Alors que le Salon de l’agriculture bat son plein, le moral est en berne chez les agriculteurs bio. La consommation ne suit pas. Après des années de croissance à deux chiffres, les ventes du bio se sont effondrées à partir de 2021 et ont du mal à repartir.
Les consommateurs ne consacrent que 6 % de leur budget alimentaire au bio. Dans le même temps, les dégâts environnementaux et sanitaires provoqués par les pesticides utilisés en agriculture conventionnelle n’ont jamais été aussi présents dans le débat public.
Pourtant, les Français ne contestent pas les bienfaits du bio, d’après le dernier baromètre de la consommation des produits bio publié par l’Agence bio le 27 février. 7 personnes sur 10 estiment qu’ils sont meilleurs pour la santé et 8 sur 10 reconnaissent que l’agriculture biologique contribue à préserver l’environnement, les sols et les ressources en eau, et favorise la biodiversité.
Si les consommateurs boudent le bio, c’est qu’il souffre notamment d’une fausse image, explique Grégori Akermann, sociologue chargé de recherche à l’Inrae.
Reporterre — Comment expliquer cette désaffection des consommateurs vis-à-vis du bio ?
Grégori Akermann — Lors des entretiens que nous menons, l’inflation est le principal facteur énoncé par les personnes ayant réduit leur consommation de bio. On observe en effet une nette corrélation entre le moment où les prix de l’alimentaire se sont mis à augmenter et la période où la consommation bio a commencé à baisser.
Autre élément explicatif : dès que les supermarchés ont senti un retournement de tendance, ils ont réduit le nombre de leurs références bio. Les consommateurs ont désormais plus de difficulté à trouver les produits qu’ils avaient l’habitude d’acheter. Depuis 3 ou 4 ans, les rayons de farine ou lait bio sont souvent vides. Les clients choisissent alors d’autres labels ou du local en conventionnel.
« Ils pensent que le bio, c’est pour les militants, que c’est un truc de bobo, d’écolo »
Certains magasins ont aussi supprimé leur rayon dédié au bio. Les produits sont alors disséminés partout dans le magasin, au milieu de ceux en conventionnel. Cela a deux effets : d’une part, au lieu de faire toutes ses courses au même endroit, on va se balader dans tous les rayons, et oublier que certains produits existent en bio. Au contraire, un rayon unique permet de découvrir de nouveaux produits.
D’autre part, on va plus comparer les prix. Quand on achète dans un rayon bio une moutarde à 1,20 euro, on se dit : « Bon, ça va » ; on n’a pas le prix du non-bio en tête. Mais si ce pot est placé à côté d’une moutarde à 0,60 euro, on se dit que « le bio, c’est quand même deux fois plus cher ».
Quelle perception les consommateurs ont-ils de la bio ?
Les profils sont très hétérogènes. Il existe une clientèle très engagée qui consomme dans les Biocoop, magasins et épiceries spécialisés, Amap… D’ailleurs, les magasins spécialisés bio n’ont jamais vraiment perdu leur clientèle. Mais les consommateurs plus occasionnels peuvent avoir un discours plus sceptique : « Le bio, c’est pas complètement bio quand le champ du voisin n’est pas bio », « Le bio, ça vient de l’étranger », etc.
Souvent, dans les entretiens, les gens rejettent le pouvoir de l’État. Si c’est lui qui organise le label, alors il faut s’en méfier parce qu’il « nous manipule ». Ils vont préférer le local, car ils ont plus confiance dans le petit producteur qu’ils connaissent, avec qui ils échangent sur le marché. Le label de l’État est vu comme bureaucratique, institutionnalisé, avec des normes compliquées, inutiles.
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Jusque-là, les messages de l’Agence bio [chargée de faire la promotion du bio] étaient : « Il faut consommer responsable, c’est important. » Ils sont souvent adressés uniquement sous la modalité de la responsabilité individuelle et perçus comme des injonctions de l’État. Cette communication touche toujours les mêmes bons élèves de la consommation — les diplômés ayant du pouvoir d’achat, issus de la classe moyenne culturelle, plutôt gauche écolo. C’est un discours audible par seulement 15 % de gens. Aucun message ciblé n’existe pour les populations plus modestes.
La moitié des consommateurs ne peuvent pas acheter toute l’alimentation qu’ils souhaiteraient à cause d’un budget contraint. Beaucoup se disent que le bio est trop cher pour eux. Mais ils pensent aussi que le bio, c’est pour les militants, que c’est un truc de bobo, d’écolo, d’un monde auquel ils n’appartiennent pas. Or, je le vois en entretien, ces personnes ont pourtant les mêmes préoccupations de santé que les autres, d’avoir des produits locaux, non suremballés, etc.
Pourquoi le local remporte-t-il plus de succès auprès des consommateurs ?
Le local, c’est quelque chose de très consensuel. Un député écolo peut être d’accord avec un député du Rassemblement national sur le local. Le made in France traverse tous les programmes politiques. Le local touche toutes les populations, il est relié à l’attachement à la ruralité et au territoire qu’ont tous les Français. C’est tout cet imaginaire du bon produit et de la campagne.
« L’imaginaire autour du bio
n’est pas aussi positif »
La relation avec un producteur local crée de l’empathie. Quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’argent peut se dire : « C’est la petite dame qui fait trois salades sur le marché, qui n’a pas l’air d’être beaucoup plus fortunée que moi. Sa salade est plus chère, mais je peux faire l’effort. » Par contre, il n’achètera pas une salade hollandaise bio à 1,50 euro qui a poussé sous une serre si, à côté, il y a une salade française non bio à 1,20 euro.
L’imaginaire autour du bio n’est pas aussi positif. Sous prétexte de « dévoiler » l’envers du bio, il y a eu ces dernières années une forte médiatisation qui a semé le doute. Parce que le bio, c’est aussi — et c’est vrai — les carottes qui viennent de Hollande et qui poussent sous serre chauffée dans de la laine de coco ; la ressource en eau qui est pompée pour faire des poivrons bio ; les bâches plastiques ; des travailleurs immigrés qui ramassent de la tomate en Italie.
Le bio pas cher existe-t-il ?
Oui, on peut trouver du bio pas cher, mais c’est une galère. Il faut trouver les bons lieux, aller sur les marchés pour acheter directement aux producteurs, aller dans des épiceries participatives, se mettre dans des groupements d’achats, acheter en gros, des cagettes. C’est du temps. C’est compliqué. Tout le monde ne peut pas s’y mettre.
Il y a un problème d’accessibilité au bio. Les prix doivent être mieux régulés dans les magasins. Récemment, j’ai reçu un mel de Carrefour m’incitant à bien prendre soin de moi en achetant des oranges bio à 3 euros le kg. Or, j’achète les miennes à 1,63 euro le kg dans l’épicerie participative près de chez moi. Ils nous font croire que c’est un cadeau pour notre santé, tout en faisant plus de 100 % de marge.
Ce type de promotions laisse penser que le bio est forcément plus cher. Sauf que l’effort qu’on demande au client, en réalité, c’est celui que Carrefour ou E.Leclerc n’a pas fait sur le Coca-Cola et sur le Nutella, là où ils ne peuvent pas prendre une grosse marge. Il devrait y avoir des règles : par exemple, les distributeurs n’auraient pas le droit de faire plus de 50, 60 ou 80 % de marge. Tous les prix descendraient d’un coup. La responsabilité ne devrait pas incomber à l’individu, quand il est au RSA ou en emploi partiel avec deux enfants à charge. C’est le rôle de l’État, des collectivités territoriales, des acteurs économiques de nourrir la population avec des produits sains et durables.
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