les vérités sacrifiées de Madame Defranoux


Ouïghours, Histoire d’un peuple sacrifié s’appelle le livre de Laurence Defranoux (Éditions Tallendier, 2022 et 2025) qui a pour ambition de corroborer et d’établir une fois pour toutes le récit occidental du « génocide ouïghour » perpétré par le « régime communiste chinois ». Je l’ai lu attentivement, et ce qui va suivre (en plusieurs étapes), ce sont les remarques et réflexions que cette lecture m’a inspirées.

(I) Les défenseurs des « droits humains » à géométrie variable au service de l’empire US

Qui est-ce qui nous parle dans ce livre de 378 pages (dans son édition de 2025), et quel est le point de vue à partir duquel le livre nous interpelle ? Quels sont les intérêts qu’il sert et quels sont les buts qu’il poursuit ?

Un premier élément de réponse nous est donné par le nom qui apparaît sur la page de couverture à côté de celui de l’autrice. Car pour promouvoir son livre et chanter ses louanges, Laurence Defranoux a eu recours à un homme politique qui jouit des faveurs de bon nombre de Français (après avoir été chéri par les médias des milliardaires) : l’inénarrable Raphaël Glucksmann.

La préface du livre est sortie de sa plume, et c’est donc ce représentant de la fausse « gauche » atlantiste et néolibérale qui donne le la à tout ce qu’écrit Laurence Defranoux dans son livre-pamphlet, c’est-à-dire à ses anecdotes, ses racontars, ses allégations, ses bouffées de haine et ses folles diatribes antichinoises.

Parlons donc d’abord de cette préface et de son auteur. Glucksmann y délire sur la « tyrannie de Xi Jinping », sur « la déportation du peuple ouïghour » et sur « la nuit dans laquelle un peuple, sa culture et son histoire étaient appelés à disparaître ». Il s’enorgueillit de « trois années de campagne permanente » contre la « dictature » chinoise et encense Laurence Defranoux qu’il place sur le même piédestal que « les chercheurs comme l’Allemand Adrian Zenz ». (1)


Glucksmann en compagnie de l’écolo belge Cogolati derrière une pancarte mensongère aux couleurs du « Turkestan oriental ». Au milieu, la tête de Dilnur Reyhan. [Note du Grand Soir : Dilnur Reyhan, chef de file des antichinois en France a brandi la menace d’un procès contre Maxime Vivas et a réussi à obliger « Livres Hebdo » à retirer un article trop neutre sur lui. Remarquons aussi, au deuxième rang, la député Clémentine Autain qui revendique là, sous une pluie de drapeaux du « Turkestan oriental », la création d’un Etat théocratiqu à la place du Xinjiang].

Le parcours d’un « social-démocrate » néolibéral au service de l’empire

Rappelons au lecteur moins averti qui est ce personnage qui se sent plus chez lui « à New York et à Berlin » qu’« en Picardie ». Raphaël Glucksmann, à part d’être le fils de son père « philosophe », a un passé…

 de conseiller spécial du criminel Mikheil Saakachvili (ex-président géorgien mis derrière les barreaux par la justice de son pays) ;

 de mari d’Eka Zgouladze, membre de gouvernements de droite pro-américains aussi bien dans sa Géorgie natale qu’en Ukraine (!) et « arrêtée à l’aéroport de Borispol alors qu’elle tentait de sortir 4 millions de dollars » d’Ukraine en direction de la France (2) ;

 de collaborateur à la revue La Règle du Jeu fondée par Bernard Henri-Lévy ;

 de membre du Cercle de l’Oratoire, « un cercle de réflexion fondé par différentes sensibilités pro-américaines en France », et de contributeur à « sa revue néoconservatrice Le Meilleur des Mondes » (3) ;

 de partisan du candidat Sarkozy (l’ancien président français surnommé « l’Américain » (4) lequel porte aujourd’hui un bracelet électronique en complément de sa fameuse Rolex) aux élections présidentielles de 2007 ;

 de candidat pour les législatives de 2007 sur la liste proposée par Alternative libérale (parti éphémère classé « divers droite »), à côté d’une certaine « Sabine Herold, surnommée « Mademoiselle Thatcher » par la presse » (5).

Soulignons encore …

 qu’il s’est rendu « à Kiev dès le début des manifestations d’Euromaïdan », à l’instar de John McCain et de Victoria Nuland, puis a écrit des discours et développe des « contacts en Europe et aux États-Unis » pour le compte de « l’ex-boxeur et politicien Vitali Klitschko » qui, entre parenthèses, « a longtemps vécu en Allemagne » et « a gardé la double nationalité » ukrainienne et allemande (6) ;

 qu’en raison de ses activités de « changement de régime » en Géorgie et en Ukraine, la « rumeur d’un lien avec la CIA » courait depuis 2008 et s’amplifiait en 2024, relayée aussi bien par la gauche radicale que par des souverainistes de gauche et de droite, dont François Asselineau (7) ;

 qu’il est un farouche va-t-en-guerre qui voudrait, pour combattre la Russie, que la France passe « totalement » en « économie de guerre » (8) et qui appelle « les dirigeants européens à emprunter 500 milliards d’euros pour financer la défense européenne » (avec toutes les conséquences sociales (9) et sociétales que cela impliquerait) (10) ;

 qu’en « mars 2024, il refuse l’emploi du terme ‘génocide’ à l’endroit de la population palestinienne dans la guerre d’Israël sur Gaza et l’explique en déclarant avoir un ‘emploi extrêmement précautionneux (sic !) du terme’ » (11) ;

 qu’il vote « contre les amendements condamnant les exactions d’Israël à Gaza lors d’une résolution du Parlement européen du 19 octobre 2023 » : les amendements Nos 51 et 52 (qui reconnaissent « que les attaques israéliennes à la date du 8 octobre, “dans des zones densément peuplées de la bande de Gaza, ont causé la mort de plus de 2 800 personnes, dont 750 enfants, que le nombre de victimes devrait encore augmenter de manière catastrophique” et que cela constitue des “crimes de guerre” »), l’amendement No 53 (qui « impliquait la reconnaissance, selon les mots du Secrétaire général de l’ONU, du fait que les violences ne sont pas “survenues dans le vide” mais sont “le fruit d’un conflit de longue date et d’une occupation qui dure depuis 56 ans »), ainsi que « l’amendement No 61 (« demandant la “libération immédiate des 5 200 prisonniers politiques palestiniens détenus dans des prisons israéliennes, à commencer par les 170 enfants placés en détention par Israël” »). (12)

C’est donc ce personnage que Laurence Defranoux tient à remercier à la fin de son livre, en écrivant : « Merci à Raphaël, qui a accepté d’ajouter à ce récit (sic !) ses mots et ses idées justes et percutants. » (13)

Voyons donc un peu, avant de nous pencher sur son « récit », quelles sont les « idées justes » en matière de politique mondiale que Madame Defranoux articule à son tour, « idées justes » qui l’ont motivée à rédiger son livre.

Le monde selon Defranoux

Aux yeux de la journaliste de Libé, la Chine « a pour ambition d’étendre » son influence « sur l’Asie centrale, mais aussi sur l’Europe et le reste du monde », et ceci pour, « à terme, confisquer (sic !) aux États -Unis le leadership mondial. » (14)

Ce « leadership » (le franglais de Madame va à merveille avec ses convictions politiques) revient de droit aux USA, tout naturellement, n’est-ce pas, avec leurs 4,22% des habitants de la planète ? Pour Defranoux, c’est une évidence. Elle omet cependant d’indiquer si, à ses yeux, c’est par la grâce divine, à cause de la suprématie de la race blanche ou juste à cause de l’évidente supériorité du système politique US, cette ploutocratie qui porte régulièrement au pouvoir des zombies comme « Sleepy Joe », de médiocres acteurs hollywoodiens comme Ronald Reagan, des voyous comme « Tricky Dicky » Nixon ou des génies du genre George W. ou « le Donald ».

De ce point de vue, qui est d’une objectivité hallucinante et qui n’a aucunement besoin d’être corroboré, les « Nouvelles Routes de la soie » deviennent « une hydre à la conquête du monde ». (15) Les quelque 150 pays qui s’y sont associés sont les victimes de leurs dirigeants avides et stupides qui n’ont pu résister à une « opération » chinoise de « corruption des élites autour de la planète » (16).

Le « rêve chinois » qui est en fait le rêve, partagé par 1,4 milliards de Chinois, de voir renaître leur pays en tant que pays prospère, souverain et puissant (ce qu’il fut pendant la majeure partie de son histoire millénaire, sans toutefois jamais coloniser la planète) est calomnié et diffamé. Son « but ultime » (17) serait la « suprématie mondiale » (18) de la Chine à l’instar de celle pratiquée par les États-Unis ou, jadis, par l’empire britannique.

On pourrait supposer que les diatribes de la journaliste ont pour seule cause son hostilité à l’égard du « régime communiste » chinois, mais on s’aperçoit très vite que sa haine de la Chine et des Chinois ne se limite nullement à l’époque que nous vivons. Ainsi, elle voit d’un très mauvais œil la notion de « siècle des humiliations » que les Chinois utilisent pour décrire et résumer l’époque « de 1839 à 1949 », marquée par la défaite de la Chine « durant les deux ‘guerres de l’opium’, la signature des ‘traités inégaux’, l’invasion russe de la Mandchourie, l’écrasement de la révolte des Boxers par les Occidentaux, et les invasions japonaises. » Laurence Defranoux voit dans cette expression le signe d’un « nationalisme » répréhensible et une indication du fait que les Chinois voudraient « se venger ». (19)


« En Chine, le gâteau des Rois et… des Empereurs » (Le Petit Journal, 16 janvier 1898).« En Chine, le gâteau des Rois et… des Empereurs » (Le Petit Journal, 16 janvier 1898).

Par exemple en annexant (!) l’île chinoise de « Taïwan, ce pays moderne et prospère » (20) où s’est réfugié en 1949 ce qui restait de la « Chine nationaliste ». Un « nationalisme » sympathique celui-là, puisque pro-américain.

Le « nationalisme » agressif de la RPC et ceux qui l’ignorent

C’est d’ailleurs dans ce contexte que Defranoux s’en prend aux « ignorants » occidentaux qui « répètent que ‘Taïwan est une province inaliénable’, alors que l’île n’a jamais appartenu à la République populaire de Chine » et « qu’elle est un État indépendant ». (21) Et de citer nommément « l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin » qui a osé opiner, « en décembre 2012 », que la Chine est un « facteur d’équilibre, d’harmonie et de stabilité dans le monde » (22) tandis que, pour Madame Defranoux, « un budget militaire qui augmente chaque année de plus de 10% » prouve que la « renaissance pacifique » de la Chine n’est qu’un « conte de fées ». (23)

Pourtant, Defranoux omet de mentionner que « la somme allouée à la défense chinoise reste trois fois inférieure à celle du budget américain » (24)

10% d’augmentation du budget de défense chinois ? Ici, ironie, c’est la journaliste de Libération qui laisse apparaitre son ignorance abyssale (et le peu de soin qu’elle apporte à ses recherches), surtout qu’elle cite, pour illustrer la dangerosité de l’équipement militaire chinois, le « réarmement d’un porte-avions » acheté à l’Ukraine (elle veut sans doute parler du Liaoning). Se pourrait-il que les deux autres porte-avions modernes de la marine chinoise, le Shandong (en service actif depuis décembre 2019) et le Fujian, entièrement conçu et construit en Chine (25), aient échappé aux yeux vigilants de cette éminente « spécialiste de la Chine » ?


Les chiffres des dépenses militaires mondiales fournis par l’institut suédois de renommée mondiale SIPRI (26) indiquent que celles de la Chine (+ 26% entre 2020 et 2022) ont augmenté un peu plus vite que celles des États-Unis (+ 22%), mais pas plus que celles du Royaume-Uni et beaucoup moins que celles de l’Inde, par exemple.

À propos de Taïwan, je ne peux m’empêcher de citer un autre membre de la bande « d’ignorants ou faisant semblant de l’être » (27) mise au pilori par Madame Defranoux. Il s’agit en l’occurrence de Richard Cullen, professeur de droit à l’Université de Hong Kong. (28) Dans un article du 28 juin 2023 intitulé « La vérité cachée sur la véritable situation juridique de Taïwan » (29), le professeur Cullen souligne : « « La présentation quotidienne de Taïwan par les médias occidentaux comme s’agissant d’une nation fonctionnellement indépendante sur le point d’être ‘envahie’ par la Chine va à l’encontre des faits réels, tels que spécifiés par des accords mondiaux reconnus et codifiés par les peuples des deux côtés du détroit. » Il continue en expliquant que si la Constitution de la République populaire de Chine précise que « la Chine continentale et Taïwan ne forment qu’un seul pays », elle n’est pas seule : « Il en va de même pour le document constitutionnel de Taïwan » qui « précise ÉGALEMENT que les deux entités constituent un seul et même pays indivisible ». C’est pour cette raison que Taïwan porte toujours le nom officiel de « République de Chine ». Quand les journalistes occidentaux « mentionnent à juste titre que certains pays (193) soutiennent légalement la Chine tandis que d’autres (13) soutiennent légalement Taïwan » (les gouvernements de ceux-ci représentent moins de 0,5% de la population mondiale), ils « omettent le fait essentiel que les deux groupes de pays (il faut lire les petits caractères !) soutiennent légalement le principe selon lequel la Chine continentale et Taïwan ne forment qu’un seul pays. »


Les États qui maintiennent des relations diplomatiques avec Taïwan (la « République de Chine ») (30)

D’ailleurs, pour revenir au « nationalisme » que Defranoux reproche au Parti communiste et au gouvernement de la RPC : « La ‘ligne des neuf tirets’ de la Chine, en vertu de laquelle le pays revendique une grande partie de la mer de Chine méridionale, est en réalité une version réduite de la ‘ligne des onze tirets’ de Taïwan que Taïwan continue d’appliquer aux mêmes eaux. » (31)

(à suivre)

Albert ETTINGER, le 8 mars 2025

Albert Ettinger (Dr. phil.) a été professeur de l’Enseignement secondaire et supérieur luxembourgeois.

Il a travaillé comme assistant à l’Université de Trèves (Trier) en Allemagne. Au Luxembourg, il fut e.a. professeur à l’ISERP – Institut supérieur d’études et de recherches pédagogiques – et membre de la Commission d’examen du concours de recrutement pour les professeurs d’allemand.

Depuis une quinzaine d’années, Albert Ettinger effectue des recherches et écrit sur la Chine.

Notes :

1) Laurence Defranoux, Ouïghours, Histoire d’un peuple sacrifié, Paris, 2025, préface, p. 9-11

2) https://eadaily.com/en/news/2015/12/14/guest-corruption-fighter-eka-zguladze-caught-attempting-to-take-4mn-out-of-ukraine

3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapha%C3%ABl_Glucksmann

4) http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/523-la-chine-dans-le-collimateur-du-soft-power-americain-2e-partie-ces-reseaux-atlantistes-qui-ont-infiltre-l-europe

5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alternative_lib%C3%A9rale

6) https://www.leparisien.fr/international/ukraine-populaires-et-respectes-les-ex-boxeurs-wladimir-et-vitali-klitschko-au-coeur-du-conflit-avec-la-russie-05-02-2022-S7V37JAEIVGTZHFXRZEW2BRUUM.php

7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapha%C3%ABl_Glucksmann

8) https://www.dailymotion.com/video/x8sxyfw et https://www.bfmtv.com/international/guerre-en-ukraine-raphael-glucksmann-appelle-la-france-a-passer-en-mode-economie-de-guerre_AV-202402190353.html

9) Frédéric Lebaron et Pierre Rimbert, « L’Europe martiale, une bombe antisociale », Le Monde diplomatique, mars 2025, p. 3

10) https://www.lefigaro.fr/politique/guerre-en-ukraine-dans-2-3-ans-nous-ne-vivrons-peut-etre-plus-dans-un-continent-en-paix-alerte-raphael-glucksmann-20250214

11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapha%C3%ABl_Glucksmann

12) https://www.trtfrancais.com/actualites/raphael-glucksmann-un-humaniste-a-geometrie-variable-16716479

13) Defranoux, Ouïghours…, op. cit., p. 371

14) p. 192

15) p. 191

16) p. 221

17) p. 180

18) p. 222

19) p. 183

20) ibid.

21) p. 185

22) ibid.

23) ibid.

24) https://www.la-croix.com/international/budget-militaire-combien-depensent-les-etats-unis-la-chine-ou-la-russie-pour-leur-armee-20250214

25) https://www.meretmarine.com/fr/defense/le-troisieme-porte-avions-chinois-debute-ses-essais-en-mer

26) https://fr.statista.com/infographie/24751/classement-des-pays-depenses-militaires-budget-defense/

27) Defranoux, Ouïghours…, op. cit, p. 185

28) https://www.law.hku.hk/academic_staff/professor-richard-cullen/

29) Richard Cullen, “The Untold Truth About Taiwan’s Real Legal Position”, https://fridayeveryday.com/the-untold-truth-about-taiwans-real-legal-position/

30) https://www.polgeonow.com/2019/09/taiwan-recognition-solomon-islands-kiribati.html

31) Cullen, art. cit.

AJOUT DU GRAND SOIR :

Titre de l’article (une charge sans nuance contre moi) de Laurence Defranoux dans Libération.

Douze jours avant cet article public, j’avais reçu d’elle ce mail privé :

« Cher Maxime,

J’espère que vous allez bien et que vous avez pu dormir un peu après notre ferraillage verbal d’hier. En fait, je me suis couchée et réveillée assez bouleversée par notre conversation […]. Je suis heureuse d’avoir enfin compris (enfin je pense) l’objet de votre combat, d’avoir pu voir l’homme derrière la figure médiatique et l’auteur truculent. Je vous découvre humaniste, amoureux des libertés, de la culture. Je comprends que vous vous battez pour contrer les élucubrations que l’on a pu lire ça et là sur l’extermination, la crémation des vivants, le prélèvement d’organes, l’interdiction du ouïghour… ».


Mme Defranoux m’a demandé de ne pas rendre public ce mail. Ce que j’ai fait jusqu’au jour où… Qu’auriez vous fait ?

Maxime Vivas





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