une de nos rédactrices témoigne


Une de nos rédactrices brise le silence sur les violences sexuelles et psychologiques qu’elle a subies. Avec une honnêteté désarmante, elle raconte son parcours, de la culpabilité initiale à la prise de conscience féministe. Un récit intime et universel qui dénonce la banalisation des violences envers les femmes et appelle à une remise en question profonde de notre société. Témoignage.

Avec la parole des femmes qui se libère, je me rends compte que de nombreuses situations que j’ai vécues plus jeune étaient inacceptables. À l’époque, quand je ressentais un profond mal-être face à certains comportements abusifs, je me disais que c’était de ma faute. Parce que la société considérait ces comportements comme « normaux », je pensais que j’étais trop sensible, que j’exagérais. Dire « non », c’était risquer de passer pour une folle, une hystérique.

Aujourd’hui, en entendant tant d’autres femmes raconter des histoires similaires, je me rends compte que nous avons été nombreuses à devoir nous taire, à accepter l’inacceptable, souvent pendant des années. Comme si nos corps et nos individualités ne nous appartenaient pas.

Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol. © Tiphaine B.

D’abord prendre conscience de nos blessures invisibles

Alors oui, j’ai mes problèmes, comme tout le monde. Mais ce qui me fascine aujourd’hui, c’est de voir à quel point la bienveillance est devenue une priorité pour moi. Dans mes relations, qu’elles soient amicales ou amoureuses, c’est ce qui m’attire le plus. Pas de chance, ce n’est pas vraiment ce qui est valorisé par la société.

En ce qui me concerne, je vois peu à peu les bienfaits à déterrer les vieux traumatismes qui m’ont inconsciemment conduit à répéter pendant longtemps les mêmes schémas destructeurs, jusqu’à ce que je décide enfin d’arrêter de fuir et de commencer un travail sur moi-même. C’est inconfortable, souvent douloureux, mais à terme, c’est libérateur. Je me rends mieux compte aujourd’hui de ce que peut être l’amour, au-delà de mon conditionnement, au-delà des idées qui se sont greffées dans mon inconscient d’enfant il y a quelques dizaines d’années, et qui sont restées là pendant tout ce temps, attendant que j’y jette enfin un œil.

Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol. © Tiphaine B.

Aujourd’hui, je ne sais peut-être pas exactement ce que je veux (quoi que je m’en rapproche…), mais je suis certaine de ce que je ne veux plus. Et ça, c’est déjà énorme. Le plus dur, c’est de déconstruire les croyances enfouies au fond de nous, celles qui nous font croire que les comportements toxiques, la culpabilité et l’auto-sabotage, sont la norme. Une fois que l’on commence à s’en libérer, on voit une nette différence, dans tous les domaines de notre vie.

Pour en revenir à ces situations inacceptables que j’ai vécues, en prendre conscience n’est pas facile non plus. Se rendre compte de cette extrême violence, avant tout structurelle, qui façonne les individus, ce n’est pas facile. Il serait plus aisé de se dire que tout va bien, qu’il n’y a pas de problème. Par moments, clairement, j’en bave. Beaucoup de colère et d’amertume à gérer. Parce que c’est injuste, et je ne supporte pas l’injustice. Pourtant, en même temps, c’est extrêmement libérateur. Une prise de conscience difficile mais nécessaire, et salvatrice. J’en ressors avec bien plus de force et de courage. Et ça me donne envie de partager ce cheminement, en espérant qu’il puisse aider d’autres personnes.

L’expérience directe de la violence : une réalité bien trop courante

J’ai subi des agressions sexuelles, une tentative de viol (dont j’ai heureusement pu me défendre, même si les séquelles, physiques et psychologiques, restent bien réelles), ainsi que du harcèlement de rue. La plupart du temps, il s’agissait d’inconnus, ou presque. Mais dans mes relations amoureuses, j’ai aussi été victime de viols conjugaux. À l’époque, j’étais naïve, mal informée sur le consentement. Je ne savais pas que le terme « viol » pouvait s’appliquer au couple. Aujourd’hui, quand j’y repense, ça me remplit de rage. D’autant plus que je ne suis pas seule. Nous sommes des milliers, des millions à avoir subi ces violences sans avoir pu mettre des mots dessus. Un témoignage édifiant à ce sujet :

Maintenant, je sais. Dans un couple, comme ailleurs, quand l’un·e refuse et que l’acte a quand même lieu, c’est un viol. Quand l’un·e n’a pas la possibilité de consentir de façon libre, éclairée et enthousiaste, c’est un viol. Même quand il n’y a pas de violence physique. Sans même parler de la contrainte par du chantage affectif, des menaces déguisées, de la culpabilisation, de l’emprise, de la manipulation… Ces mécanismes sont insidieux, destructeurs, et pourtant si communs.

Une enquête révèle que 9 femmes sur 10 ont déjà ressenti une pression de leur partenaire pour avoir un rapport sexuel. 9 sur 10. C’est énorme. Et pourtant, on commence à peine à en parler, à dire que non, ce n’est pas normal. Le sexe n’est pas un dû. Le devoir conjugal n’existe pas. Ça peut paraître évident, mais dans une société qui nous conditionne à croire le contraire, il faut parfois des années pour s’en rendre compte.

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Et puis, soyons honnêtes : quel plaisir peut-on prendre à imposer une relation sexuelle à une personne qui n’en a pas envie ? Pour moi, c’est une des facettes les plus abjectes de l’humain. Le sexe devrait être un moment de partage, d’abandon en toute sécurité, et non une arme de domination ou une simple validation de l’ego. Mais dans une société qui valorise l’égoïsme et les rapports de force, est-ce si étonnant ?

Enquête #NousToutes

Au-delà des violences sexuelles, je ne compte plus les fois où j’ai ressenti un profond malaise face à certains comportements masculins. Des hommes de tous horizons, milieux, nationalités… Un seul point commun : cette assurance écrasante, cette impunité, cette façon de considérer leur comportement comme normal parce que la société l’a toujours légitimé. À force, cette accumulation m’a écœurée des relations intimes. J’en suis arrivée à ne plus supporter qu’on me touche. Aujourd’hui, je réapprends, petit à petit, à faire la paix avec mon corps. Mais c’est un chemin long, semé d’embûches.

J’ai aussi connu le harcèlement, les violences psychologiques, et à de rares fois, physiques. J’ai même déjà craint pour ma vie en quittant un homme, tant il paniquait à l’idée d’être rejeté. Et pourtant, à ce moment-là, je me suis dit que je préférerais mourir plutôt que de rester avec lui. Quand tu en arrives à penser ça, quand ce genre de situation se répète, tu finis par comprendre que ce n’est pas toi le problème. Que c’est tout un système qui déconne.

« Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent. » – Margaret Atwood

Je n’ai jamais porté plainte. Parce que je ne voulais pas revivre ces violences, encore et encore. Parce que je voulais ne plus jamais revoir ces hommes. Parce que j’ai autant confiance en la justice pour condamner des violences faites aux femmes qu’en Trump pour finir un livre.

J’aurais peut-être dû. Mais j’ai passé suffisamment de temps à me sentir coupable pour des choses dont je n’étais pas responsable. J’admire celles qui osent affronter ce parcours du combattant, sachant qu’elles seront forcées de revivre leur traumatisme et que les chances de voir leur agresseur condamné restent minces, quelles que soient les horreurs qu’elles ont subies.

Parfois, tout ça me donne envie de hurler. Mais j’ai horreur des cris. Alors j’écris, je compose, je marche. Parce que la colère, aussi légitime soit-elle, ne doit pas devenir un poison. Mais au contraire, peut devenir une force.

Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol. © Tiphaine B.
Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol. © Tiphaine B.

Une société qui excuse et perpétue ces violences

Certains me diront peut être que je n’ai pas eu de chance, que je me suis dirigée moi-même vers de « mauvaises personnes ». Alors effectivement, plus jeune, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un amour sain. Mais notre société tout entière baigne dans la culture du viol et légitime depuis longtemps les violences faites aux femmes. Et ces violences ne sont pas le fait de monstres isolés mais bel et bien d’hommes ordinaires, intégrés à notre quotidien. Comme l’a montré Hannah Arendt avec le concept de banalité du mal, les pires horreurs ne viennent pas forcément d’individus sadiques, fous à lier, mais simplement de ceux qui perpétuent un système sans même le questionner.

@ Fondation des femmes

En ce qui me concerne, si pendant un temps j’ai accepté certaines situations, parce que personne ne m’avait appris à dire non, je suis loin d’être une brebis égarée à qui il est arrivé quelques malheurs parce qu’elle n’a pas été prudente. Les témoignages lourds de femmes qui ont subi ces violences se multiplient chaque jour. Dans mon entourage, presque toutes les femmes que je connais ont vécu des situations similaires et doivent à ce jour continuer à faire face à d’ignobles comportements.

Nous évoluons toutes et tous dans une société profondément malade qui nous conditionne, qui a conditionné nos parents et nos grands-parents. Mais heureusement, certaines choses évoluent.

Aujourd’hui, je suis aussi infiniment reconnaissante d’être bien entourée. Merci. À mes ami·es, à celles et ceux qui m’ont aidée à me reconstruire. J’ai beaucoup appris de ces expériences. Et même si je ne remercierai jamais la violence, je sais qu’elle m’a appris quelque chose d’essentiel : ma propre capacité de résilience.

Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol. © Tiphaine B.
Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol. © Tiphaine B.

Le féminisme : un combat d’hier, d’aujourd’hui et de demain

Longtemps, je n’ai pas compris l’importance du féminisme. Je trouvais les féministes « reloues » (spoiler : aujourd’hui, c’est moi la reloue… Et bon ok, je l’étais déjà avant, pour d’autres raisons mais passons). Malgré ce que j’avais subi, je ne voyais pas (ou ne voulais pas voir) l’ampleur des violences physiques, psychologiques et sexuelles faites aux femmes de manière générale, ni leur banalisation criminelle.

Quand j’ai commencé mon travail de rédactrice, je me suis essentiellement focalisée sur l’anticapitalisme, la lutte des classes et l’écologie. Mais il me manquait donc cette composante essentielle : le féminisme. Et la lutte pour les droits des minorités.

« Parce que tout est lié. Toutes ces problématiques reposent sur des dynamiques de domination et d’oppression qui se nourrissent entre elles. »

Par ailleurs, ça marche aussi dans l’autre sens, les personnes qui s’engagent d’abord dans la lutte féministe auront elles aussi souvent tendance, par la suite, à s’orienter également vers d’autres combats essentiels tels que l’écologie, parce que toutes ces luttes sont complémentaires.

Nos droits sont récents et fragiles. (Je parle ici de féminisme mais ça vaut aussi pour tous les droits sociaux acquis au cours du siècle dernier). Avant 1965, une femme en France ne pouvait pas ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari. Elle avait grosso modo le statut d’un enfant.

Droit à la contraception : 1967. Droit à l’avortement : 1975 (Loi Veil). Jusqu’en 1980, le viol conjugal était légal. Il a fallu attendre 1992 pour qu’une condamnation ait enfin lieu. Ce ne sont donc pas des histoires anciennes, c’était il y a à peine une ou deux générations. Donc ces féministes reloues à cause desquelles « on peut plus rien dire » ont quand même permis des avancées majeures qui profitent à tout le monde. Et ces droits fondamentaux ne cessent d’être remis en cause avec la montée en puissance de l’extrême droite et des idées conservatrices.

Et les arguments pour discréditer le féminisme sont nombreux

« Elles sont allées trop loin et ont pris trop de pouvoir »

Alors que rien qu’en France, on a plus d’une centaine de féminicides chaque année (ah, ces hommes qui tuent « par amour »…) et plus d’un millier de tentatives de féminicides. 85 % des violences conjugales sont subies par les femmes. En France, 1 femme sur 2 a déjà subi des violences sexuelles. Et la plupart ne vont jamais jusqu’à porter plainte parce qu’elles savent que la majorité de ces plaintes sont classées sans suite.

97 % des auteurs des violences sexuelles sont des hommes et dans 91 % des cas, les femmes connaissent leur agresseur (donc bien loin du mythe de l’étranger psychopathe rencontré dans une ruelle sombre). L’écart de salaire moyen entre les hommes et les femmes est de 24 %, et de 15 % en temps de travail équivalent. En moyenne, 1h30 de travail domestique en plus pour les femmes par jour. Et aux hommes qui diront « oui mais chez moi ça se passe pas comme ça ». Ok, pas de soucis, si c’est le cas, c’est très bien ! Mais ce n’est pas parce que vous êtes une exception que la règle n’existe pas. Merci à celles et ceux qui voient plus loin que leur nombril.

Publication de Thomas Piet 

« Elles sont hystériques »

Le sempiternel cliché pour décrédibiliser les femmes. Parce qu’un homme en colère, c’est « normal », mais une femme en colère, elle est tarée. On pourrait changer de disque, non ? Même pas envie d’argumenter.

« Elles sont misandres »

Fun fact : le mot « misandrie » est apparu dans le dictionnaire en 1970, histoire de coller une étiquette sur des femmes qui réagissaient à des siècles de misogynie et d’oppression. Souvent interprété à tort comme la haine des hommes en général, il représente en réalité le rejet de la domination masculine et de toutes les violences que celle-ci engendre. Qui plus est, soyons clairs : la misandrie dérange, elle agace. La misogynie tue. Cf. les féminicides mentionnés plus haut mais aussi les attentats meurtriers commis notamment par des incels, par pure et simple haine des femmes :

« Le féminisme sert le capitalisme parce maintenant, les femmes travaillent, donc le système dispose d’une double main d’œuvre ».

Et bien oui, le capitalisme instrumentalise absolument tout, même ton chat et ta grand-mère. Mais ce n’est pas une raison pour nier la légitimité d’une cause. Donc oui, il faut lutter contre ce système productiviste et consumériste mais cela ne signifie pas que l’on doit revenir à une société où les femmes étaient des usines à gosses.

Il n’y a rien d’incompatible à lutter contre l’exploitation capitaliste et défendre l’égalité des sexes, bien au contraire : c’est un même combat. Personnellement, je ne pense absolument pas que « c’était mieux avant ». Par contre, ce qui est certain, c’est qu’on peut faire immensément mieux.

« Féminisme = sécuritarisme »

Il est crucial de rappeler que le but du féminisme n’est pas d’imposer plus de contrôle ou de répression, mais bien de transformer en profondeur les mentalités. La solution ne repose pas sur une surenchère sécuritaire ou une défiance systématique, mais sur un changement culturel et éducatif profond. Le combat féministe vise à déconstruire les rapports de domination, à enseigner le respect et l’égalité dès le plus jeune âge. C’est en modifiant les comportements à la racine, en éduquant sur le consentement, l’égalité et la responsabilité, que nous pourrons véritablement prévenir les violences et permettre à toutes et tous de vivre dans une société plus juste et sécurisante.

Merci à toutes les femmes qui font entendre leur voix. Et merci aux hommes qui savent écouter, remettre en question ce que la société attend d’eux, et soutenir cette lutte indispensable. Ce n’est pas facile de prendre conscience d’un problème, encore moins quand on a l’impression que celui-ci ne nous concerne pas.

Liberté, Égalité, Adelphité.

– Elena Meilune


Photo de couverture : Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol © Tiphaine B.

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