Durant les négociations sur le budget de l’État, le sujet des retraites est à nouveau arrivé sur la table. Au-delà de la très contestée réforme de l’an passé, certains médias et libéraux en profitent pour remettre encore en question notre système actuel et promouvoir celui par capitalisation. Une suggestion qui avantagerait, une nouvelle fois, les plus aisés, au détriment des plus pauvres.
C’est le retour d’un vieux débat via le spectre de néolibéraux et de médias qui imposent sa discussion dans le paysage politique. Système propre à la doctrine libérale, la retraite par capitalisation se fonde sur l’idéologie illusoire de la méritocratie. Elle engendre surtout de grandes inégalités plongeant les plus précaires vers la misère et les obligeant à travailler jusqu’à la mort. Plaçant l’individu avant la collectivité, il met à mal toute idée de solidarité en plus de se livrer au hasard des marchés financiers.
Répartition, capitalisation, quelles différences ?
Pour bien préciser les choses, il est essentiel de rappeler les disparités fondamentales entre le système par répartition et celui par capitalisation. Dans le premier, qui existe en France, les retraites sont supportées en temps réel par les cotisations des travailleurs. Il s’agit d’un fonctionnement public basé sur la solidarité où les jeunes générations permettent aux anciennes de vivre.
À l’origine, tel qu’il était pensé par ses instigateurs communistes, ce système, faisant partie intégrante de la sécurité sociale, devait être financé intégralement par les cotisations sociales, comprenant les cotisations salariales (la partie « brut » du salaire) et les cotisations patronales réunies dans une caisse gérée par les salariés eux-mêmes. Au fil des ans et des politiques néolibérales, l’État a néanmoins repris la main et pourvoie aujourd’hui de moitié ce régime par l’impôt, comme expliqué dans un précédent article.
Toujours est-il que le processus de solidarité publique reste de mise, et que malgré les réformes successives menées pour le conduire à la privatisation, les Français y sont malgré tout largement attachés.
L’individu avant le collectif
Et de fait, à cause de la dégradation volontaire du procédé, et notamment via l’âge de départ et des faibles montants offerts à certains travailleurs, quelques individus commencent à pousser pour la retraite par capitalisation.
De cette façon, il n’y aurait plus de cotisations collectives, mais une somme donnée par chaque salarié, chaque mois, à un organisme privé : banque, assurance, fonds de pension. Tout au long de la carrière, ces organismes se chargeraient d’investir l’argent sur les marchés financiers pour tenter de le faire fructifier. Puis, quand une personne décide de prendre sa retraite, ces organismes versent alors une rente mensuelle ou bien tout le capital d’un seul coup.
Un système pour les riches
Évidemment, lorsque l’on gagne très bien sa vie, on peut se permettre d’investir beaucoup d’argent dans ce système et on aura toutes les chances de s’en sortir relativement bien à l’arrivée. Plus on pourra mettre de côté, plus on aura de possibilités de varier ses placements et donc de minimiser les risques.
À l’inverse, ceux qui n’ont pas les moyens d’économiser énormément se retrouvent à la merci des aléas du marché et de ses dépressions. Lors de la grande crise de 2008, par exemple, des milliers de personnes âgées, qui avaient donné toute leur existence à des fonds de pension, se sont vus complètement ruinés.
Pour les pauvres, le travail jusqu’à la mort
La retraite par capitalisation représente également un pari sur notre espérance de vie. En effet, là où la retraite par répartition garantit une rente jusqu’à la fin de notre existence, celle par capitalisation reposera sur le même montant global, que l’on vive dix ans ou trente ans après sa sortie du monde du salariat.
De ce fait, lorsque l’on a eu une carrière décousue (pour diverses raisons ; maladie, famille, etc.) ou des métiers peu rémunérateurs ne permettant pas de placer énormément d’argent, on peut se retrouver dans une situation extrêmement précaire à l’aube du troisième âge.
De nombreuses personnes doivent alors continuer à travailler éternellement pour obtenir des revenus suffisant pour survivre. Et pour ceux qui en deviennent physiquement incapables, l’issue peut être terrible, jusqu’à finir à la rue.
Des exemples déchirants
Aux États-Unis, le pays qui a le plus recours à la capitalisation au monde, les conséquences sont très souvent désastreuses pour des millions de gens. On y voit ainsi des seniors qui se retrouvent sans-abri, et d’autres qui sont obligés de garder un emploi jusqu’à un âge canonique.
En 2024, certains médias avaient d’ailleurs évoqué le cas d’un vétéran de l’armée américaine avec des ressources trop faibles. Âgé de 90 ans, il était encore contraint de ranger les chariots d’un supermarché pour survivre. Une situation d’autant plus critique, que le système de santé est lui aussi privé et que les assurances coûtent de plus en plus cher avec l’âge, ce qui entraîne des besoins de revenus considérables.
Un système rejeté partout dans le monde
L’un des autres exemples marquants est le Chili qui dans les années 70 fut le laboratoire du néolibéralisme. Après avoir fait renverser le gouvernement socialiste de l’époque, les États-Unis ont imposé cette nouvelle doctrine qui devait s’étendre ensuite au monde entier, le tout mené par le tyran Pinochet.
La retraite par capitalisation y a été l’une des mesures mises en place par la dictature d’extrême droite, sous l’égide américaine. Au fil des décennies, elle aura conduit des millions de seniors chiliens à la pauvreté extrême. Un fait qui aura été l’une des causes des manifestations monstres connues par le pays au cours des dernières années. Récemment, Gabriel Boric, le président de gauche très modérée, a timidement contesté la situation par une réforme qui fait reculer la capitalisation au profit d’un système mixte public privé.
Une résistance populaire nécessaire
De fait, partout dans le monde, les retraites par capitalisations ont déclenché la colère de nombreuses personnes. Aujourd’hui, plus aucun pays riche ne repose entièrement sur ce procédé, la plupart d’entre eux ayant adopté un système mixte.
À l’inverse, ceux qui comme la France disposent d’un mécanisme intégralement collectif sont de plus en plus menacés par les fidèles du capitalisme qui entendent bien offrir une grosse partie du gâteau aux grands groupes privés.
La dégradation globale et voulue de la sécurité sociale participe à la stratégie libérale de provoquer la colère contre les organismes publics pour créer des partisans du système privé. Or, dans les faits, cette voie ne fonctionne pas et ne profiterait qu’à une minorité. Pour y échapper, la majorité devra encore continuer de se battre pour défendre ce conquis social hérité du Conseil National de la Résistance.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Photo de MART PRODUCTION. Pexels.