Le confinement, de l’obéissance au silence, par Théo Boulakia & Nicolas Mariot (Le Monde diplomatique, mars 2025)


Il y a cinq ans, la pandémie de Covid-19 paralysait le monde

L’enfermement du printemps 2020 constitue l’une des expériences humaines les plus marquantes et les moins débattues de ces dernières années. Face au virus, nombre d’États ont refusé d’instaurer la réclusion stricte imposée aux Italiens ou aux Espagnols, sans pour autant que la mortalité augmente. En France, l’état d’exception sanitaire et son respect interrogent : pourquoi et comment a-t-on obéi ?

Durant cinquante-cinq jours, du 17 mars au 10 mai 2020, la liberté de déplacement fut suspendue en France. Pour freiner la propagation d’une pandémie qui menaçait de déborder les capacités hospitalières, le gouvernement ordonna l’enfermement de la population : à l’exception de certains travailleurs, chacun devait, sous peine d’amende et jusqu’à nouvel ordre, rester chez soi. Seul le remplissage d’une attestation permettait de déroger, sous conditions strictes, à l’interdiction de sortie. Des milliers d’arrêtés — préfectoraux, municipaux — renchérirent sur les règles nationales par l’instauration de couvre-feux ou de limitations locales d’achats et, presque partout, par une fermeture administrative d’espaces naturels (parcs urbains mais aussi forêts, massifs, rives et plages). L’urgence sanitaire justifia également le déploiement dans l’ensemble des départements métropolitains de moyens de surveillance et de répression inédits. Un amendement au projet de loi d’urgence Covid-19, voté le 19 mars 2020, autorisa les policiers municipaux et les gardes champêtres à verbaliser eux-mêmes pour non-respect des règles de sortie. Au terme de l’expérience, l’ensemble des forces de l’ordre avaient réalisé pas moins de 21 millions de contrôles et verbalisé 1,1 million de personnes.

La parenthèse s’est refermée, cinq années ont passé sans que le moindre débat national interroge ce qui s’est joué dans ce choix d’un confinement dur. Par contraste, la gestion gouvernementale de la même pandémie, notamment la question des atteintes aux libertés publiques, nourrit une controverse fiévreuse en Allemagne, alors même que les interdits y furent bien moins marqués qu’en France.À Paris, les deux rapports parlementaires — nos 3053 et 3633 — qui évaluent dès 2020 la gestion de la crise sanitaire ne mentionnent pas l’attestation dérogatoire de sortie et ne discutent pas non plus le bien-fondé du bouclage des espaces naturels. À leur suite, les conclusions du rapport de la mission indépendante nationale sur l’évaluation de la (…)

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Théo Boulakia &

Nicolas Mariot

Sociologues. Auteurs de L’Attestation. Une expérience d’obéissance de masse, printemps 2020, Anamosa, Paris, 2023.



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