« L’addiction de notre modèle agricole aux engrais chimiques participe à financer la guerre de Poutine », dénonce un rapport des Amis de la Terre France publié le 14 février. Ils attirent l’attention sur un phénomène peu connu : alors que l’Union européenne dans son ensemble diminue depuis 2021 ses importations de produits fossiles de Russie, la France, elle, marche à contre-courant.
L’UE s’est engagée via son plan « REPowerEU » à s’affranchir du gaz russe d’ici 2030. Certes, les importations de gaz par gazoducs ont globalement baissé de moitié en Europe comme en France. Mais dans le même temps, la France est devenue le premier pays importateur de gaz naturel liquéfié (GNL) russe d’Europe, avec 6,21 milliards de mètres cubes en 2024, soit près d’un tiers des importations totales françaises de GNL, en seconde place après les États-Unis.
Ce combustible liquide ne sert même pas uniquement la consommation intérieure, mais est ensuite réexporté depuis les terminaux méthaniers de Dunkerque et Montoir-de-Bretagne. [1]
« Les engrais de synthèse sont du gaz fossile sous une autre forme »
Premier importateur de GNL, la France est aussi le premier consommateur d’engrais azotés — — dont la production est énergivore et très dépendante des combustibles fossiles — dans l’Union européenne. Comment fabrique-t-on l’ammoniac à la base de ces fertilisants ? En séparant l’hydrogène du méthane pour le combiner avec de l’azote aérien, chauffé à très hautes températures en brûlant du gaz. Ce qui fait dire aux Amis de la Terre que « les engrais de synthèse ne sont rien d’autre que du gaz fossile sous une autre forme ».
Selon la note de l’ONG, les volumes importés par la France depuis le début de l’invasion russe en Ukraine ont ainsi augmenté de 86 % passant de 402 000 tonnes de produits finis en 2021 à 750 000 tonnes en 2023. Et les données provisoires officielles pour 2024 laissent entrevoir un niveau toujours très élevé.
La « dépendance croissante » de la France à la Russie
D’après les estimations de l’ONG, près de 210 milliards d’euros ont été versés par les économies européennes à la Russie depuis le début de la guerre pour l’ensemble des énergies fossiles, dont la moitié environ pour le gaz. De l’argent qui est ensuite taxé par l’État russe, et alimente son budget militaire. En l’absence de dispositif de sanction européen, le gouvernement russe a également mis en œuvre ses propres taxes douanières sur les engrais exportés. S’y ajoutent les financements privés des oligarques du gaz à destination de compagnies militaires privées.
Cette dépendance n’inquiète en tout cas pas que les écologistes puisque même l’Unifa, lobby des industriels français de la fertilisation, s’alarmait le 27 janvier que « cette tendance poursuivie en 2024 place l’agriculture française sous une dépendance croissante vis-à-vis de la Russie, qui fournit désormais un jour sur sept les besoins en nutriments du secteur agricole français ».
Message reçu par la Commission européenne qui a proposé de taxer ces importations, avec une augmentation progressive du taux actuel (6,5 %) à 100 % d’ici trois ans.
Mais c’est tout le problème d’une dépendance à une production. Soit les prix des engrais vont augmenter — et donc l’effet retombera sur le monde agricole — soit la France deviendra dépendante d’un autre pays. Les États-Unis par exemple, dont le gouvernement d’extrême droite amorce une large guerre commerciale.
Quelles solutions ? Si la dépendance au gaz peut rapidement être réduite en diminuant les consommations et investissant dans la rénovation énergétique et la mise au rebut des chauffages fossiles, le problème des produits azotés est plus épineux.
En finir avec les engrais chimiques
« Sortir des engrais, ça veut dire accepter à terme de baisser les niveaux de production », selon Manon Castagné, chargé de mission agriculture aux Amis de la Terre. Qui note que le modèle agro-industriel qui utilise fortement ces engrais fait peser de « vrais risques sur la souveraineté alimentaire » en France.
Pour parvenir à sortir de notre dépendance, sans que ce soit subi et violent pour les producteurs, il faut sans plus attendre « concentrer les efforts vers les modèles agricoles qui se passent des engrais, en bio notamment, favoriser la production de légumineuses, qui fixent l’azote, et surtout travailler sur le régime alimentaire ».
Car une grande part des céréales produites à l’aide d’engrais azotés servent avant tout à l’alimentation des élevages en agriculture conventionnelle. Baisser notre pression sur la consommation de produits carnés, c’est aussi diminuer les surfaces nécessaires pour nourrir les animaux et donc mécaniquement les besoins en intrants.
Des pistes connues depuis longtemps, mais qui en plus de réduire les émissions carbone de l’agriculture, la pollution des cours d’eau, auraient désormais comme vertu de tarir l’économie de guerre russe. Plus qu’à se mettre à table.
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