Livres, podcasts, revue… La sélection féministe de Reporterre


ESSAIS

Cultiver l’appartenance

C’est un livre précieux et intime que nous livre ici la penseuse féministe et afro-américaine bell hooks [1]. Elle y mêle considérations écologiques et lutte contre le racisme, soin de la Terre et de tous ceux et celles qu’elle porte. Si les communautés noires ont tenu face à l’adversité, à la violence de la ségrégation, et à l’esclavage, c’est aussi, dit-elle, grâce à l’attachement qu’elles avaient avec le vivant. L’intellectuelle fait le lien entre « l’autoguérison noire et l’écologie », l’agroécologie et l’autonomie matérielle des populations issues de l’esclavage. Elle invite à une « culture de l’appartenance », c’est-à-dire un lien charnel avec le territoire auquel on appartient, une relation empathique avec les animaux, de la retenue, un rapport vigilant à la préservation, de l’égalitarisme, de la réciprocité et de la gaieté, pour que la vie humaine conserve son sens et sa dignité. G.d’A

Cultiver l’appartenance, de bell hooks, éditions Cambourakis, octobre 2023, 320 pages, 24 euros.

Pour en finir avec la famille

L’autrice féministe germano-britannique Sophie Lewis le dit d’emblée : proposer d’abolir la famille n’est pas une mince affaire, tant nombre d’entre nous y sommes attachés. Elle ne nie pas notre désir collectif d’amour et d’attention, mais explique avec rigueur (et humour) comment la structure familiale ne peut y répondre. Parce qu’elle induit une privatisation du soin, parce qu’elle repose sur des concepts « propriétaires »« de couple, de sang, de gènes » —, la famille ne peut en aucun cas nous mener à une libération collective, à l’heure où les plus vulnérables sont attaqués de toutes parts.

Cela devrait donc « être le b.a.-ba du socialisme (et non une excentricité marginale de quelques queers [2] d’ultragauche) que de chercher à atteindre un régime de cohabitation et de collectivisation de l’alimentation, des loisirs, des soins aux personnes âgées et de l’éducation des enfants ». Sophie Lewis se base pour cela sur des penseurs allant de Charles Fourier à la révolutionnaire russe Alexandra Kollontaï en passant par la féministe radicale étasunienne Shulamith Firestone et sur de multiples récits de luttes vivantes — féministes, queers, noires, autochtones… Car l’abolitionnisme de la famille n’est pas et ne peut rester une théorie. Alors, vive la camaraderie et « d’autres mots qui n’ont pas encore été inventés ». E.B.

Pour en finir avec la famille — Abolir, prendre soin, s’émanciper, de Sophie Lewis, éditions Hystériques & AssociéEs, janvier 2025, 192 pages, 15 euros.

Endométriose : reprendre le pouvoir

Une personne menstruée sur dix est atteinte d’endométriose. Comment expliquer que cette maladie si douloureuse soit encore traitée par le mépris — il faut sept à dix ans pour obtenir un diagnostic et il n’existe aucun traitement réellement satisfaisant ? Dans cet ouvrage très documenté et légitimement énervé, la psychanalyste Marie-Éloïse Basso démontre que cette pathologie est aggravée par le patriarcat, le validisme et le capitalisme. Et appelle à se saisir collectivement de ce problème de santé publique majeur en se plaçant toujours du côté des personnes qui souffrent. E.M.

Endométriose : reprendre le pouvoir, de Marie-Éloïse Basso, éditions du Détour, janvier 2025, 240 pages, 20,90 euros.

Tu seras carnivore, mon fils

« À la table du patriarcat, les femmes sont du gibier. » Dans ce petit livre acéré mêlant références féministes, pop culture et analyse de l’actualité, la journaliste Amanda Castillo réactualise la thèse écoféministe selon laquelle la domination masculine s’exerce de la même manière sur les femmes et les animaux. Aujourd’hui encore, la virilité se construit sur le fait de manger son steak saignant et de « chasser la bonne meuf », et animalise les femmes pour mieux les violenter. Un constat accablant, qui amène un nombre croissant de femmes à déserter leurs cages et à aider les animaux à faire de même. E.M.

Tu seras carnivore, mon fils, d’Amanda Castillo, éditions Textuel, mars 2025, 160 pages, 17,90 euros.

Laisse pas traîner ton fils

En France, une famille sur quatre est monoparentale. Dans 82 % des cas, c’est la mère qui a la garde exclusive des enfants. Rien d’extraordinaire donc dans cette situation de mère isolée ; pourtant, ces femmes sont au mieux ignorées et infantilisées, au pire méprisées et criminalisées quand elles sont noires et maghrébines, pauvres et habitantes de quartiers populaires. Dans cette enquête de deux ans mêlée de récit personnel, le journaliste Selim Derkaoui leur rend hommage en dénonçant toutes les injustices et maltraitances du système raciste et patriarcal auxquelles elles font face et en brossant les portraits magnifiques de mères en lutte pour leurs droits. E.M.

Laisse pas traîner ton fils — Comment l’État criminalise les mères seules, de Selim Derkaoui, éditions Les Liens qui libèrent, mars 2025, 272 pages, 20 euros.

4,1 — Le scandale des accouchements en France

Le taux de mortalité infantile a explosé ces dernières années en France pour atteindre 4,1 décès pour 1 000 naissances — un chiffre tragique qui place notre pays à la 23e place européenne, entre la Pologne et la Bulgarie et à égalité avec la Croatie. Cette enquête journalistique met en lumière les multiples dysfonctionnements à l’origine de ces drames : démantèlement des petites maternités, « usines à bébés » au bord de la saturation, prématurés négligés, groupes privés prédateurs et praticiens mercenaires, État démissionnaire. Un livre nécessaire qui devrait appeler à un sursaut politique. E.M.

4,1 — Le scandale des accouchements en France, d’Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, éditions Buchet Chastel, mars 2025, 208 pages, 21 euros.

Non-noyées

« Nos parentes mammifères marines ont développé d’incroyables savoirs pour apprendre à ne pas se noyer. Je fais donc appel à elles comme institutrices, comme mentors, comme guides. » Dans ce « manuel de dénoyade » la poétesse étasunienne queer Alexis Pauline Gumbs nous propose de retrouver du souffle dans « l’étau du capitalisme racial, sexiste et fonctionnaliste » en nous inspirant de nos sœurs sous-marines. Il en résulte dix-neuf leçons poétiques et politiques — écouter comme les dauphins d’eau douce rendues aveugles par le tumulte boueux des fleuves, être féroce comme la baleine tropicale qui a avalé puis recraché un guide touristique sud-africain… — tour à tour apaisantes comme un bain chaud et réjouissantes comme des sauts dans les vagues. À déguster à petites gorgées et à partager sans compter ! E.M.

Non-noyées — Leçons féministes Noires apprises auprès des mammifères marines, d’Alexis Pauline Gumbs (texte) et Maya Mihindou (dessins), éd. Burn-Août et Les liens qui libèrent, novembre 2024, 272 pages, 19 euros.

Carnavale-toi !

Depuis sa naissance, Carnaval renverse l’ordre du monde, appelle au renouvellement. Lors des Saturnales romaines, maîtres et esclaves pouvaient manger à la même table en souvenir de l’âge d’or où l’esclavage n’existait pas. Et si, aujourd’hui, nous devenions des « carnavaliers enragé.es qui dé-rangent et dégenrent le monde qui les entoure », pour « accoucher d’un monde social nouveau, toujours plus bariolé, plus égalitaire » ?

 

Les Reines Pédauques, du nom d’une célèbre reine toulousaine à pied d’oie, vous détaillent pourquoi, comment, où, de manière à la fois fort avertie et ultrajubilatrice, avec langue et dessins « hors contrôle ». Leur lecture vous grisera de « carnavaline (cette hormone imaginaire proche de la sérotonine) », prêt pour une révolution à la fois créative et politique. C.M.

 

Carnavale-toi ! Petit guide d’émancipation féminine carnavalesque, Les Reines Pédauques, aux éditions Cambourakis, février 2025, 144 pages, 18 euros.

ROMAN

La Révolution par les femmes

 

D’un réalisme fantasque étonnant, ce roman se passe dans « un temps qui pourrait être aujourd’hui » — avançait l’autrice le 13 janvier dernier à la Maison de la poésie, à Paris — et dans un lieu appelé le Blockhaus. Là, violence économique et violence sexuelle s’enchevêtrent, mais la résistance des femmes s’affermit, notamment lors de formations antiviol pour se déprendre de leurs « stratégies de dissociation de soi ».

 

On ne sait ce qu’on aime le plus dans ce roman poignant, l’écriture rapide, pullulante de sensations, la subtilité des portraits, ou cette autopsie sans complaisance de la violence ordinaire… qui peut aussi venir des autres femmes : Angèle, « sa mère était exactement ainsi. Elle avait toujours préféré son couillon de frère qui était devenu vétérinaire ». C.M.

La Révolution par les femmes, de Corinne Aguzou, éditions Tristram, republication janvier 2025, 183 pages, 19 euros.

LIVRE JEUNESSE

Filles, femmes, liberté

Ce bel album invite les plus jeunes à faire le tour de la planète des luttes de femmes qui ont fait avancer les droits à l’égalité, au respect et à la liberté.

Filles, femmes, liberté — Elles ont fait changer le monde, par Rebecca June et Ximo Abadia‍, aux éditions Rue du monde, dès 9 ans, juin 2024, 64 p., 19,50 euros.

REVUE

La Déferlante

L’excellente revue trimestrielle féministe La Déferlante donne à voir dans son dernier numéro un panorama du travail au féminin. Outre un état des lieux complet des inégalités femmes-hommes en matière de salaires (les Françaises gagnent encore 23,5 % de moins que les Français) et de conditions de travail (plus d’une sur quatre travaille à temps partiel), il propose des reportages sur les travailleuses les plus invisibilisées : travailleuses du sexe, femmes voilées, ouvrières de l’agroalimentaire, agricultrices, assistantes maternelles. Le long article consacré à l’histoire des débats autour de la rémunération du travail domestique et reproductif est passionnant, et celui sur la grève féministe jubilatoire. Un numéro parfait à lire le 8 mars, qui donne du cœur à l’ouvrage féministe ! E.M.

La Déferlante Dossier « Travailler. À la conquête de l’égalité » n° 17, février 2025, 128 pages, 19 euros.

FILM

Bonjour l’asile

Peut-on rire de la charge mentale des femmes dans les couples hétérosexuels ? Des amitiés féminines qui s’étiolent après la naissance d’enfants ? De la destruction du monde ? Judith Davis, elle, y arrive magistralement.

Dans Bonjour l’asile, la réalisatrice et comédienne nous embarque dans un voyage hilarant en Bretagne, au cœur d’un ancien hôpital psychiatrique transformé en tiers-lieu écolo qui accueille des personnes en marge de la société. Plusieurs personnages — une citadine militante accro à son boulot associatif, une illustratrice qui croule sous les tâches ménagères à cause de son compagnon nul ou encore un promoteur immobilier qui prône le « slow tourisme décarboné » — gravitent autour de ce lieu pendant plusieurs jours, pour y trouver des réponses sur eux-mêmes.

Loin d’être une caricature d’écolos à la Problemos, le film est bourré de scènes d’autodérision hyperréalistes de protagonistes expérimentant une autre façon de vivre. On regrette que les personnages principaux soient tous issus de milieux privilégiés — ce qui n’est pas le cas des personnages secondaires, très intéressants aussi — mais que ça fait du bien de rire (même jaune) sur soi et le monde en cette période. J.G-B.

Bonjour l’asile, réalisé par Judith Davis avec Claire Dumas. Agat Films – Ex Nihilo, 2024, 109 min. En salles actuellement.

PODCASTS

Hildegarde de Bingen, génie cosmique

C’est un podcast à écouter blottie sur son canapé, comme on sirote une bonne tisane. Hildegarde était une abbesse, artiste et visionnaire du 11e siècle. Passionnée de sciences, elle deviendra aussi guérisseuse, s’intéressera aux maux féminins et à la sexualité. Elle est devenue (malgré elle) un symbole de sororité et de respect de la nature. France Culture lui a consacré une « grande traversée » de cinq heures, passionnante et sensible. L.L.

Mai 68 : la révolution des berceaux

Nous sommes en 1968. Françoise Lenoble-Prédine a 27 ans, elle est institutrice et élève seule ses deux enfants dans un HLM de Bondy, en banlieue parisienne. Dans ce podcast de France Culture, grâce à son témoignage, on découvre un pan méconnu de Mai 68 : la crèche « sauvage » organisée à l’université de la Sorbonne, dont elle était la « responsable ». Une cinquantaine d’enfants y ont été accueillis, jour et nuit, pendant deux mois dans cinq bureaux occupés, qui faisaient office de cuisine, nurserie, dortoir, bibliothèque… Françoise en rigole encore quand elle raconte comment elle est sortie en pleine attaque de CRS pour faire entrer des marionnettistes qu’elle avait invités. Nous voilà plongés au cœur de ce refuge, une utopie en action où le soin des enfants est partagé, entre les babillements des petits et le bruit des affrontements. Un témoignage précieux, parce qu’il met la lumière sur un aspect oublié de la lutte, et parce qu’il peut inspirer nos combats d’aujourd’hui. E.B.

Mai 68 : la révolution des berceaux, Frictions, 27 minutes.

DOCUMENTAIRE

« Le deuxième sexe », sur les traces de Simone de Beauvoir

C’est lors d’un voyage aux États-Unis que Simone de Beauvoir, l’autrice du Deuxième Sexe (1949), s’est mise à « regarder les femmes d’un œil neuf », et à s’étonner : pourquoi restaient-elles si discrètes dans leurs conversations avec des hommes ? Pourquoi, dans la rue, si peu d’Étasuniennes étaient-elles vêtues en sportive, avec chaussures plates, comme elle s’y attendait ?

À travers entretiens et images d’archives, on redécouvre le cheminement de pensée de cette audacieuse analyste de la fabrication sociale du « sexe faible », et son sentiment, peu connu, que l’homme fait avec la femme comme il fait avec la terre.

Les conversations avec des féministes contemporaines (Judith Butler, Laure Murat, Silvia Federici…) éclairent à la fois les développements contemporains de sa pensée, à travers le genre notamment, ses limites, et ses prolongements jusqu’à l’écoféminisme. C.M.

« Le deuxième sexe », sur les traces de Simone de Beauvoir, de Nathalie Masduraud et Valérie Urrea, disponible sur Arte replay jusqu’au 7 octobre 2025. 93 min.

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