Pascal Praud et Donald Trump couronnés aux “Oscars du capitalisme“


Lille (Nord), correspondance

Avant d’entrer dans le temple, une prêtresse revêtant un T-shirt à l’effigie de Nicolas Sarkozy ordonne à chacune et à chacun de se signer : « Au nom du pèze, du fric, et du Saint-Crédit ». Dans l’assistance, les soutanes, les smokings et les carrés Hermès se croisent. C’est ainsi que la cérémonie des Doigts d’Or, ou la grande messe organisée par le comédien Alessandro Di Giuseppe, alias Pap 40, a démarré ce 24 février au sein du théâtre Sébastopol de Lille.

L’occasion pour le (faux) gourou de la parodique Église de la Très Sainte Consommation, et véritable figure locale, de remettre les oscars du capitalisme. Peu après 20 heures, le Pap 40 s’est révélé à ses dévotes et dévots, le majeur en l’air, façon rockstar sur l’air de « Jump » de Van Halen. Le militant de la décroissance a commencé par dénoncer de manière cynique « ces écologistes qui voudraient que la nature reprenne ses droits », avant de lancer un zapping reprenant les plus grandes catastrophes climatiques de l’année.

À l’inverse des « écolos » et des « hystériques féministes » hués, les noms de Bernard Arnault, Vincent Bolloré et Total sont chaudement applaudis par un public hilare. Clou de la soirée, les trophées des Doigts d’Or ont récompensé les héros du capitalisme. Les animateurs phares de CNews et de C8 Pascal Praud et Cyril Hanouna, régulièrement condamnés par l’Autorité de régulation audiovisuelle (Arcom) pour leurs nombreux dérapages, ont remporté haut la main le Doigt d’Or du « meilleur chien de garde ».


Un faux Emmanuel Macron a reçu l’oscar du meilleur acteur.
© Stéphane Dubromel/Reporterre

Éric Ciotti, ex-président des Républicains, et Emmanuel Macron ont, eux, été auréolés du prix du « meilleur acteur » pour leurs revirements politiques. Le locataire de la Maison Blanche Donald Trump a, lui, remporté « l’extrême Doigt d’Or », tandis que la candidate mayennaise aux dernières législatives, Paule Veyre de Soras (RN), a écopé du trophée de la « meilleure punchline ». Le 30 juin 2024, celle-ci avait réfuté face caméra des accusations de racisme en prétextant qu’elle avait un « ophtalmo juif » et « un dentiste musulman ».

Quand la réalité rattrape la parodie

La cérémonie des Doigts d’Or — neuvième du nom — n’avait pas vu le théâtre du Sébastopol et ses sièges rouges depuis février 2020. Les temps ont d’ailleurs bien changé : aujourd’hui, la parodie dépasse souvent la réalité, si bien que pour l’équipe des Doigts d’Or il devient de plus en plus difficile d’inventer de meilleures blagues. « Quand le président de la plus grande puissance du monde dit que les migrants mangent des chiens et des chats, qu’est-ce que tu veux faire derrière ? », soupire depuis la scène l’acteur Greg, incarnant un certain Pascal Profit (pour Pascal Praud).


Hilare, la foule de spectateurs et de spectatrices fait le signe du trophée du Doigt d’Or.
© Stéphane Dubromel/Reporterre

« Lorsque l’Église de la Très Sainte Consommation s’était présentée aux municipales de 2014 à Lille, on avait proposé comme grande mesure de raser un quartier populaire pour construire l’aéroport Britney Spears, rappelle Alessandro Di Giuseppe. Maintenant, Trump dit qu’il veut raser Gaza pour la transformer en complexe touristique de luxe… »

Lauréat du Doigt d’Or de l’ennemi public, l’humoriste Guillaume Meurice — vieille connaissance de l’Église de la Très Sainte Consommation — abonde : « Maintenant, ils ne prennent même plus le temps d’être respectables. Quand tu vois François Bayrou sur l’affaire de Notre-Dame de Bétharram [école catholique où des enfants auraient été abusés et maltraités pendant trente ans malgré les alertes de quelques professeurs, NDLR], tu te rends compte que les mecs peuvent mentir en direct. Tout le monde sait qu’ils mentent, mais ils s’en foutent ».

« Se défouler contre les puissants »

Outre les récompenses, la cérémonie a fait la part belle aux « Zap d’Or », séquence vidéo revenant sur l’actualité de l’année 2024. Une rétrospective parfois difficile à regarder, notamment lorsque les images montrent un père gazaoui pleurant ses enfants décédés ou encore une femme afro-américaine abattue par un policier. À la sortie, certains regards sont embués. « C’est dur à digérer », observe ce soir-là une participante. Pour autant, la cérémonie a aussi permis aux présents de se retrouver face à une situation écologique, politique et sociale de plus en plus compliquée. « Des gens me disent : merci, je ne suis pas fou, livre Guillaume Meurice. Ce n’est pas qu’on est fous, mais dispersés. On ne se rend pas compte qu’on est nombreux » à s’indigner devant la tournure que prennent les évènements.


Dans le théâtre, la parodique Église de la Très Sainte Consommation tient un stand de merchandising pour inciter le public à acheter.
© Stéphane Dubromel/Reporterre

« Et ça s’est vu au second tour des législatives », sourit l’humoriste. Un constat totalement partagé par le public. « Ici, je retrouve un esprit perdu depuis l’émission satirique les Guignols », glisse un spectateur. Et un de ses voisins de conclure : « C’est bien de pouvoir se retrouver ici, et pouvoir se défouler contre les puissants, approuve Kévin, dans la file d’attente du bar. Se foutre de leur gueule dans ce monde qui devient de plus en plus fou, c’est comme leur dire qu’on est encore là et qu’on lâchera pas ! »




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