Comment les écologistes entendent taxer les ultrariches


En 2014, l’homme d’affaires français Xavier Niel clamait son amour pour son pays en affirmant : « La France est un paradis fiscal. » Parce que les milliardaires ont, en effet, des taux d’imposition « ridiculement faibles » en France, les députés du groupe écologiste et social Éva Sas et Clémentine Autain ont déposé une proposition de loi pour taxer les 0,01 % des plus riches à hauteur de 2 % de leur patrimoine.

Celle-ci sera soumise au vote de l’Assemblée nationale jeudi 20 février, et pourra être décisive dans un contexte de baisses drastiques des dépenses publiques, notamment celles qui concernent la transition écologique.

La proposition de loi, déposée le 12 février, avait reçu le soutien du Nouveau Front populaire (NFP) — la droite et les macronistes s’y étaient opposés, tandis que le Rassemblement national s’était abstenu.

Dans le détail, il s’agit d’un impôt plancher sur la fortune (IPF) pour les contribuables possédant plus de 100 millions d’euros afin de s’assurer que les 1 800 foyers fiscaux les plus riches paient au moins 2 % de leur fortune en impôts. « Il n’est pas ici question d’une révolution fiscale même si cela représenterait un changement de conception important », souligne Clémentine Autain, la députée NFP de Seine-Saint-Denis et cofondatrice du mouvement L’Après.

L’idée est de lutter contre l’injustice fiscale : le taux de prélèvement obligatoire des ultrariches serait de l’ordre de 27 %, selon les calculs de l’Institut des politiques publiques — là où les Français paient en moyenne un peu plus de 50 %, tous impôts compris.

Les plus riches ne paient quasiment pas d’impôts sur le revenu

Si les députées Éva Sas et Clémentine Autain visent ici le patrimoine, c’est parce que d’après les calculs de l’Institut des politiques publiques, les personnalités les plus riches de France ne paient quasiment pas d’impôts sur le revenu. La raison ? La majeure partie de leur richesse ne vient pas des salaires qu’ils se versent mais de leur patrimoine immobilier. Autrement dit, des dividendes qu’ils perçoivent issus des actions des entreprises dont ils sont propriétaires. Pour optimiser leur richesse, ils n’hésitent pas à recourir aux sociétés « holdings », exonérées d’impôts sur les dividendes, souligne l’économiste Gabriel Zucman sur France Inter.

Surnommée « taxe Zucman », la proposition de loi s’appuie notamment sur le travail de cet économiste. Le directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité s’était notamment distingué lors de son discours devant le G20 en juin 2024 lors duquel il encourageait à taxer les milliardaires à hauteur de 2 % minimum à l’échelle mondiale. « La France est un paradis fiscal pour les milliardaires : si tous partaient demain s’installer aux îles Caïmans, cela ne changerait quasiment rien aux recettes du Trésor public », écrivait-il dans une tribune publiée par Le Monde.

La « taxe Zucman » rapporterait entre 15 et 25 milliards d’euros

Le professeur de l’École d’économie de Paris dit s’être inspiré de l’impôt proposé par Bernie Sanders aux États-Unis durant la primaire démocrate en 2020, qui visait à taxer progressivement, et sans exonération, les patrimoines supérieurs à 32 millions de dollars aux taux de 1 %, ceux supérieurs à 50 millions à 2 %, jusqu’à 8 % au-dessus de 10 milliards.

Dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, la « taxe Zucman » rapporterait entre 15 et 25 milliards d’euros à l’État. Sans pour autant effacer la dette d’un coup de baguette magique, cela représenterait une avancée non négligeable, soit environ 0,8 % du PIB, estime Gabriel Zucman. Là où l’Impôt sur la fortune (ISF), supprimé en 2018, rapportait environ 6 milliards d’euros, d’après le rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital.

L’année dernière, la Cour des comptes rappelait ainsi que « la période 2018-2023 a été marquée par d’importantes baisses d’impôts, dont l’impact est estimé à 62 milliards d’euros en 2023, soit 2,2 points de PIB ».

« Le système d’imposition est régressif aujourd’hui pour les 0,1 % les plus riches : proportionnellement à leurs revenus, ils paient moins d’impôts que la moyenne des français », résume Clémentine Autain.

C’est un « réel problème démocratique »

« En vingt ans, les 500 plus grandes fortunes de France ont augmenté de 1 000 milliards d’euros et leur patrimoine de près de 10 % par an, insiste Éva Sas, la députée écologiste de Paris. Il y a un réel problème démocratique à laisser perdurer ces comportements. »

D’autant que le débat concerne tout autant le combat écologique. En 2023, un rapport d’Oxfam venait mettre en lumière ce qui tient désormais tristement de l’évidence : en France, les 1 % les plus riches émettent dix fois plus de CO2 par an à cause de leur surconsommation et de leur patrimoine que la moitié la plus pauvre des Français. L’idée sous-jacente du texte de loi vise à ce que les principaux responsables paient la facture de la transition écologique.

« Dans cette période de déficit budgétaire inquiétant, l’écologie est la première victime des coupes », regrette Eva Sas qui réclame « à court terme » 7 milliards pour financer la rénovation thermique et le leasing social.

« L’écologie est la première victime des coupes budgétaires »

Les opposants à la « taxe Zucman » craignent que les riches quittent la France pour aller dans un pays à la fiscalité plus favorable. « Au pire, on perd 0,03 % de PIB, estime l’économiste Lucas Chancel. On peut aussi douter du fait que les milliardaires délocalisent les emplois du luxe, les ingénieurs qualifiés… »

Une taxe si les milliardaires quittent la France

Comme pour anticiper cet écueil, la proposition de loi a introduit une mesure d’« exit tax », de telle sorte que si les ultrariches venaient à quitter l’Hexagone, ils continueront de payer cet impôt encore cinq ans après leur départ.

Dans le projet de loi de finances 2025, le gouvernement Barnier avait proposé de taxer les très hauts revenus via un taux minimal de 20 %. Mais c’est précisément leurs revenus que les plus grandes fortunes arrivent à optimiser, pour ne pas dire minimiser. « Le projet du gouvernement était un dispositif minimaliste qui revenait à zapper 90 % de la fortune des plus grands milliardaires car il exonérait leur patrimoine et leurs biens professionnels, notamment les actifs financiers », analyse Lucas Chancel, l’économiste qui a contribué à la formulation du programme fiscal du NFP.

En amont de la niche parlementaire du 20 février, Clémentine Autain se veut optimiste : « Voter contre notre proposition de loi, c’est accepter au fond que les milliardaires paient si peu d’impôts. » Et de rappeler la popularité de la mesure : « Près de 80 % des Français sont favorables au rétablissement d’un impôt sur la fortune. »

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