à Bure, la lutte antinucléaire se réinvente


Bure (Meuse), reportage

Il y a comme un air de printemps anticipé, ce dimanche 23 février à Bure (Meuse). Les bancs de la Maison de résistance à la poubelle nucléaire ont été sortis pour prendre le déjeuner — une assiette de légumes et de pois chiches — au soleil. Un border collie flâne, à la recherche de caresses, entre les jambes des militants et militantes. Ils et elles ferment les yeux, aveuglés par la lumière réchauffante, profitant de cet intermède pour reprendre des forces entre deux conférences et débats.

« Je me sens débordée d’infos », raconte en souriant L’Arnaque [1]. La jeune femme de 27 ans a parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour venir participer aux Bestiales, les « rencontres antispécistes et antiautoritaires », qui se tenaient du 20 au 24 février. Pour elle, tout est nouveau. « J’ai appris le terme “antispécisme” [la pensée selon laquelle l’appartenance à une espèce ne peut justifier des inégalités de considération ou de traitement] il y a quelques semaines seulement, confie-t-elle. C’était une réflexion que j’avais quand j’étais gamine, mais je n’avais pas encore mis de mot dessus. »

Lire aussi : Libération animale et lutte des classes, une histoire commune

Comme L’Arnaque, quasiment 200 personnes ont fait le déplacement sur l’ensemble du week-end pour apprendre et échanger sur le sujet. Les profils sont variés : de simples curieux aux antispécistes convaincus, certains venus par les milieux écoféministes, d’autres par la lutte antinucléaire.

« Ça a du sens de venir parler d’antispécisme ici, dans cet endroit qui parle de différentes luttes », souligne Gab [*]. La Maison de résistance à la poubelle nucléaire est une ancienne ferme en ruine, rachetée en 2004 et remise en état par des militantes et militants, pour fournir un toit aux personnes voulant lutter contre Cigéo, le projet d’enfouissement des déchets nucléaires prévu à Bure.

« Des mutations chez les papillons irradiés »

« Les animaux aussi détestent le nucléaire », rappellent les organisateurs et organisatrices des Bestiales, à l’occasion de conférences et dans des brochures mises à disposition. En raison des catastrophes nucléaires bien sûr — des études ont par exemple relevé des mutations chez des papillons irradiés autour de Fukushima (Japon) ou des hirondelles à Tchernobyl (Ukraine) — mais aussi des conséquences de l’activité nucléaire civile quotidienne. Un article de Mediapart a par exemple révélé, en 2020, que des millions de poissons sont pris au piège et meurent chaque année dans les systèmes de refroidissement des réacteurs nucléaires français.

« Le concept du nucléaire, c’est de sacrifier des espaces et des vies au profit d’autres. C’est donc forcément spéciste et colonialiste », affirme un militant. Et de conclure : « Les luttes antispécistes doivent être antinucléaires, et les luttes antinucléaires doivent prendre en compte les autres espèces. »

« L’antispécisme est une lutte contre un énième système d’oppression »

À la sortie des différentes discussions, c’est cette notion de convergence des luttes qui semble avoir marqué les esprits. « Dans un écosystème, il y a constamment des interactions entre les différentes espèces vivantes. Ce qui va avoir un impact sur les humains en aura aussi sur les animaux non humains, et on doit aussi lutter contre », pense Nico.

« Le spécisme, c’est l’humain qui s’est senti supérieur par rapport à d’autres espèces, résume Gab. Il s’est approprié la nature pour dire “C’est mon habitation, j’en fais ce que je veux”. Des colons ont fait la même chose, ils sont allés dans des endroits et ont dit “C’est chez nous”, avec le même ressenti de supériorité. Ce sont des discours et des luttes qui sont très liés. » « L’antispécisme est une lutte contre un énième système d’oppression », synthétise L’Arnaque.

Le boycott, et après ?

Pendant cinq jours, les conférences et débats ont donc mêlé différentes luttes, comme l’antiracisme — en abordant l’antitziganisme parfois présent dans le milieu de la protection animale, sous couvert qu’ils s’occuperaient mal de leurs animaux. « C’est génial de réussir à créer des dialogues, même sur des sujets compliqués », se réjouit Lau.

Malgré la diversité des discussions et des conférences proposées, les participants et participantes ont fait part de quelques manques en fin de journée. Des débats pour réfléchir à la façon d’inclure les éleveurs et éleveuses dans la transition antispéciste, par exemple, ou des questionnements au « niveau organisationnel ». « Que doit-on faire pour établir un rapport de force, pour faire des actions, pour avoir un impact concret au-delà du seul boycott [des produits d’origine animale] sur toute l’industrie spéciste ? » interroge Gab.

Quelques bribes de réponse ont été trouvées : politiser les « cantines véganes » dans les lieux de luttes — en clair, expliquer pourquoi l’alimentation proposée est d’origine végétale et faire de l’éducation populaire massive sur l’antispécisme auprès des militants et militantes — ; se mettre en lien avec les travailleurs et travailleuses des abattoirs pour en faire des alliés…

Autant de pistes qui vont (peut-être) infuser dans les esprits des militants et militants. Et même des néophytes. « Un truc est en train de se débloquer dans ma tête, se réjouit L’Arnaque. Je sens que je vais être plus fluide et pouvoir avancer dans ma démarche de lutte. » Reste à voir si l’antispécisme réussira réellement à trouver une place au sein des autres résistances.

legende



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *