8 mars 2025 à 10h27
Mis à jour le 8 mars 2025 à 11h46
Durée de lecture : 4 minutes
Nîmes (Gard), reportage
Le flamant rose, oiseau emblématique de la Camargue, est certes peu farouche, au grand bonheur des photographes amateurs, il n’en demeure pas moins extrêmement vulnérable en période de nidification. Comment une information aussi cruciale sur une espèce protégée aurait-elle pu échapper à l’équipe de tournage de Radar Films, productrice de films animaliers aux côtés du célèbre réalisateur Nicolas Vanier ?
La société comparaissait devant le tribunal correctionnel de Nîmes, vendredi 7 mars, pour « destruction non autorisée d’œufs ou de nids d’une espèce protégée, atteinte à la conservation d’une espèce animale et perturbation volontaire illicite d’une espèce animale ».
Les 6 et 7 juin 2018, lors du tournage du film Donne-moi des ailes, inspiré de l’histoire de l’ornithologue Christian Moullec, deux ULM ont survolé une colonie de flamants roses en pleine couvaison, provoquant la perte de 520 œufs, soit la disparition de 11,5 % de la reproduction annuelle de la colonie, selon les associations de défense de l’environnement.
Depuis le début de cette affaire, l’entreprise Radar Films nie toute responsabilité et rejette la faute sur le pilote de l’ULM, spécialisé dans la prise de vue « écoresponsable ». Une ligne de défense qui n’a pas été suivie par le juge d’instruction puisque la société de production était la seule sur le banc des prévenus.
« La volonté de poursuivre les oiseaux alors qu’ils sont sur l’eau »
Lors des débats, la présidente du tribunal Véronique Léger a retracé la chronologie des faits. Le 6 juin 2018, deux ULM ont survolé une première fois l’unique zone de reproduction de l’espèce en France, située dans les Salins du Midi, à Aigues-Mortes, dans le Gard, « avec la volonté de poursuivre les oiseaux alors qu’ils sont sur l’eau », décrit-elle.

L’ULM mis en scène dans le film de Nicolas Vanier.
© SND / Radar Films / France 2 Cinéma / Canopée Productions
Dans l’aéronef n° 1, un salarié de la société, la doublure de l’acteur Jean-Paul Rouve. Dans l’aéronef n° 2, le pilote, prestataire extérieur accompagné par le réalisateur responsable des prises de vues aériennes. Le deuxième jour, le 7 juin, rebelote : « L’ULM pourchasse à plusieurs reprises les flamants roses qui, pris de panique, fuient dans tous les sens », poursuit la présidente.
« À aucun moment nous n’avons donné l’ordre pour la réalisation de ces images. C’est le pilote ULM, qui a fait du zèle et qui ne s’est pas posé la question s’il avait le droit de le faire » défend Matthieu Warter, représentant de Radar Films. « Dans ce cas, pourquoi y sont-ils retournés le lendemain ? » questionne la présidente. « Il leur était demandé de faire des prises de vue d’animaux pour des images d’illustration sans plus de précision », répond le producteur.

Selon le procureur, « la matérialité de l’infraction est avérée ». Lors de son réquisitoire, il a reproché à la société l’absence d’un plan de vol alors qu’elle connaissait la sensibilité du site classé Natura 2000. Il a requis une peine comprise entre 80 000 et 100 000 euros d’amende.
D’après l’enquête, une carte précisant les zones à ne pas survoler a bien été fournie par les Salins du Midi au régisseur principal dont la mission est d’obtenir les autorisations nécessaires au tournage.
« Il y a un décalage total entre le message du film et les méthodes de production »
« Vous avez fait preuve de négligence. Une simple réunion de sensibilisation aurait suffi », estime Olivier Gourbinot, juriste pour France Nature Environnement (FNE) Occitanie Méditerranée, partie civile aux côtés de plusieurs autres associations [1]. « Vous étiez en Camargue, un hotspot de biodiversité, durant une période sensible. Si les autorités vous ont autorisé à tourner, c’est parce qu’elles vous faisaient confiance », poursuit-il.
« Il y a un décalage total entre le message du film et les méthodes de production », déclare à son tour Isabelle Vergnoux, avocate de l’Aspas, pour qui le simple fait de venir tourner en Camargue à cette période de l’année constitue une « préméditation ». « En voulant sensibiliser à la disparition des oiseaux, ce film a contribué à leur disparition », ajouta-t-elle.
« Cette affaire illustre une certaine appropriation de la nature. Vous essayez de tirer profit des paysages, la nature est à la mode, ça fait vendre. Mais la réalité de l’environnement n’est pas glamour. Il y a des contraintes dont vous n’avez pas voulu tenir compte », insiste encore Julie Rover, avocate de FNE. Additionnées, les parties civiles demandent près de 600 000 euros de dommages et intérêts à la société Radar Films. La décision du tribunal sera rendue le 11 avril.
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