Sebastião Salgado. – L’arsenal de Brest, dans l’atelier du porte-avions « Charles de Gaulle », 1990
© Sebastião Salgado
Tenter de présenter une vision globale du IIe millénaire, celle d’une histoire mondialisée, risque de bousculer nombre d’idées reçues.
Jusqu’au XVIIIe siècle, c’est l’Asie — Chine, Inde, Proche-Orient — et non l’Europe qui a été le centre du monde. Par sa situation, sa superficie, sa population, ses structures politiques, économiques, sociales et culturelles, et enfin par les événements qui s’y sont succédé. Seul l’ethnocentrisme des Occidentaux les empêche d’en prendre conscience et continue à les persuader du contraire. Par exemple, que l’Amérique fut « découverte » par Christophe Colomb en 1492, quand elle l’avait été quelque trente mille ans plus tôt par des populations venues d’Asie et de Sibérie, qui, depuis, n’avaient cessé d’y développer sociétés et civilisations. À cette aune, l’Europe aurait été « découverte » par les Arabes et les Berbères débarquant à Gibraltar en l’an 710. Pour les Occidentaux, l’histoire du millénaire est d’abord et toujours celle de l’Occident, et le reste du monde n’existe qu’à la marge, dans la mesure et le temps où ils entretiennent des rapports avec lui, le plus souvent de conquête et de domination brutales.
Ensuite, leurs relatives méconnaissances historiques, d’autant plus marquées que l’on s’éloigne dans le temps, les conduisent irrésistiblement à surexposer le XXe siècle. Or ni la guerre totale ni les génocides, les massacres et les déportations massives de populations civiles ne sont des inventions récentes. Ils ont existé avant et ailleurs et ont été d’une ampleur comparable. À commencer par la destruction des Amérindiens. Si l’explosion de la population mondiale, passée en un siècle de 1,5 à 6 milliards d’habitants, celle des techniques, moyens et niveaux de production, de communication ou de destruction est sans précédent, il n’est pas sûr que le dernier siècle du millénaire soit l’« âge des extrêmes », selon l’expression d’Eric Hobsbawm. Il est plus probable que celui-ci soit encore à venir.
L’histoire est une fable au service des puissants dont elle entretient (…)
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