La sauvegarde de la langue française reste un combat
Premier ministre démissionnaire du Canada, M. Justin Trudeau a obtenu un consensus parlementaire pour actualiser la loi sur les langues officielles imaginée par son père en 1969. Pierre Elliott Trudeau combattait l’aspiration à l’indépendance des Québécois en leur promettant un plus grand pays, bilingue. Mais la reconnaissance de droits linguistiques individuels, sans cadre territorial clair, a entériné une asymétrie entre l’anglais et le français, toujours menacé de déclin.
Cyndie Belhumeur et Marie-Claude Marquis. – « Bonjour », fresque murale, Montréal, 2022
Photographie : Olivier Bousquet
«Le Parlement a besoin d’un “reset”, de se calmer un peu les pompons [modérer ses ardeurs] pour se remettre au travail. » Le 6 janvier dernier, le premier ministre canadien Justin Trudeau annonce sa démission, qui prendra effet en mars. Devant sa résidence d’Ottawa, la capitale fédérale, il déroule sans note un paragraphe en anglais suivi du même en français ; une réponse aux journalistes en français puis la même en anglais, respectant avec soin une égalité entre les deux langues officielles de ce pays de quarante millions d’habitants. Mais il suffit de l’arrogance d’un client anglophone dans un supermarché de Vaudreuil-Dorion pour enflammer les réseaux sociaux la semaine suivante. La presse fait aussi ses choux gras de l’incapacité de la gouverneure générale (représentante du roi Charles III) Mary Simon à parler français lors d’une visite à Lévis, une ville quasi exclusivement francophone.
Scruté depuis cinquante ans pour sa politique d’aménagement linguistique, le Canada a mis en place un arsenal juridique imposant. Mais le bilinguisme officiel demande un éclairage historique et politique pour en cerner les équivoques. Si la politique fédérale a permis de soutenir les minorités dispersées d’un océan à l’autre, seule l’affirmation du Québec par ses propres lois a consolidé la langue de Molière et de Michel Tremblay. Aujourd’hui, le français n’a jamais eu autant de locuteurs en Amérique du Nord, mais son poids relatif s’effrite et engage l’État comme la Belle Province à imaginer de nouvelles approches.
Selon le dernier recensement de 2021, 10,7 millions de Canadiens disent soutenir une conversation en français, mais seulement 7 millions le parlent de façon prédominante à la maison, soit 19 % de la population — contre 25,7 % en 1971. Après avoir augmenté dans la seconde moitié du XXe siècle, le bilinguisme plafonne : en 2021, 18 % des Canadiens disaient pouvoir converser tant en français qu’en anglais. Ce taux était de 12,2 % en 1961 et déjà de 17,7 % en 2001. Il progresse (…)
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