Remettre en cause le droit du sol est une très mauvaise idée


En s’appuyant sur l’importante immigration que connaît l’île de Mayotte, de nombreux politiciens français, dans la roue de l’extrême droite, remettent en cause le droit du sol. Or, cette idée n’apporte aucune solution aux crises sociales et crée une fracture entre les citoyens, établissant ainsi une réelle rupture d’égalité. Décryptage.

Alimentant les préjugés racistes, la remise en question du droit du sol représente une attaque concrète à la devise républicaine de la France « liberté, égalité, fraternité ». Elle ne ferait en réalité que créer des tensions entre les individus nés de parents français et les autres. De fait, il s’agirait là d’une discrimination qui n’aurait en outre aucun effet bénéfique sur les problèmes économiques, d’intégration ou même de sécurité.

Un droit ancestral

Venant du camp qui ne cesse de nous rebattre les oreilles avec l’illusoire rengaine du « c’était mieux avant », il est ironique de voir émerger la remise en question du droit du sol qui remonte pourtant en France à 1515 sous le règne de François Ier, où il est instauré en matière de succession. Depuis, un enfant d’immigré né en France peut alors hériter de ses parents ; autrefois, l’État pouvait simplement saisir les biens d’un étranger à sa mort.

C’est ensuite avec la Révolution de 1789 que le concept de nationalité française va progressivement se dessiner. Les Français ne sont ainsi plus des sujets du roi, mais des citoyens. C’est finalement le Code civil de 1803 qui fixe concrètement cette notion. On met en place une première mouture hybride entre droit du sang et droit du sol ; toute personne de père français prend son nom et sa nationalité. En outre, tout habitant né en France de géniteur étranger peut demander la nationalité à ses 21 ans.

À partir de 1851, on vote même le double droit du sol qui établit qu’un enfant né en France d’un père étranger lui aussi né en France est de facto Français. Finalement, en 1889, tout individu né en France devient automatiquement français à sa majorité, sauf s’il le refuse.

Une marotte de l’extrême droite

Depuis cette époque, l’extrême droite n’a cessé de remettre en cause ce droit. Elle a même d’ailleurs réussi à l’abolir quand elle arrive aux commandes sous le régime de Vichy de Philippe Pétain entre 1940 et 1944. Il sera finalement restauré par le gouvernement provisoire de Charles de Gaulle.

Dans les années 80, les identitaires profitent de mouvements sociaux organisés par des ouvriers d’origine maghrébine pour attiser le racisme dans la population. Petit à petit, la question du droit du sol est remise sur la table. Comme les prémices des évènements actuels, les idées du Front National s’immiscent au sein de la droite française et en particulier du RPR (ancien nom de LR), alors au pouvoir.

Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, qui assurait en 1988 que le FN avait « les mêmes valeurs que la majorité », ce qui n’est pas sans rappeler les positions de Bruno Retailleau ou de Gérald Darmanin, fait d’ailleurs voter une loi pour restreindre le droit du sol en 1993. Ainsi, à partir de ce moment là, un enfant né en France de parent étranger devra faire la demande pour obtenir la nationalité entre ses 16 et 21 ans. Une disposition finalement abrogée par le gouvernement Jospin, cinq ans plus tard.

Un droit du sol qui n’a jamais été automatique

Dans les faits, la France a donc toujours eu un système mixte entre droit du sol et droit du sang. Ainsi, contrairement aux États-Unis où un individu né dans le pays est automatiquement américain, une personne née en France doit répondre à plusieurs conditions.

Si ses deux parents n’ont pas la nationalité et ne sont pas nés sur le territoire, alors un enfant sera considéré comme étranger jusqu’à ses 13 ans, date à laquelle il pourra faire une demande de nationalité à condition d’avoir vécu au moins 5 ans dans l’hexagone. S’il remplit cette dernière condition, il obtiendra également la citoyenneté de manière automatique à sa majorité.

– Pour une information libre ! –Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Le faux argument de Mayotte

Lorsque les élus du Rassemblement National, des Républicains et de Renaissance viennent expliquer qu’il faudrait remettre en cause le droit du sol à Mayotte sous prétexte que l’acquisition de la nationalité française serait un appel d’air pour l’immigration comorienne, il est donc aisément compréhensible que cette thèse est plus que fallacieuse.

Qui peut en effet imaginer que des individus planifieraient d’aller accoucher dans un autre pays illégalement tout en espérant y rester pendant treize longues années avant de pouvoir offrir à leur enfant la nationalité française ? L’argument est d’autant plus ridicule qu’une loi de 2018 a déjà durci les conditions de ce droit à Mayotte. De plus, pour qu’il s’applique, il faut également que l’un des parents réside de manière régulière et ininterrompue en France depuis au moins trois mois au moment de la naissance.

Le pied dans la porte

Il n’est pas très compliqué de comprendre qu’en prenant Mayotte comme prétexte, l’extrême droite et la droite française veulent en réalité abolir le droit du sol sur l’intégralité du territoire français. Marine Le Pen l’a d’ailleurs clamé haut et fort « il faut supprimer le droit du sol partout ».

En 1940, quand l’extrême droite au pouvoir remettait cette disposition en cause, elle visait avant tout les juifs pour qui elle avait même établi la déchéance de nationalité lorsqu’ils étaient de parents étrangers. Aujourd’hui, leurs héritiers politiques parlent à longueur de journée d’immigration et d’islam ; de fait, il n’y a pas de doute à avoir sur leurs principales cibles.

Une rupture d’égalité

Quand Gérald Darmanin soutient qu’« être français, ça ne peut pas être le hasard de la naissance. Être français, c’est une volonté », il fait précisément une distinction entre les Français d’origine étrangère et les autres.

Les premiers devraient ainsi prouver leur souhait d’appartenir à la nation tandis que les autres n’auraient rien à faire. Et pourtant en quoi les uns seraient-ils moins assujettis au « hasard de la naissance » que les autres ? De fait, personne ne choisit où il naît ; cette réflexion absurde n’a que pour but de créer une citoyenneté à deux vitesses et alimenter la suspicion sur une catégorie de la population.

Les mêmes droits pour tous

Les valeurs de la République française, dont la droite et l’extrême droite ne cessent pourtant d’hypocritement se réclamer, ont toujours établi l’égalité comme un point fondamental. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 affirme d’ailleurs dès son article premier que « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Comment, dans ces conditions, parler d’une véritable démocratie lorsque certains habitants du pays, qui travaillent et paient des impôts, n’auraient pas les mêmes droits que tous les autres, en particulier celui de voter ? Comment peut-on espérer de cette façon que les individus d’origine immigrée se sentent pleinement intégrés à la République si dès le départ on les considère comme des Français de seconde zone ?

Remettre en cause le droit du sol, c’est d’ailleurs déjà faire grandir dans le cœur d’un enfant de parent étranger qu’il ne serait pas un citoyen comme tout le monde. Et ce bien qu’il suive la même école et le même parcours que la progéniture de personnes françaises. De fait, il ne devrait pourtant pas avoir à faire d’efforts « d’intégration » puisqu’il a vécu toute sa vie dans le pays comme n’importe qui.

À la recherche d’une vie meilleure

Constamment pointer du doigt les étrangers ou les personnes d’origine étrangère n’a en réalité rien à voir avec la nationalité française. Obtenir la citoyenneté d’un pays n’a jamais fait de quelqu’un un modèle de vertu. Prétendre restreindre cet accès n’aura par ailleurs aucun effet sur l’immigration elle-même, si ce n’est celui d’alimenter le sentiment d’injustice entre plusieurs classes sociales.

Ce procédé n’aura en outre aucun impact sur les problèmes sociaux ou de pauvreté, pas plus que sur la sécurité. Lorsqu’un individu quitte son pays, ce n’est pas pour décrocher un statut, mais bien pour tenter d’obtenir une vie meilleure pour lui et pour ses enfants.

Plus d’égalité, plus de partage

Revenir sur le droit du sol repose en réalité sur une logique démagogique et discriminatoire, que ce soit à Mayotte ou sur l’ensemble du territoire. Par là, la droite et l’extrême droite ne cherchent qu’une seule chose : alimenter la division au sein des classes populaires. De ce fait, ils espèrent faire oublier que l’essence même de leur projet est avant tout fondée sur le rejet de l’altérité et la défense de l’élite économique.

Or, la cohésion nationale, la sécurité et des conditions sociales dignes passent, à l’inverse, par une égalité des droits sans distinction d’ethnie, de langue, de religion ou de culture. De même, pour parvenir à cet idéal, le partage des richesses, et à terme l’abolition des classes, apparaît comme une solution bien plus crédible.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Bruno Retailleau le 12 décembre 2013 à la Convention sur l’Immigration : « Politique d’immigration, reprenons le contrôle »

– Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous –

Donation



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *