il y a cinquante ans, une forêt l’emportait sur le plomb


17 février 2025 à 09h55

Durée de lecture : 3 minutes

Marckolsheim (Bas-Rhin), reportage

D’un côté de la route, la forêt alluviale rhénane préservée. De l’autre, des milliers de voitures stationnées sous des ombrières photovoltaïques. Et au milieu, une centaine de personnes venues célébrer une victoire majeure dans l’histoire du militantisme écologique alsacien. Le 15 février, ils sont quelques anciens à se succéder au micro de l’association Alsace Nature pour ressusciter « Marcko », la première zone à défendre (zad) qu’ait connu l’Alsace.

Tout commence en mars 1974, lorsque le préfet de l’époque annonce aux élus locaux l’installation d’une usine de stéarates de plomb dans la zone portuaire de Marckolsheim, le long du Rhin. Contesté en Allemagne puis en Moselle, le projet de la Chemische Werke München (CMW) provoque à son tour une vive opposition en Alsace. « Comment les Alsaciens allaient-ils accepter ce que les autres n’avaient pas voulu ? » raille Antoine Waechter, ancien président départemental de l’Association fédérative régionale pour la protection de la nature (AFRPN). Deux motifs cristallisent la lutte contre l’usine : la crainte d’une pollution au plomb et la destruction annoncée de 800 hectares de forêts alluviales rhénanes.


Antoine Waechter, ancien président départemental de l’AFRPN.
© Adrien Labit / Reporterre

Rapidement, la mobilisation prend de l’ampleur. Une manifestation réunit plus de 2 000 personnes dans les rues de la commune en juillet. Pourtant, le 20 septembre 1974, à 12 h 30, les machines se mettent en marche. Prévenus par l’apiculteur de la commune qui passait devant le chantier, Antoine Waechter et son amie Solange Fernex filent sur le site et s’interposent. « C’était un vendredi. Le chef de chantier a reporté l’opération au lundi en disant qu’on ne serait plus là. » Mais le week-end, l’occupation du site s’organise. Elle durera plusieurs mois.


D’anciens occupants de la zad chantent «  Die Wacht am Rhein  » de Walter Mossmann. En 1974, le chanteur allemand détourne les paroles d’un chant patriotique pour en faire un hymne à la lutte de Marckolsheim et à la réconciliation entre Alsaciens et Allemands.
© Adrien Labit / Reporterre

Du plomb dans l’aile des grands aménagements

« Il y avait beaucoup de femmes, se souvient Andrée Buchmann, étudiante à l’époque. Des grands-mères avec leur fichu sur la tête, des mères avec leurs enfants. Des paysans, des étudiants… Les autorités françaises étaient désarçonnées. Elles n’avaient pas l’habitude d’une telle mobilisation. Ce n’était pas comme Mai 68 face à des étudiants qui balançaient des pavés. Qu’est-ce qu’elles allaient faire face à des familles et personnes âgées ? »

Des sympathisants de toute l’Alsace descendent à « Marcko ». Comme Frantz Bernardt, originaire de Ribeauvillé, dans le Haut-Rhin. Alors étudiant au lycée technique de la Meinau, à Strasbourg, le jeune homme enfourche sa mobylette le vendredi soir pour passer ses week-ends sur le camp. Au sein de la Frendschaft’s Huss, la maison de l’amitié, construite en dur sur le site, on joue de la musique et on discute beaucoup.


Frantz Bernardt, ancien occupant de la zad.
© Adrien Labit / Reporterre

« On se disait que l’argent était derrière tous ces projets, qu’il fallait faire attention à ce que l’industrialisation ne bousille pas tout, et que notre opposition ne pouvait fonctionner que si l’on faisait front avec les Allemands. » Ces derniers sont d’ailleurs nombreux à venir soutenir les Alsaciens sur le site. Des ponts militants se créent au-dessus du Rhin, qui emmèneront les Alsaciens soutenir leurs voisins dans la contestation d’un projet de centrale nucléaire à Wyhl.

À l’ouest du fleuve, la mobilisation de Marckolsheim s’achève à la fin février 1975, lorsque l’État renonce au projet d’usine. En 1990, les Alsaciens seront en revanche contraints d’accepter l’installation du fabricant d’acide citrique Jungbunzlauer sur le même site, avec un défrichage réduit à 27 hectares. Mais ils obtiendront la protection définitive des forêts alluviales rhénanes, longtemps classées zones industrielles dans les schémas d’aménagement du territoire adoptés dans les années 1960. « C’est ce que l’on retiendra sous le nom des accords de Marckolsheim », conclut Andrée Buchmann. Ratifié par l’association Alsace Nature (ex-AFRPN), il aujourd’hui toujours en vigueur.




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