le deuil du père de Mélodie, tuée il y a 3 ans


Flagnac (Aveyron), reportage

La lumière décline entre chien et loup, en cette soirée de décembre, à Flagnac, en Aveyron. Dans la cour de sa maison en pierre des années 1970, David Cauffet bricole à l’arrière d’une fourgonnette orange. La mécanique est un passe-temps pour cet aide-soignant touche-à-tout. « Je fais un peu de réparation sur mon temps libre, pour rendre service à mes amis », raconte le quinquagénaire aux cheveux argentés, en se chiffonnant les mains.

David demande aux deux chiens de se calmer, dépasse la porte d’entrée et dézippe sa polaire noire. Sur le buffet en bois de la cuisine, un casque de motocross trône à côté d’un cadre. Sur la photo, le regard angélique de sa fille : yeux bleus, chevelure blonde, bouche entrouverte, le visage incliné sur le côté. Une jeune femme « attentionnée, gaie, pleine d’humour et de projets », décrit son père, la voix posée. « Elle venait de passer le permis moto et voulait s’en acheter une, pour qu’on roule ensemble. » Trois ans ont passé depuis sa mort, mais son souvenir tapisse encore les murs de la maison.

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L’après-midi du 19 février 2022, Mélodie Cauffet, alors âgée de 25 ans, rencontrait Jérémy [*] pour la première fois. Un garçon avec qui elle flirtait par messages depuis quelques semaines. Il avait deviné son amour des balades dans les bois et lui avait proposé une randonnée à Cassaniouze, côté Cantal, à trente minutes d’ici.

Au même moment et au même endroit, Mélissa [*], 17 ans, traquait un sanglier dans un pré, avec l’association de chasse du village. Ce samedi d’hiver, alors que les deux jeunes Aveyronnais étaient sur le sentier balisé, en lisière de forêt, un tir a retenti. Puis un cri. Mélodie a reçu une balle dans la poitrine. Malgré les premiers secours prodigués par le garçon, les chasseurs, puis par la structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) arrivée par hélicoptère, la jeune femme a succombé à ses blessures.

Un procès et des manquements accablants

De cette journée, David Cauffet ne retient qu’une chose : « C’est le maire de la commune qui est venu me l’annoncer. » Le reste n’est que brouillard. « Je crois que c’était en fin d’après-midi, mais je ne suis pas sûr », réfléchit-il, assis derrière la table en verre de la cuisine.

Depuis ce jour, il s’efforce d’avancer. « Je dois le faire pour mon fils Maxime, le grand frère de Mélodie. » Au chagrin s’ajoute une profonde colère, face à un accident qui n’a rien de banal. Entre 2020 et 2024, l’Office français de la biodiversité (OFB) a recensé 345 accidents de chasse, dont 27 mortels.

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Le 8 octobre dernier, le tribunal judiciaire d’Aurillac a condamné la chasseuse à l’origine du tir à un an de prison avec sursis. Lors de ce procès à huis clos, Mélissa [*] a reconnu les faits et exprimé sa profonde souffrance depuis l’accident, selon France 3.


Mélodie était une jeune femme «  attentionnée, gaie, pleine d’humour et de projets  », décrit David, son père, la voix posée.
© Emma Conquet / Reporterre

Ce drame soulève également la question de la responsabilité collective des chasseurs. Quatre jours plus tôt, le 3 octobre 2024, le tribunal correctionnel d’Aurillac condamnait l’Association communale de chasse agréée (ACCA) de Cassaniouze à 80 000 euros d’amende, dont 40 000 euros avec sursis, pour avoir organisé cette battue aux sangliers en violation des règles. « La sanction aurait dû être plus sévère », estime Maître Anne-Sophie Monestier, l’avocate de David Cauffet, auprès de Reporterre. La société de chasse s’est désolidarisée de la tireuse, « alors qu’ils ont une responsabilité par ricochet de la mort de Mélodie », pense l’avocate.

Le procès a en effet révélé de nombreux manquements au règlement, notamment l’absence de onze panneaux « chasse en cours » qui auraient dû être posés le long du sentier. Selon le quotidien La Montagne, l’un des chasseurs aurait déclaré à la gendarmerie qu’il avait eu « la flemme » de les sortir du coffre. Contactée, l’ACCA n’a pas donné suite à nos sollicitations.

« Les chasseurs ont détruit une famille »

« Si la société de chasse avait installé ce panneau, Mélodie aurait rebroussé chemin », affirme son père. Car sa fille connaissait bien ces bois, où elle passait la majeure partie de son temps. « Suite à un divorce, je me suis retrouvé seul avec les enfants et on passait beaucoup de temps dehors », raconte David Cauffet.

Face à une enfance marquée par les difficultés, Mélodie et son frère trouvaient refuge dans la nature. « L’été, on se baignait tous les soirs dans le Lot et dès qu’elle pouvait, Mélodie prenait son chien et allait courir ou marcher. Elle faisait aussi du VTT, je pense qu’elle avait compris les bienfaits de tout ça. » Mélodie ne s’était jamais souciée de la chasse, elle qui arpentait ces sentiers en toute confiance. Pourtant, sa mort repose une fois de plus la question de la cohabitation entre les différents usagers de ces espaces naturels.

« Les chasseurs ont détruit une famille », lâche le père endeuillé. Les mots de colère ne manquent pas. « C’est une mafia, ils sont trop puissants », ajoute-t-il, d’un ton résigné, assurant qu’il ne pardonnera jamais à ces hommes. Selon lui, « ils n’ont montré aucune empathie lors du procès » et ont préféré « se désolidariser » de la tireuse. David fixe un point invisible, puis relève la tête : « À Mélissa [*], je veux lui dire que je ne lui en veux pas et que je lui pardonne. » Même si c’est elle qui a appuyé sur la détente, il refuse d’en faire la seule coupable et la voit même comme une autre victime de ce système. « J’ai vu à quel point elle était affectée, cette gamine. Elle porte tout sur ses épaules. »

« Seuls en haut de la montagne […], on se disait qu’il y a bien quelque chose d’autre »

La douleur de la perte laisse place, petit à petit, à un autre sentiment, plus intime. Alors qu’il lutte contre l’injustice du drame, David Cauffet trouve dans ses souvenirs avec Mélodie une forme de réconfort. Quelques semaines avant la tragédie, sa fille avait pris une location dans un village voisin, pour passer du temps avec lui et avec ses copines d’enfance. « Je la poussais à prendre son indépendance, on avait trouvé un équilibre en gardant des loisirs communs. » Mais elle rêvait aussi de grandes aventures. Cette jeune femme « pleine d’idées » venait d’obtenir son permis poids lourd, avec lequel elle espérait voyager.

Lunettes au bout du nez, David fait défiler des images sur son smartphone. Mélodie apparaît, en vêtements de sport devant un horizon à perte de vue ou bien accroupie à la hauteur de son inséparable berger allemand. « Je sais que je la reverrai. » Les yeux de David commencent à luire. « Mélodie n’était pas croyante, mais parfois, quand on se retrouvait seuls en haut de la montagne, perdus sur un caillou comme ça, au milieu de l’univers, on se disait qu’il y a bien quelque chose d’autre, qu’on est là pour quelque chose. »

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