En Ethiopie, découverte d’un loup pollinisateur !


Par Charles J. Sharp — Travail personnel

Une étude de l’été 2024 publiée dans la revue Ecology a révélé une pratique inattendue chez le loup d’Éthiopie, qui, lèche la Kniphofia foliosa, fleur endémique du pays. Cette découverte bouscule la compréhension des interactions entre les grands carnivores et les plantes : le loup d’Éthiopie contribue-t-il à la pollinisation ?

Malgré l’importance du loup d’Éthiopie au sein de l’écosystème local, il reste fortement menacé par l’activité humaine et certaines maladies transmises par le chien domestique.  

Avec toutes autorisations Charles J Sharp

Loup d’Éthiopie : découverte d’un pollinisateur inattendu !

Le loup d’Éthiopie, ou « Renard du Simien », est l’un des canidés les plus rares au monde. Endémique des hauts plateaux éthiopiens, avec une population estimée, selon la revue Nature, à moins de 500 individus à l’état sauvage, dont 300 dans le parc national du mont Balé au centre de l’Éthiopie. Divisés en 122 meutes, ces loups sont répartis de manière fragmentée à travers les hauts plateaux éthiopiens, et se nourrissent principalement de rongeurs, notamment le rat-taupe géant, d’autres petits mammifères, et alternativement de nectar de Kniphofia foliosa, cette fleur endémique, dans des proportions qui restent aujourd’hui inconnues. 

En dehors de la population du mont Balé, une autre population significative est présente dans le parc national du mont Simien, au nord-ouest de la vallée du Rift. Des groupes plus restreints subsistent dans d’autres massifs montagneux, notamment dans les montagnes du nord-est de Choa, la région de Gojjam, et diverses zones montagneuses entre les monts Balé et Simien.

L’interaction plante-carnivore : une grande découverte ! 

Le loup d’Éthiopie intègre la liste des thérophiles, c’est-à-dire des mammifères non-volants qui participent à la pollinisation des plantes, parmi lesquels on retrouve la musaraigne à trompe, la souris Namaqua, certains marsupiaux et primates. 

L’étude sur le loup d’Éthiopie, dirigée par le Dr. Sandra Lai de l’Ethiopian Wolf Conservation Programme (EWCP), a utilisé une combinaison de méthodes d’observation directe et de suivi GPS pour documenter le comportement de six loups issus de trois meutes différentes sur une période de quatre jours.

Ils ont observé que les loups visitaient régulièrement la plante endémique surnommée « tison du diable », allant jusqu’à lécher 30 fleurs par session d’observation, action par laquelle du pollen était visiblement déposé sur les museaux des loups après ces visites. Le Dr. Lai explique : « Ce comportement pourrait représenter un cas rare d’interaction potentielle plante-pollinisateur impliquant un grand carnivore. »

« C’est une découverte qui remet en question nos conceptions traditionnelles sur les rôles écologiques des prédateurs. » 

Cette découverte soulève plusieurs questions importantes pour les chercheurs : Dans quelle mesure les loups contribuent-ils réellement à la pollinisation de K. foliosa et potentiellement d’autres espèces végétales ? Le nectar pourrait-il représenter une source importante de nutriments pour les loups, en particulier pendant les périodes où les proies sont rares ?  Existe-t-il des adaptations spécifiques chez K. foliosa ou d’autres plantes qui favoriseraient la visite des loups, comme l’allongement de leurs tiges ? Cette nouvelle habitude alimentaire pourrait être une adaptation à la diminution des proies dans leur habitat changeant, ou alors simple plaisir gustatif. Pour l’instant, toutes ces questions restent en suspens.

Le Dr. Ethan Brown, écologue à l’Université d’Addis-Abeba et co-auteur de l’étude, souligne que : « cette découverte pourrait avoir des implications significatives pour notre compréhension de l’écologie des hauts plateaux éthiopiens. Elle suggère que les loups pourraient jouer un rôle plus complexe dans leur écosystème que ce que nous pensions auparavant. », permettant ainsi davantage de protections pour cet animal extrêmement menacé. 

Un carnivore au bord de l’extinction 

Le « loup d’Abyssinie » comme bien d’autres animaux tels que la tortue verte et le saumon atlantique, sont sur la liste rouge du classement 2023 de l’IUCN, association mondiale de protection de la biodiversité qui élabore chaque année un classement par niveau de préoccupation des espèces.  

Avec toutes autorisations UICN

Le canidé fait malheureusement face à de nombreuses menaces qui mettent en péril sa survie. La perte et la fragmentation de son habitat, dues à l’expansion de l’agriculture et du pâturage en altitude, forcent les loups à se réfugier dans des zones de plus en plus restreintes et isolées. Cette situation limite les échanges génétiques entre les populations, les rendant plus vulnérables aux maladies et aux changements environnementaux, alors qu’ils sont déjà fragilisés par l’hybridation avec les chiens domestiques.

La proximité avec les activités humaines pour la recherche de nourriture entraîne également des conflits. Le débat sur la cohabitation avec le loup n’a pas fini de défrayer les chroniques. Aujourd’hui, bon nombre de scientifiques s’accordent sur sa nécessité écosystémique, comme le prouve la régénération des forêts là où ils sont réintroduits ou en nombre suffisant

Sauvons le loup ! 

Le Dr. Claudio Sillero, fondateur du Programme de conservation du loup éthiopien (EWCP), commente : « Ces découvertes montrent à quel point nous avons encore à apprendre sur l’un des carnivores les plus menacés au monde », qui a mis en place un programme de conservation de l’espèce. 

Des vétérinaires affiliés mènent ainsi des campagnes de vaccination contre la rage et la maladie de Carré, les principales menaces pour l’espèce. En 2020, l’EWCP a vacciné 17 clans de loups, distribuant 558 vaccins oraux avec un taux de consommation de 85%, en parallèle d’une vaccination de 3200 chiens, principal vecteur de ces maladies mortelles.

Plus ancienne, la création de parcs nationaux dans les montagnes où vivent les loups a permis de protéger au moins leur habitat. Ces parcs ont encouragé le développement de l’écotourisme, qui finance en partie les programmes et sensibilise davantage à la conservation des loups. Les scientifiques collaborent étroitement avec le gouvernement éthiopien et les communautés locales, pour mettre en place des programmes éducatifs dans les écoles et les villages afin de sensibiliser à l’importance de la protection de l’espèce. 

Lutter contre la déforestation avant tout !

Malgré les programmes de vaccinations et de sensibilisation, lutter contre la déforestation reste la meilleure des solutions pour sauver le loup d’Éthiopie qui pourrait retrouver son habitat naturel, et éviter toute proximité avec les humains ou les chiens.

À cause des coupes de bois pour le chauffage ou la cuisine, la couverture forestière de l’Éthiopie a considérablement diminué, passant de 35 % il y a un siècle à seulement 4 % dans les années 2000 selon un article de l’ONU, qui a ainsi lancé un programme de reforestation en plantant plus de 2,9 milliards d’arbres depuis le début de l’initiative en 2019. « Les experts estiment que les forêts éthiopiennes pourraient absorber jusqu’à 200 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2030, soit l’équivalent des émissions annuelles de 50 millions de voitures », selon le media Greencross.

Maureen Damman


Photo de couverture : Charles J. Sharp

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