L’issue du vote était malheureusement courue d’avance. Comme prévu, le Sénat a majoritairement voté pour le projet de loi d’orientation agricole, mardi 18 février. Alors que le texte adopté par l’Assemblée nationale en mai 2024 constituait déjà un recul majeur de la législation environnementale, cette nouvelle version dictée par la droite sénatoriale est encore pire.
Élaboré comme une réponse face à la colère des agriculteurs, ce projet de loi ne répond même pas à son objectif principal : le renouvellement des générations pour assurer la souveraineté alimentaire, dénonce Marie Pochon, députée écologiste de la Drôme. Le texte, que le gouvernement veut faire adopter en urgence d’ici au début du Salon de l’agriculture, samedi 22 février, n’est selon elle que le moyen de réaliser un « coup de com ».
Reporterre — Pourquoi le texte adopté par la majorité de droite au Sénat est-il encore plus néfaste pour l’environnement que celui voté par les députés ?
Marie Pochon — Les sénateurs ont renforcé l’orientation productiviste du projet de loi et supprimé la plupart des références à la protection de la biodiversité et à la transition écologique. L’une des mesures les plus emblématiques concerne les atteintes aux espèces protégées. Alors qu’aujourd’hui, la destruction d’une espèce protégée est punie de maximum cinq ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, les députés avaient déjà introduit le « principe de non-intentionnalité », c’est-à-dire que seules les atteintes jugées intentionnelles pourront être sanctionnées pénalement. Les sénateurs sont allés encore plus loin en dépénalisant totalement ces atteintes et en proposant seulement une amende de 450 euros. C’est un permis de détruire la biodiversité en toute impunité, qui sera d’ailleurs sans doute jugé inconstitutionnel.
Ils ont également supprimé l’objectif de 21 % de surface agricole utile en bio et 10 % en légumineuses d’ici à 2030. Cet objectif avait failli être annulé par les députés au printemps, avant d’être sauvé in extremis. Cette suppression par le Sénat est un très mauvais signal envoyé à la filière bio, déjà cible d’attaques répétées. L’existence même de l’Agence du bio avait déjà, il y a quelques jours, été remise en cause par la majorité sénatoriale.
« Le calendrier imposé par le gouvernement est complètement absurde »
Enfin, en consacrant la souveraineté alimentaire comme intérêt majeur de la France, les sénateurs ont complètement dévoyé ce terme. Ils veulent imposer une vision productiviste de l’agriculture avec toujours plus de pesticides, de techno-solutionnisme pour exporter toujours plus, sans assurer par aucun moyen ni la durabilité ; ni l’autonomie de la France, notamment vis-à-vis des intrants importés. On ferme l’horizon des choix aux agriculteurs, et on laisse la voie libre aux marchés dérégulés.
Une commission mixte paritaire va se réunir pour trouver un compromis entre députés et sénateurs dès ce mardi soir. Il y a donc encore une chance que la version du Sénat ne soit pas définitivement adoptée ?
Un texte de compromis doit effectivement être trouvé par une commission mixte paritaire [CMP] réunissant sept sénateurs et sept députés. Si l’Assemblée nationale a bien le dernier mot sur le Sénat en cas de désaccords, cette CMP va se réunir dans l’urgence. L’objectif du gouvernement est de permettre un vote définitif de l’Assemblée Nationale puis du Sénat dès le lendemain, afin de faire des annonces de communication juste avant l’ouverture du salon de l’agriculture, samedi 22 février. C’est trop rapide, il risque d’y avoir des pressions sur les membres de la CMP pour qu’ils tombent d’accord dans la nuit. Ce ne sera pas un débat serein.
C’est un passage en force de l’exécutif. Ce texte, qui aborde des enjeux aussi essentiels que la souveraineté alimentaire et qui suscite autant de clivages mérite mieux. C’est pourquoi nous demandons que les débats puissent se poursuivre jusqu’à mi-mars.
« Le texte ne répond pas aux questions sur l’installation agricole, ni sur le renouvellement des générations »
Par ailleurs, dans cette CMP, les opposants à la loi d’orientation agricole sont minoritaires. Les Écologistes ne voteront pas [1], la majorité est détenue par l’alliance des Républicains et des macronistes. Le sénateur LR Laurent Duplomb siège à cette commission et fera tout son possible pour l’influencer. Il est à l’origine d’une proposition de loi pour réautoriser les néonicotinoïdes, soutenir les projets de mégabassines, détruire les zones humides. Cela n’augure rien de bon.
Au-delà des régressions environnementales, pourquoi estimez-vous que le texte voté par le Sénat ne résout pas les problèmes des agriculteurs ?
Il ne répond pas aux questions sur l’installation agricole, ni sur le renouvellement des générations. Alors que la moitié des agriculteurs devrait partir à la retraite d’ici 2030, le texte ne dit rien sur le foncier. Le seul élément qu’il promeut est « l’acquisition de compétences managériales » [dans le cadre d’un « bachelor agro », un diplôme de niveau bac +3]. Bien que 50 % des agriculteurs qui souhaitent s’installer veulent le faire en bio, aucun programme pour les accompagner n’est prévu.
L’objectif de ce texte, en réalité, est d’assurer notre balance commerciale et notre compétitivité à court terme, quitte à mettre en péril le nombre d’agriculteurs qui produisent sur nos territoires, l’accès des Français au bien manger, la biodiversité et le climat… Le texte ne réglera pas les problèmes des agriculteurs ni de la souveraineté alimentaire.
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