mondialisation : Quelles sont les espèces que vous avez accueillies à cause du dérèglement climatique ? 

Céline Maury : On accueille des Hérons garde-bœufs, et des Élanions blancs, qui viennent d’Afrique, mais qui sont complètement implantées chez nous depuis quelques années. Il y a deux ans, arrivée avec les vents chauds, on a accueilli une espèce jamais vue en France, la Blongios de Sturm. On a aussi eu un Flamant rose qu’on a relâché dans la réserve naturelle du marais d’Orx, à quelques kilomètres. 

Mr Mondialisation : Quelles difficultés rencontrez-vous ? 

Céline Maury : Malheureusement, beaucoup de structures sont habituées à ce qu’on fasse notre travail gratuitement. Comme c’est un métier passion, on donne beaucoup, mais on ne peut pas tout faire bénévolement et nous avons besoin d’argent pour continuer notre travail de soin. Il faut parfois savoir s’imposer et négocier des financements, que nous avons déjà du mal à trouver, car ils ne sont ni stables ni récurrents. 

Nous remplissons beaucoup de dossiers de subventions, mais tout cela prend un temps fou. Pour les collectivités territoriales, l’environnement, c’est l’eau et les déchets et on nous répond toujours qu’il n’y a rien de prévu pour nous. On est pris au piège par la réglementation interdisant d’une part aux vétérinaires – généralement pas formés pour les animaux sauvages – d’exercer sur site, et d’autre part, aux particuliers d’accueillir chez eux, ceux pourquoi nous existons. Mais aucune ligne budgétaire n’est prévue pour nous soutenir. Ici à Hegalaldia, on a 5 salariés, l’eau courante et le chauffage, mais d’autres centres de soins n’ont pas cette chance. 

Mr Mondialisation : Un message à faire passer ? 

Céline Maury : Il faut une prise de conscience nationale sur la question des centres de soins : la réglementation doit changer pour nous donner des fonds et nous permettre d’embaucher ou payer des vétérinaires ou bien autoriser les capacitaires à le faire. 

– Propos recueillis par Maureen Damman pour Mr Mondialisation


Photo de couverture : Hegalaldia

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