le même refrain depuis un siècle


En 1977 par décision de l’ONU, le 8 mars devenait la journée internationale des droits des femmes. Droit de vote, à l’éducation, indépendance financière, contrôle de son corps, égalité salariale… Les combats demeurent de par le monde, à conquérir ou parce qu’ils reculent. Pendant ce temps, les réactionnaires reviennent en boucle avec les mêmes attaques anti-féministes pour dévaloriser leur lutte. Debunk. 

Les droits des femmes ne sont jamais acquis, ainsi que Simone de Beauvoir prévenait. Et le triste spectacle de l’opinion anti-féministe le confirme.

« les féministes vont trop loin et desservent leur cause ».

« Le féminisme c’était mieux avant », « je ne suis pas contre le féminisme juste le néo-féminisme actuel », « maintenant, les féministes vont trop loin et desservent leur cause ». Les rengaines de ce type seront familières aux personnes tenant des discours féministes. Elles signifient peu ou prou « J’approuve les revendications féministes passées MAIS celles d’aujourd’hui, alors là non, c’est différent ! » Et ce n’est pas le mouvement #JamaisSansElles et sa tribune Le radicalisme nuit au combat féministe (Le Point, 2022) qui désapprouvera.

Quoi de plus étonnant : quand on grandit dans une société bénéficiant d’acquis, ceux-ci apparaissent comme une norme dont on oublie qu’elles ont nécessité des luttes radicales et un basculement de paradigme. Ainsi on devient réfractaire aux luttes actuelles qui s’inscrivent pourtant dans la continuité de celles passées. En somme, la personne qui s’oppose au féminisme en 2025 s’y serait tout autant opposée au début du XXe siècle. Par pure réactance, peur du changement, perpétuation d’un sexisme systémique invisibilisé ou banalisé dans une société patriarcale, etc.

Hier tout comme aujourd’hui, les conservateurs/réactionnaires/masculinistes/usent et abusent des mêmes raisonnements et insultes envers le militantisme féminisme. Et ces offensives argumentaires ne sont pas sans refléter les peurs et les préjugés de leurs auteurs concernant les rôles genrés au sein de la société, de la famille ou de la « nature féminine ». Un constat opéré au regard de l’opposition au droit de vote des femmes, principale revendication féministe au XIXe et début du XXe siècle en Europe.

Estimer que les luttes passées étaient plus « raisonnables » est un biais cognitif trompeur. Pour le prouver, quelques rappels des réactions virulentes de l’époque, dont ils se font les héritiers :

« La femme doit être protégée (car faible) contre l’influence de la politique »

Affiches contre le droit de vote des femmes en Suisse.

En Suisse, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1971 seulement. Ces opposants craignaient que ces dernières ne soient trop influençables pour participer à la vie politique, ce qui aurait en plus semé le trouble au sein du foyer. Sans compter la mise en danger des enfants, comme ces affiches l’illustrent aussi : si leur mère est attaquée, qui les protégera ?!

L’argument de la femme faible et manipulable se retrouva en France et en Angleterre au début du XXe siècle. En France, on craignait alors que la femme ne vote sous l’influence de son curé.

« La place de la femme, c’est au foyer ! »

« Comme Jeanne d’Arc, l’anti-suffragette a eu une vision de son devoir : le politicien corrompu qui tient une épée gravée de ‘la place de la femme est à la maison’. »

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Un message toujours approuvé par le mouvement Tradwife prônant la soumission de la femme à son mari (aussi bien économique que sexuelle) pour le « bien de la famille ».

« parce que si elles gagnent, elles domineront les hommes ! »

Cette idée révèle la peur profonde des dominants face à la vengeance des dominés, courante à l’époque de la libération des esclaves ou des peuples colonisés. Une crainte du retour de bâton ou du renversement face à la révolte anticipée des opprimés, preuve de la conscience du mal qui a été fait. Ainsi, derrière la volonté d’égalité prônée par les féministes, se cacherait en fait celle de se venger des hommes et de les dominer à leur tour. Un aveu d’injustice flagrant, justifié par la peur de perdre à leur propre système arbitraire de rapport de force.

Quand bien même les féministes répètent encore et encore que leur ennemi, c’est la domination masculine et non les hommes. C’est ainsi que le magazine Elle s’interroge déjà au XXIe siècle : « Les néo-féministes veulent-elles la peau des hommes ? » Une diabolisation du combat des femmes entretenue jusqu’aujourd’hui, quelles que soient les preuves dans le temps que les luttes féministes ont simplement permis aux femmes la reconnaissance de leurs droits humains. 

Quand les femmes votent, jour de lessive. Monsieur doit laver le linge en s’occupant de bébé pleurant, quand ces dames fument et jouent aux cartes en discutant du travail dont elles vont l’accabler.

« et les hommes devront s’occuper de tâches domestiques ». 

« Pourquoi n’es-tu pas resté célibataire ? » ironise le slogan de cette affiche à un père de famille contraint de sortir en poussette ses deux bébés brailleurs, sous le regard d’un homme défenseur du droit de vote des femmes. Le message de cette campagne ? Si vous gagnez à octroyer des droits aux femmes, vous n’aurez plus aucun intérêt à vous marier, car ces dernières ne seront plus corvéables. 

En effet, à quoi bon se marier si c’est pour devoir effectuer les tâches traditionnellement dévolues aux femmes : s’occuper des enfants, du ménage, de la préparation des repas… Une crainte tellement infondée à l’époque, qu’encore de nos jours, les tâches ménagères demeurent largement effectuées par les femmes.

En creux, ce genre de discours invite chacun à rester à sa place. L’homme doit pourvoir aux besoins de sa famille. Quant à la femme, autrefois, elle restait au foyer. Un idéal invisibilisant celles appartenant aux classes travailleuses par ailleurs… Aujourd’hui, on accepte que la femme travaille si cela ne nuit pas à sa vie de famille, deux injonctions forcément incompatibles.

Si on daigne octroyer plus d’indépendance aux femmes, il ne faudrait pas que l’ordre patriarcal en soit trop bousculé pour autant. La perte de certains privilèges est inenvisageable tant elle touche à la virilité (du moins à l’idée qu’ils s’en font) de ces messieurs.

« c’est le fond du problème : les féministes veulent devenir des hommes ! »

Car le pendant des femmes qui se masculinisent, c’est les hommes qui se féminisent ! Un vrai complot féministe contre la masculinité. Le Figaro s’inquiète même de l’effacement de l’identité masculine !

Un problème de suffrage / »couvre une multitude de péchés. » (dans le cadre)

Et cette ressemblance ne s’arrête pas aux droits ou à la place dans la société. Elle contamine aussi l’apparence physique : quand les femmes porteront des pantalons, comment pourra-t-on les différencier des hommes ? Et que restera-t-il aux hommes comme spécificité ? Cette peur d’émasculation fait écho à la vague actuelle de transphobie frappant les personnes transgenres, et les femmes trans plus particulièrement.

Pour pousser la caricature jusque dans le grotesque : « Une suffragette demande à une femme à barbe (dangereuse) : Comment avez-vous réussi ? »

« les femmes se crêpent le chignon pour un rien »

Pour décrédibiliser une lutte féministe, le recours aux clichés sexistes tels que « la femme hystérique qui s’énerve pour un rien » demeure une valeur sûre. Comment pourrait-elle participer à la vie de la cité si elle ne peut contrôler ses émotions ?

« Qu’est-ce que ces épouses sauvages sont en train de dire ? » se demande un pauvre homme au sujet d’une réunion sur le droit de vote des femmes.

Justification pour ne pas les autoriser à voter fût un temps, ce même imaginaire est convoqué de nos jours pour expliquer leur absence à des postes de pouvoirs ou le fait de ne pas les soutenir dans leur combat.

D’où la sortie misogyne d’Eric Zemmour en 2013 : « Elles n’expriment pas le pouvoir, elles n’incarnent pas le pouvoir, c’est comme ça. Le pouvoir s’évapore dès qu’elles arrivent. » On ne compte plus les sorties sexistes de l’essayiste et homme politique d’extrême-droite.

« En plus, les féministes/suffragettes sont des femmes moches et aigries qui n’ont pas trouvé d’hommes »

« Origine et développement d’une suffragette : à 15 ans, un petit animal de compagnie ; à 20 ans, une petite coquette ; à 40 ans, toujours pas mariée ! ; à 50 ans, une suffragette »

Car quelle féministe n’a pas entendu qu’elle était « mal baisée » et que son engagement féministe provenait de cette frustration ? Les féministes (comme Minute Simone ou Héloïse Simon) n’ont pas manqué de s’emparer de ce poncif éculé au profit de leur lutte. Un cliché sans aucune valeur mais d’autant plus ironique que selon une étude, les femmes féministes auraient une sexualité plus satisfaisante que les autres.

Et leur laideur présumée se retrouve dans la bouche de célébrités comme Françoise Hardy ou grâce aux memes pullulant en ligne. Comme les féministes rejettent les codes d’une société genrée, elle ne peuvent que sortir des canons de beauté pour leurs détracteurs.

« Personne ne m’aime, je pense que je vais devenir suffragette ». Carte postale de 1911 – Public Domain

S’il fallait retenir une leçon de tous ces exemples, c’est de ne pas se laisser atteindre par ces attaques anti-féministes rabâchées de génération en génération. En les renvoyant d’où elles viennent : des tréfonds de l’histoire.

La lutte pour les droits de femmes n’est pas encore au bout de ses peines et se heurtera toujours à des volontés contraires. C’est en persévérant pour un monde plus juste et digne pour l’ensemble des êtres que l’on parvient à triompher à terme. A l’heure d’un backlash généralisé, il demeure d’autant plus important de rester mobilisé et de ne pas laisser l’anti-féminisme se populariser comme une mode. Le féminisme n’est pas un gros mot, mais une grande cause.

– S. Barret

 

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