Novembre-décembre 1995, qu’en reste-t-il ?, par Nicolas Da Silva (Le Monde diplomatique, février 2023)


Quand les ordonnances Juppé démantelaient la Sécurité sociale

À chaque réforme des retraites, le gouvernement et les médias délimitent un cadre de discussion qui laisse dans l’ombre l’enjeu le plus décisif. Le système créé en 1946 donnait en effet aux salariés eux-mêmes, et non pas aux entreprises ou à l’État, la direction des caisses de la « Sécu ». Depuis, une volonté a animé les réformateurs de tout poil : reprendre ce pouvoir.

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Marylin Cavin. – « Passe et pense », 2022

Madame Élisabeth Borne l’a confirmé lors de sa présentation à la presse le 10 janvier 2023 : sa réforme des retraites figurera dans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) rectificatif. De l’avis de certains constitutionnalistes, un tel choix méconnaîtrait l’esprit, sinon la lettre, de la Loi fondamentale. À en croire la chronique politique, la première ministre aurait retenu cette option car la Constitution lui permet d’imposer tous ses textes budgétaires grâce au troisième alinéa de l’article 49 (le « 49-3 »), voire pour limiter le temps du débat parlementaire grâce aux dispositions du troisième alinéa de l’article 47-1… En tout état de cause, Mme Borne a décidé de s’en prendre aux retraites en utilisant un dispositif, les LFSS, instauré en 1996 par le gouvernement de M. Alain Juppé pour reprendre en main la Sécurité sociale.

La mobilisation contre le plan de réforme de la protection sociale (ou « plan Juppé »), annoncé par le premier ministre le 15 novembre 1995, a laissé le souvenir d’une victoire syndicale. L’opposition de la Confédération générale du travail (CGT) et de Force ouvrière (FO) avait conduit la droite à renoncer à aligner les retraites du secteur public sur celles du secteur privé. La mobilisation durera plus de trois semaines, sans train ni métro, souvent sans courrier. Après que deux millions de personnes eurent manifesté le 12 décembre, le premier ministre reculait le 15. Exit le projet de loi retraites.

Mais, les mois qui suivirent, alors que les salariés avaient cessé de lutter, le gouvernement parvint à créer le cadre institutionnel prévu dans le plan Juppé : loi constitutionnelle du 22 février 1996, loi organique du 22 juillet, ordonnances prises le 24 janvier puis le 24 avril. Ce nouvel ordre juridique a facilité l’adoption ultérieure des mesures évitées en 1995 (en 2003 puis en 2010), contribué aux très fortes pressions gestionnaires subies par les organismes de sécurité sociale — notamment l’assurance-vieillesse — et fait aboutir un processus (…)

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Nicolas Da Silva

Maître de conférences en sciences économiques à l’université Sorbonne Paris Nord. Auteur de La Bataille de la Sécu. Une histoire du système de santé, La Fabrique, Paris, 2022.



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