Gideon Kiefer. – « Once Upon a Time » (Il était une fois), 2021
La question a suscité tant de livres, de colloques et de thèses qu’on pourrait l’imaginer résolue. Qui vote pour l’extrême droite, et pourquoi ? Depuis ses premiers succès il y a quarante ans, le Front national (FN), devenu Rassemblement national (RN) en 2018, est « sans conteste le parti politique français qui a été le plus étudié au cours des dernières décennies », observe le politiste Alexandre Dezé, avec pas moins de 210 livres publiés entre les années 1980 et 2017. Et le flot ne s’est pas tari. Comment interpréter les logiques territoriales de son implantation ? Son ascension témoigne-t-elle d’une droitisation du pays ? Ses électeurs sont-ils principalement animés par des considérations sociales ou des préoccupations culturelles ?
Ils ne justifient pas leur vote de la même manière, ni ne manifestent le même attachement au parti ; leurs motivations varient selon leur parcours biographique, leur âge, leur origine sociale, professionnelle, géographique… Il faudrait ainsi parler « des » électorats du RN tant ce parti pénètre tous les milieux. Lors des élections européennes de juin 2024, la liste conduite par M. Jordan Bardella est arrivée en tête dans chaque catégorie socioprofessionnelle, 53 % chez les ouvriers, 40 % chez les employés, mais aussi 20 % chez les cadres (à égalité avec M. Raphaël Glucksmann). Le RN repose sur une base populaire et peu diplômée, mais il peut aussi compter sur une certaine bourgeoisie. La plupart des universitaires renoncent dès lors à tirer des enseignements trop généraux, à retenir des objets trop larges, et privilégient des études parcellaires sur tel quartier ou tel métier, afin d’examiner toutes les sinuosités des choix électoraux. Les médias, eux, ne s’embarrassent pas de telles nuances.
Dès les années 1990, le géographe Jacques Lévy s’est fait connaître par sa théorie du « gradient d’urbanité » : le vote FN, très faible au centre des agglomérations, lieu de diversité et de connexion internationale, augmenterait à mesure que l’on se dirige vers des zones (…)
Taille de l’article complet : 4 106 mots.
Cet article est réservé aux abonnés
accédez à la base de données en ligne de tous les articles du Monde diplomatique de 1954 à nos jours.
Retrouvez cette offre spécifique.