Le 13 mars, au palais de justice de Marseille, l’élu socialiste, adjoint aux sports de la ville, Sébastien Jibrayel partageait le box des prévenus avec son père, l’ancien député Henri Jibrayel, un boxeur président d’association sportive, Mohammed A. et un élu conseiller d’arrondissement, Lyece Choulak.
Tous comparaissaient pour des violences volontaires en réunion entraînant une incapacité totale de travail (ITT) n’excédant pas huit jours.
Après quarante-huit heures de garde à vue, dans le cadre d’une comparution immédiate, l’élu devait s’expliquer sur l’agression, le 18 janvier, de deux militants de La France insoumise (LFI) tabassés par Mohammed A. en sa présence et celle de son père. Comme nous l’avions révélé, selon les images de vidéosurveillance et le témoignage des victimes, Sébastien Jibrayel, loin d’intervenir pour stopper ces violences, a encouragé Mohammed A. à porter les coups sur les deux jeunes hommes.
« Mon client est impatient de pouvoir s’expliquer sur les faits », a lancé l’avocat de Sébastien Jibrayel, Benjamin Liautaud, assurant qu’aucun élément ne mettait en cause son client tout en demandant, néanmoins, un délai pour préparer sa défense. Parmi les quatre prévenus, seul Mohammed A. a reconnu les faits qu’il dit « regretter », demandant à être jugé le jour même.
Le tribunal a décidé de renvoyer l’affaire au 22 mai, et dans l’attente de leur jugement, de placer sous contrôle judiciaire l’ensemble des prévenus qui ont interdiction de rentrer en contact avec les victimes et entre eux. Cette dernière obligation n’étant pas exigée pour Sébastien Jibrayel et son père.
Sans attendre le jugement, à l’issue de cette audience, le maire de Marseille, Benoît Payan (divers gauche), a annoncé « prendre acte des charges retenues par la justice » et « sans préjuger de l’issue de la procédure » et à titre conservatoire, a retiré à Sébastien Jibrayel « sa délégation et l’ensemble de ses responsabilités municipales ».
Le maire rappelle que « l’exemplarité est une ligne de conduite indispensable à l’exercice des mandats publics. Les comportements violents contre les personnes doivent être sanctionnés sans compromis ni arrangements ».
Un boxeur et trois politiques sur le banc
Sans aborder le fond de l’affaire, l’audience de jeudi a néanmoins permis de connaître davantage le profil des mis en cause. Le président Olivier Abram a questionné Sébastien Jibrayel sur son activité, relevant, non sans étonnement, qu’il se présentait en tant que « cadre de l’énergie ». Effectivement, l’élu est toujours employé en CDI, avec deux ou trois jours de mise à disposition par l’entreprise RTE, pour un salaire de 3 000 euros qui s’ajoute à ses indemnités de mandats, de 5 000 euros.
Le président précise également qu’il a été victime récemment d’une agression lors d’une manifestation. Là encore en compagnie de son père. « C’était il y a huit mois », déclare Sébastien Jibrayel, qui a porté plainte pour ces faits, dont il déclare avoir gardé « un traumatisme ».
Au président, qui en déduit que l’élu « compren[d] alors d’autant mieux le traumatisme des victimes » qui ont porté plainte contre lui, impassible et sans même regarder le magistrat, Sébastien Jibrayel répond, presque agressif, « on en reparlera ».
À ses côtés, son père jouit aussi d’une situation financière confortable avec une retraite de 5 000 euros, induite notamment de sa pension en tant qu’ancien parlementaire et « de ses trente-deux ans passés à La Poste », tient-il à préciser. Régulièrement, présent aux côtés de son fils ou dans la permanence politique du XVIe arrondissement, Henri Jibrayel « occupe bien ses journées », ainsi que le note le président.
À ce jour, son casier judiciaire reste vierge, « ce qui peut étonner », commente le magistrat, compte tenu des condamnations de l’ancien parlementaire pour détournement de fonds publics et abus de confiance, en première instance et en appel. L’explication ? C’est que la Cour de cassation doit rendre sa décision à la suite de son pourvoi.
À ses côtés, Lyece Choulak, un ancien médiateur, élu en 2020 et siégeant en tant que conseiller à la métropole, est également chargé de mission pour « étudier les différents rapports avant qu’ils ne passent en commission » au conseil départemental. De multiples casquettes qui lui permettent d’avoir un salaire de plus de 4 000 euros. Le président note qu’il est adjoint à « la jeunesse et à la prévention » pour la mairie de secteur du XVe et XVIe arrondissement, dans les quartiers nord de Marseille.
Enfin, moins bien loti, le boxeur apparaît comme la petite main de ce quatuor, prête à endosser l’ensemble de la responsabilité de l’agression. Avec un salaire de 1 650 euros pour un poste de chef équipement incendie, il explique être en passe de perdre son travail à la suite d’un accident qui l’a rendu inapte. Son casier judiciaire n’est quant à lui pas vierge, déjà condamné en 2019 pour des violences. Il a par ailleurs été convoqué devant le juge en 2024, pour des menaces sur son ex-conjointe.
Au cours des discussions, la question des risques de pression sur les victimes ne semble pas faire débat. Mais, ils pourraient se révéler plus importants entre les prévenus eux-mêmes. Si Mohammed A. a porté les coups, qui est venu le chercher pour le faire ? Qui l’a encouragé à le faire ? Et à quel point acceptera-t-il d’en endosser la responsabilité ?
Malgré la reconnaissance des faits et les regrets de Mohammed A., le procureur, Nicolas Ruby, s’oppose à le juger le jour même sans ses acolytes, ainsi qu’il le souhaite. « Il y a une scène unique de violence dans un contexte particulier et le tribunal aura à se prononcer sur le rôle des uns et des autres, sur les ordres et les pressions, explique le procureur. Il n’est pas envisageable de séparer les uns des autres. »