BP, Exxon, Shell… pourquoi les pétroliers abandonnent leurs engagements climatiques


28 février 2025 à 09h55

Mis à jour le 28 février 2025 à 13h59

Durée de lecture : 5 minutes

Le retournement est aussi spectaculaire que climaticide. Le groupe pétrolier britannique BP a annoncé, le 26 février, revoir de fond en comble sa stratégie d’investissement en tournant le dos aux renouvelables et en développant massivement la production d’énergies fossiles.

La multinationale prévoit d’augmenter ses investissements dans le pétrole et le gaz à 10 milliards de dollars, soit 20 % de plus, par an. Avec l’ambition d’augmenter fortement sa production d’énergies fossiles d’ici 2030, soit un renoncement complet à ses objectifs précédents qui visaient une diminution de 25 % en 2030 par rapport à 2019.

En parallèle, le groupe va réduire de 5 milliards de dollars par an ses financements des projets de transition, qui ne représenteront, en tout, plus que 1,5 à 2 milliards de dollars par an. L’objectif assumé est d’aller vers les activités rapportant le plus d’argent. « Avec une inébranlable attention sur la croissance à long terme de la valeur actionnariale », a précisé Murray Auchincloss, le directeur général de BP.

Des multinationales décomplexées

Ces annonces vont à rebours de toutes les préconisations des scientifiques. Il faudrait réduire drastiquement dès maintenant l’utilisation d’énergies fossiles pour atteindre la neutralité carbone en 2050, nécessaire d’après le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour limiter le désastre climatique à 1,5 °C de réchauffement global. L’Agence internationale de l’énergie appelait pour cela, dès 2021, à l’arrêt immédiat du développement ou de l’extension de tout nouveau projet pétrogazier.

« Ce revirement de BP est absolument dramatique pour le climat », dit Louis-Maxence Delaporte, analyste énergie pour l’ONG Reclaim Finance. « Ils privilégient le court terme et l’intérêt de leurs actionnaires au détriment d’un avenir soutenable. C’est un énorme pas en arrière, dont ils ne se cachent même pas. Nous appelons les banques et investisseurs à arrêter de les soutenir tant qu’il n’y a pas d’actes concrets engagés dans la transition ».


Pour maintenir le réchauffement global en deça de 1,5 degrés, les scientifiques préconisent de pas relancer de projets d’extraction d’hydrocarbures.
Unsplash/Worksite Ltd

BP est pourtant loin d’être la première major pétrolière à insulter l’avenir en toute décontraction. C’est même plutôt la norme. Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, assume ouvertement de continuer à produire toujours plus d’énergies fossiles. La multinationale française développe les projets climaticides par dizaines partout dans le monde. Début février, Total annonçait également réduire ses investissements dans les énergies bas carbone.

Une dynamique catalysée par Trump

Shell, Exxon, Chevron… Tous les grands groupes pétroliers continuent d’investir dans les énergies fossiles, avec le soutien des plus grandes banques du monde. En France notamment, mais surtout aux États-Unis, où les plus grosses institutions financières ont ouvertement abandonné leurs engagements climatiques en quittant début janvier l’initiative Net-Zero Banking Alliance, qui visait à aligner les investissements sur une trajectoire neutre en carbone en 2050.

Une dynamique catalysée par l’élection de Donald Trump et par ses promesses de forer toujours plus de pétrole. « Toutes ces majors pétrolières n’ont jamais été alignées sur les objectifs climatiques mais elles mettaient jusque-là en avant leurs projets de transition. Elles semblent maintenant décomplexées et ne cachent plus du tout leurs stratégies de développement des énergies fossiles », observe Louis-Maxence Delaporte.

Les jeux était pourtant déjà faits, bien avant l’élection de Donald Trump, d’après certains analystes. L’économiste Maxime Combes alerte depuis dix ans sur le verrouillage structurel qui lie ces multinationales aux énergies carbone.

« Ces vingt dernières années, chaque fois que Shell, BP ou les autres ont annoncé à leurs actionnaires une révision à la baisse de leurs prévisions d’exploitation d’énergies fossiles, ça a entraîné pour eux une perte majeure de valorisation boursière, souligne-t-il. L’extrême financiarisation du secteur fait qu’ils ne peuvent prendre aucune décision cohérente avec la lutte contre le changement climatique sans se faire hara-kiri sur au moins la moitié de leur valorisation boursière. »

« Personne n’a de plan concret pour démanteler ces multinationales »

Le blocage est même encore plus systémique, selon l’économiste. Car la puissance économique de ces multinationales leur confère un pouvoir de déstabilisation globale sur l’économie, faisant d’elles des entreprises « too big to fail », « trop grosses pour faire faillite ». « Imaginons que le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, soit soudainement touché par la grâce et annonce la fin des fossiles. Total étant un acteur majeur du CAC40, cela pourrait provoquer une déstabilisation financière de la place de Paris et créer un choc financier important. On est dans une situation d’impossibilité radicale d’être à la hauteur du défi climatique », explique Maxime Combes.

Autrement dit, à règles économiques constantes, éviter le cataclysme climatique serait impossible. Il existe toutefois de nombreuses pistes pour changer ces règles, que Reporterre a évoqué dans cet article, comme changer profondément la gouvernance de ces multinationales, voire assumer leur prise de contrôle par les pouvoirs publics pour organiser le démantèlement de leurs activités écocides.

« Aujourd’hui, les pouvoirs publics ne sont pas outillés pour engager cette transformation et personne n’a un début de plan concret pour démanteler ces multinationales », déplore Maxime Combes. La doxa libérale depuis des décennies consiste à laisser agir les acteurs privés, en misant sur leur bonne volonté pour engager la transition. « Et BP vient de démontrer que ce scénario était caduc », conclut l’économiste.

legende



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *