Dijon ( Côte-d’Or), reportage
« À un moment donné, il va peut-être falloir évacuer cette zone », sur laquelle se trouveraient des « bidonvilles », a déclaré la maire socialiste de Dijon nouvellement en poste, Nathalie Koenders, sur le plateau de France 3. Un vent de panique souffle sur le « quartier libre » dit des Lentillères depuis qu’un incendie a complètement détruit une maison au cœur de cette zone autogérée et agricole, mercredi 29 janvier.
Le feu a également endommagé le toit d’un bâtiment accolé. Aucun blessé n’a été déploré, mais deux habitants ont perdu leur logement ainsi que toutes leurs affaires. Dans la foulée, le premier adjoint au maire délégué à l’Urbanisme, à la Transition écologique et à l’Administration générale, Antoine Hoareau, s’est rendu sur place. Le lieu, né en 2010 pour résister à un projet de bétonisation, en a pris pour son grade.

Potagers partagés, cantine… Depuis 2010, des habitants de Dijon font vivre le quartier libre dit des Lentillères.
© Camille Jourdan / Reporterre
L’élu a notamment évoqué des « personnes […] logées dans des conditions absolument indignes », « des gens qui vivent à même le sol », « une situation [..] de très grande précarité et d’inhumanité », affirmant que « même nos animaux sont mieux traités ».
« Ces propos nous ont vraiment abattus », réagit Morgane, habitante des Lentillères depuis dix ans. « Nous avons l’impression que ces élus ont pris quelques micro-éléments du quartier pour dire que c’était un endroit horrible. »
Un dialogue rompu
La volonté de la mairie de détruire ce lieu bien connu des militants de gauche — qui accueille bien des événements politiques et abrite de nombreuses personnes précaires — franchit un pas. L’envie de la municipalité : arriver, enfin, à créer son écoquartier (« l’écocité Jardin des Maraîchers », un projet de construction immobilière.
Née en 2010 en contestation à ce projet, la zad dijonnaise abrite depuis, sur 8 hectares, 80 personnes qui vivent dans des maisons, cabanes, caravanes et autres lieux de vie, ainsi que des jardins maraîchers partagés, une cantine — et même un terrain de BMX. « Nous reconnaissons qu’une précarité existe aux Lentillères, mais elle existe aussi ailleurs, dit Morgane. Et elle est peut-être plus facile à vivre ici que dans des endroits isolés, où on ne peut pas bénéficier d’une telle solidarité. »
L’entraide s’est encore manifestée lorsque l’électricité a été coupée par la Ville dans une partie du quartier à la suite de l’incendie. « Trente-cinq personnes se sont retrouvées sans chauffage, dit Morgane. Nous avons tiré des rallonges pour qu’elles aient la lumière, et les gens se sont rassemblés les uns chez les autres, pour dormir dans des pièces chauffées. »
Si Antoine Hoareau affirme rester dans « une dynamique de dialogue », celui-ci semble pourtant rompu depuis plusieurs mois. Après l’abandon d’une partie du projet d’écoquartier en 2019, François Rebsamen, le maire socialiste de l’époque, avait toujours maintenu l’idée de construire sur 2 — puis 1,4 — des 8 hectares des Lentillères.
À l’automne 2022, des discussions avaient été entamées entre des membres des Lentillères et des employés de la mairie pour étudier la mise en conformité des habitats, ainsi que la régularisation du quartier (en signant des baux). Las, le maire avait stoppé ces échanges par une déclaration dans le journal local, en janvier 2024.
Un « parc agriculturel » à la place du quartier libre
Quelques mois plus tard, il a annoncé, lors d’une réunion publique, la création d’un « parc agriculturel » soit le maintien de nombreux espaces de maraîchage, mais aussi la construction « d’entre 60 et 80 logements, de deux étages maximum sur cet endroit, qui est pollué et qui abrite pour le moment une piste de BMX », comme le rapporte le magazine Dijon Beaune. Cette rencontre s’est heurtée à l’opposition d’habitantes et habitants ainsi que de riverains, et s’est soldée par l’annonce — officieuse — d’un référendum pour décider du sort des Lentillères. Depuis, silence radio.
Avec les récentes déclarations de Nathalie Koenders, « on assiste aujourd’hui à un rétropédalage de la mairie et de ce qu’elle avait reconnu jusqu’ici, regrette Morgane. Nous avons peur que ce recul aille plus loin. »
« On assiste à un rétropédalage de la mairie »
« Nous espérons toujours reprendre le dialogue, affirment toutefois les défenseurs du quartier dans un communiqué, sur la base des cinq dimensions qu’offrent les Lentillères, et qu’avait reconnues la mairie (la fonction sociale, celle de protection et valorisation de la biodiversité, le maraîchage, l’habitat, et la dimension culturelle) ». Ils insistent également sur leur « volonté de régulariser les lieux et de continuer la mise aux normes des bâtiments ».
En 2019, les défenseurs du quartier libre avaient soumis l’idée de créer une ZEC — une Zone d’écologies communale, création juridique locale — pour préserver la richesse de cette expérimentation. Une proposition qui n’avait pas reçu de réponse de la part de l’institution.
Lire aussi : Quartier libre, les Lentillères de Dijon veulent le rester !
Le 8 février, un rassemblement en soutien aux Lentillères a réuni environ 300 personnes à Dijon. Le quartier a aussi reçu le soutien d’enseignants-chercheurs de l’Université de Bourgogne, ou encore de l’Union Solidaires 21.
legende