Le symbole est de taille. Le périphérique parisien, axe stratégique au 1,1 million de véhicules quotidiens et point noir de pollution atmosphérique en Île-de-France, a depuis le 3 mars sa voie de gauche réservée durant les heures de pointe aux transports en commun, taxis et véhicules en covoiturage.
Deux autres axes routiers stratégiques, les autoroutes A1 et A13 desservant le Nord et l’Ouest de la capitale, prévoient également de mettre en place le dispositif en cas d’embouteillages.
Les panneaux lumineux installés pour la signalisation de la voie olympique, réservée aux personnes accréditées durant les JO 2024, vont être réutilisés pour l’opération. Le losange noir symbolique de ces voies réservées est apparu pour la première fois à Grenoble et Lyon en 2020. Il a ensuite fleuri sur des grands axes proches de Rennes, Strasbourg et Bordeaux.
Amendes à venir
Il a jusqu’alors montré des résultats quasi nuls, en raison de l’absence de contrôle. « Les usagers, au bout d’un moment, se rendent compte qu’il n’y a pas de sanction. Cela confère une certaine impunité », constate Bruno Levilly, spécialiste du sujet pour le Cerema, établissement public d’expertise dans le domaine de l’aménagement et des transports.
Mais les choses devraient évoluer, car, depuis l’été 2024, des radars automatiques commencent à être installés aux abords des voies réservées. Comme Reporterre l’écrivait en 2023, des caméras infrarouges sont capables de détecter la présence de passagers, même à l’arrière du véhicule, et de transmettre les clichés suspects à un agent de police. Des amendes de 135 euros seront envoyées aux contrevenants à partir du mois de mai.
L’espace le plus pollué de la capitale
Chez Les Républicains, on combat de longue date ce dispositif, estimant qu’il représente un « risque d’embouteillages massifs » et qu’il pourrait entraîner une « hausse de la pollution de l’air et son déplacement sur les itinéraires de report », selon les mots prononcés en février par Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France.
En face, la Ville de Paris lui oppose des arguments écologiques : la voiture individuelle représente à elle seule plus de 15 % des émissions de gaz à effet de serre en France et le périphérique est l’espace le plus pollué de la capitale, avec un nombre de particules ultrafines 2 à 2,5 fois supérieur aux taux observés sur les sites urbains parisiens. Le covoiturage est identifié comme un levier d’action majeur car 80 % des véhicules qui circulent sur le périphérique ne transportent pas de passager, d’après la mairie socialiste.

Les autoroutes A1 et A13 qui desservent le Nord et l’Ouest de la capitale prévoient aussi de recourir à ce dispositif en cas d’embouteillages.
© P-O. C./ Reporterre
Au-delà des symboles, et de la bataille politique, les voies réservées doivent encore faire la preuve de leur efficacité. Dans un premier temps, l’effet sur le trafic ne devrait pas être spectaculaire, estime la Direction des routes d’Île-de-France, car le nombre de voitures sur les routes, et donc la quantité globale de bouchons, devrait rester le même.
Mais ce nouveau « coupe-file » offrira néanmoins un gain de temps aux covoitureurs « de dix minutes en moyenne, sans générer d’allongement significatif pour les autres usagers », écrit le service étatique sur son site.
Le paradoxe du trafic induit
À plus long terme, Paris espère que des automobilistes délaisseront leur auto pour le covoiturage. Mais qui dit moins de voitures, dit moins d’embouteillages. Ce qui pourrait inciter d’autres conducteurs à prendre le volant. Notamment si l’offre de transports en commun n’est pas au rendez-vous. Cela pourrait paradoxalement induire une hausse du trafic, d’un volume difficile à quantifier.
La municipalité conçoit donc cette mesure comme une pièce d’un dispositif global visant à réduire la place de la voiture. L’automne dernier, l’équipe municipale a ainsi acté la réduction de la vitesse à 50 km/h sur le périphérique et le déploiement d’une « zone à trafic limité » en centre-ville.
« À Rennes, la voie réservée a été installée sur une bande d’arrêt d’urgence »
En 2022, l’Atelier du boulevard périphérique, instance réunissant Paris, des collectivités franciliennes et des associations a rendu un livre blanc dessinant un scénario d’évolution radicale du périphérique en boulevard urbain, avec des feux de circulation pour limiter le nombre de voitures et des milliers d’arbres constituant une « ceinture verte ».
Une telle perspective ne fait pas l’unanimité. Ailleurs, les voies réservées ne sont pas toutes conçues comme un outil de recul de la place de la voiture. « À Rennes, la voie réservée a été installée sur une bande d’arrêt d’urgence, ce qui contribue à donner encore plus de place à la voiture. Cela ne va pas dans le bon sens écologiquement », dit Matthieu Bloch, urbaniste pour l’association Forum vies mobiles.
En Gironde, une voie réservée a été intégrée à la création d’un contournement routier de 3 kilomètres autour de Fargues-Saint-Hilaire. Argument utilisé à l’époque de son inauguration par le président du Département, Jean-Luc Gleyze, pour vanter les « solutions plus écologiques » et la « réponse au défi environnemental » dont cette route nouvelle serait un symbole.
Crispations sur la voiture individuelle
À ce risque de greenwashing s’ajoute un débat sur les conséquences sociales du dispositif : la métropole grenobloise a fait le choix d’autoriser les voitures électriques, même avec un seul passager, à emprunter la voie réservée, contrairement aux règles retenues sur le périphérique parisien. « Cela profite indirectement aux plus riches, qui ont pu se payer une voiture électrique », dit Matthieu Bloch.
Les voies réservées sont donc à piloter avec doigté et leur effet restera de toute façon limité, car les routes qui peuvent en faire l’objet — comprenant plusieurs voies et exposées aux embouteillages — ne sont pas nombreuses en France. Leur déploiement revêt en revanche un caractère symbolique important et risque de réveiller les crispations autour de la voiture individuelle, qui ont accompagné le retour de bâton anti-écologique instrumentalisé par la droite et l’extrême droite depuis plusieurs mois.
L’acceptabilité du dispositif sera donc un des éléments clés à prendre en compte à l’heure du bilan de ce déploiement expérimental. L’État en évaluera les conséquences sur l’A1 et l’A13 en septembre. La ville de Paris se donne, elle, cinq ans pour tirer les conclusions de cette voie réservée sur le périphérique.
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