L’Union Européenne et la crise ukrainienne : la peine par neuf


Après le clash à la Maison Blanche entre Trump et Zelensky le 28 février, l’ensemble des leaders de l’Union Européenne, des principaux États-membres, et du Royaume-Uni s’est précipité à proclamer un support de l’Europe à l’Ukraine quel qu’en soit le coût. De la part de leaders de pays désargentés, déjà endettés au-delà du raisonnable, avec des économies stagnantes et des populations générales ayant de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, est-ce une réaction bien raisonnable ?

Ce d’autant que les européens ne disposent ni de stocks militaires, ni de capacités de production, ni d’armées à capacité adaptée à un conflit intense face à la Russie. Ce qui reste d’armée en Europe de l’Ouest après les « dividendes » de la fin de la guerre froide, n’est-ce pas d’abord quelques forces spéciales et une capacité de projection outre-mer pour des conflits face à des adversaires mal équipés ? N’est-il pas admis que la France, par exemple, n’est capable en Europe que de défendre moins de 100 kilomètres de front pendant une semaine, voire, selon certains analystes, pas plus de deux jours ? 

Avec le soutien à l’Ukraine, l’Europe s’est infligée à elle-même une multi-peine en suivant la voie proposée via l’OTAN par les États-Unis de Biden. Et ce sans se référer aux intérêts propres de l’Europe à court comme à long terme, ni réfléchir aux divers scénarios de sortie : tout s’est passé comme s’il était évident que l’Ukraine, soutenue par l’OTAN, allait gagner, ce qui pourtant était douteux dès le début, et de plus en plus improbable au fil du temps. Aucun plan B au cas où la Russie écraserait lentement, mais sûrement l’Ukraine sur le terrain militaire, ou bien si Trump était élu. Or le réel, c’est la conjonction de ces deux scénarios, chacun à l’évidence ignoré. Et ce sont les deux grandes puissances impliquées dans la crise ukrainienne qui sont en voie de résoudre leur différend global hors présence européenne. Du coup, avant de céder à la tentation de poursuivre l’aventure d’un soutien en solo aussi inconditionnel qu’aveugle au régime de Kiev, voici la ‘peine par neuf’ que représente pour l’Europe cette folie pure et simple.

  1. Les mesures du boycott unilatéral économique et financier de la Russie (et de la Biélorussie) mises en place visaient, selon la formule de Bruno Le Maire en février 2022, à « provoquer l’effondrement de l’économie russe » ; elles se sont traduites par un renoncement à des marchés d’expansion européenne naturelle où les entreprises bénéficiaient de parts de marchés fortes et de filiales puissantes patiemment construites depuis des décennies. Ces renoncements entraînent des pertes d’activité économique en Europe, et des pertes financières pour ses entreprises, et les investisseurs concernés par le défaut de l’Ukraine sur sa dette mi-2024. À l’opposé, l’économie russe connait une croissance enviable vu d’une Europe stagnante et devenant surendettée.
  2. La volonté de briser l’économie russe s’est traduite par la décision européenne de réduire ses approvisionnements bon marché en pétrole et gaz russes, facteur clef de la compétitivité de l’appareil productif européen, depuis l’agriculture jusqu’à l’industrie, et du bas cout de l’énergie pour les ménages. Les actions volontaires de réduction des approvisionnements, accentuées par l’explosion de Nord Stream, ont été compensées par des approvisionnements bien plus coûteux, notamment auprès des États-Unis, ravis de fournir à leurs conditions leur gaz de schiste, hier si décrié en Europe. Les entreprises sont incapables d’absorber ces surcouts ; les grandes entreprises peuvent certes délocaliser en Asie ou en Amérique, mais on aboutit à une casse de l’outil industriel européen ; et les ménages perdent encore en pouvoir d’achat.
  3. La saisie des avoirs russes, 300 milliards d’euros, dont plus de 200 de la banque centrale, déposés en Union Européenne, puis les projets – partiellement mis en œuvre – d’utiliser ces avoirs pour financer les besoins de l’Ukraine, ont créé une suspicion au sein de l’ensemble des investisseurs internationaux ; en droit, hors temps de guerre, ils relèvent, en effet du vol caractérisé d’avoirs souverains : la perte du capital confiance dont bénéficiaient l’Europe et l’euro durera sans doute longtemps. Or l’Europe, avec sa pauvreté en énergie et ses déficits publics, a besoin de l’épargne mondiale pour financer ces déficits.
  4. Les européens ont déjà consacré € 135 milliards au soutien à l’Ukraine, qu’il s’agisse d’armements (€ 48 milliards) ou d’aide civile à un pays qui a perdu une large part de sa substance et dont l’économie s’effondre année après année. Une large part s’est perdue dans les méandres de la corruption. Après avoir donné des armements plus ou moins anciens en stock, les européens ont dû lancer des commandes, le plus souvent aux États-Unis, aux prix élevés qui caractérisent les armements US. Ils ont dû limiter leurs dépenses internes, réaliser des arbitrages budgétaires préjudiciables à leurs populations pour procéder aux transferts financiers vers l’Ukraine.
  5. Après avoir supporté la majorité des efforts, les États-Unis – l’administration Biden, et plus encore maintenant celle de Trump – exigent maintenant que l’Europe augmente sa part d’un effort appelé de plus à s’accroître. Le taux de 5 % du PNB consacré aux dépenses militaires, recommandé par le secrétaire de l’OTAN, signifie plus qu’un doublement. Or les économies européennes sont stagnantes avec un endettement public croissant sans cesse ; l’OTAN conseille de prendre sur les dépenses sociales, notamment les retraites. Où vont aller les chiffres maintenant que les États-Unis demandent aux européens d’assumer, seuls et sans le parapluie de l’OTAN, le cout de la sécurité de l’Ukraine, et d’ailleurs prévoient de retirer une bonne part de leurs troupes aujourd’hui stationnées en Europe, notamment celle de l’Est, voire de quitter l’OTAN ?
  6. L’Ukraine a une infrastructure et une économie largement détruites, une population réduite, un nombre de soldats devenus infirmes considérable. Qui va payer la reconstruction d’un pays en faillite qui se chiffre en centaines de milliards ? Sans doute pas la Russie, qui s’emploiera à reconstruire ses nouveaux oblasts comme elle l’a déjà fait à Marioupol ; sans doute pas les États-Unis, qui songent plutôt à se faire rembourser leurs coûts, $ 350 milliards, sous forme de prélèvements sur les ressources naturelles locales. De plus, selon certains analystes, les ‘brits’ se seraient assurés l’accès à ces ressources ukrainiennes avec l’accord de sécurité de cent ans signé mi-janvier dernier quelques jours avant l’inauguration de Trump. Qui alors resterait-il pour payer, à part l’Union Européenne ?
  7. L’UE joue un rôle clef dans l’engagement des États-membres au côté de l’Ukraine ; cet engagement total, expliqué à la population par des raisonnements sommaires et une diabolisation de la Russie et de son président, contribue à saper l’image de la construction et de la gouvernance européennes aux yeux de la population : l’Europe, ce n’est plus la paix !
  8. L’Europe s’est alignée sur les États-Unis de Biden, en vassal zélé et fier de l’être, pour un soutien total à un régime corrompu, contrôlé par les cercles ‘nationalistes-intégraux’ à l’idéologie proche du fascisme et du nazisme, et chaque jour plus éloigné de la démocratie (interdiction des partis politiques, de l’église orthodoxe ; président qui demeure en place « sans titre » malgré les dispositions de la constitution). Le comportement docile et soumis (vis-à-vis des USA de Biden) et va-t-en-guerre (vis-à-vis de la Russie) des dirigeants de l’UE et de nombreux pays : Royaume-Uni, France, Pologne, pays baltes et nordiques, et même l’Allemagne (bientôt dirigée par un ex-dirigeant de Blackrock, un gros investisseur en Ukraine), a sapé l’image de l’Europe sur la scène mondiale.
  9. Comme sur le Covid, la liberté de penser a été mise à la peine en Europe sur l’Ukraine, avec un monopole accordé par les media classiques aux « bien-pensants » ; cette tendance s’est accentuée avec la mise à l’index des forces politiques non alignées, et la tentation d’intervention extérieure lorsqu’un résultat d’élection nationale ne convient pas ; en témoigne l’annulation en Roumanie du second tour de l’élection présidentielle locale que s’apprêtait à remporter un adversaire de la ligne européenne sur l’Ukraine, et l’annonce de l’opportunité d’une autre intervention « en cas de besoin » en Allemagne le 22 février. Le discours du vice-président étasunien à Munich faisant le triste constat d’une trahison par l’Europe des valeurs de démocratie et de liberté d’expression, d’une peur des dirigeants vis-à-vis de leurs populations, et d’une divergence de valeur entre les deux rives de l’Atlantique devrait, malgré sa composante d’hypocrisie, faire réfléchir en Europe !

La pente actuelle suivie par les dirigeants européens d’une poursuite du soutien aux dirigeants ukrainiens mène à la rupture avec les États-Unis, à la disparition de l’OTAN, au maintien d’un conflit aussi inégal qu’irréaliste avec la Russie, à un réarmement au long cours de l’Europe (dix ans pour rebâtir une industrie et une capacité de Défense ?) pour se mettre à niveau de la menace russe perçue et à une paupérisation des populations. Elle tendrait aussi à une accentuation des divergences entre États-membres et in fine à un éclatement de l’UE.

Cette voie suicidaire nécessite une alternative, aujourd’hui impensable… pour les cercles dirigeants qui ont mené là leurs pays. 

 

Documentation :

Dépenses pour l’Ukraine de l’Union Européenne – 135 milliards depuis 2022 : Solidarité de l’UE avec l’Ukraine – Consilium

Dépenses pour l’Ukraine des États-Unis : – How much aid has the US given to Ukraine ? – Full Fact Les US auraient dépensé $ 200 milliards de plus que l’Europe selon Trump 

Les nationalistes intégraux intégraux Qui sont les nationalistes intégraux ukrainiens ?, par Thierry Meyssan

Free speech – discours du VP Vance à Munich : Full Speech: JD Vance Shames Europe Leaders To Their Faces, Leaves Room Stunned| Munich| USA| Trump





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