Pourquoi la loi anti-fast-fashion est retardée


14 mars 2025 à 10h27

Mis à jour le 14 mars 2025 à 11h08

Durée de lecture : 6 minutes

Mise à jour : le 14 mars 2025, la députée Anne-Cécile Violland a annoncé que la loi avait été remise au calendrier du Sénat, le 19 mai.


C’est une disparition inquiétante. Un an après son adoption à l’unanimité par les députés, la proposition de loi visant à réduire les effets environnementaux de l’industrie textile — dite « anti-fast-fashion »n’est toujours pas passée devant les sénateurs. Le texte prévoit notamment des amendes pour pénaliser les produits extrêmement polluants, de récompenser les entreprises vertueuses et d’interdire la publicité pour « l’ultra-fast-fashion ». Alors que le Sénat devait l’examiner à partir du 26 mars, la proposition de loi ne figure finalement pas à l’agenda et le gouvernement ne l’a pas inscrite à l’ordre du jour du Palais Bourbon. Où est-elle passée ?

Ce retard s’explique par de multiples causes, dont la frilosité du gouvernement et le lobbying des marques de « mode jetable » type Shein, qui a embauché d’anciennes figures politiques comme Christophe Castaner.

La coalition Stop fast-fashion, à laquelle participent Les Amis de la Terre, Emmaüs France et six autres ONG, compte bien la faire sortir des tiroirs. Elles ont déposé 10 tonnes de déchets textiles devant le Sénat vendredi 14 mars au matin. « On a besoin d’une image forte pour interpeller les pouvoirs publics, cette loi qui serait une première mondiale permettrait de lutter contre un système de production délétère, à la fois pour la santé des travailleurs et l’environnement », indique Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France. Il rappelle qu’« avec 150 milliards de vêtements produits chaque année, l’industrie textile mondialisée représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, c’est plus que le trafic aérien et maritime réuni ».

Shein mobilise ses réseaux

Le texte, porté par la députée (Horizons) Anne-Cécile Violland et soutenu par Christophe Béchu puis Agnès Pannier-Runacher — actuelle ministre de la Transition écologique — semblait pourtant faire consensus. « C’est les montagnes russes, l’examen par les députés est allé très vite, mais la dissolution de l’Assemblée nationale puis la chute du gouvernement Barnier a ralenti le processus », constate Tarek Daher.

Selon Jacques Fernique, sénateur écologiste du Haut-Rhin, c’est surtout « au niveau de Matignon que ça coinçait. François Bayrou estime que la loi n’offrirait pas de gain politique car elle intéresserait seulement les bobos parisiens ». Après une réunion ministérielle mercredi 12 mars, le Premier ministre aurait changé d’avis. « La situation se profile mieux, si tout va bien, la proposition de loi anti-fast-fashion devrait être inscrite à l’ordre du jour au Sénat fin mai, l’objectif est qu’elle soit votée avant l’été », précise le sénateur.

Le retard dans le calendrier pourrait aussi être lié aux pressions des industriels de la « fast-fashion ». On a ainsi vu Christophe Castaner (ministre de l’Intérieur entre 2018 et 2020), embauché par Shein, défendre la marque dans les médias, bien qu’il se défende d’avoir été embauché pour faire du lobbying.

En janvier, l’ancien ministre s’est, par exemple, opposé à la création d’une taxe visant à freiner Shein. Selon lui, « on est en train d’inventer une TVA sur les produits des plus pauvres ». Une initiative qu’il estime « assez dégueulasse ».

Le géant chinois a aussi recruté Nicole Guedj (secrétaire d’État aux Droits des victimes sous la présidence de Jacques Chirac) ainsi que l’ex-patron de la Fédération française des assurances, Bernard Spitz, en décembre 2024. Leurs postes : conseillers au sein du comité de responsabilité sociétale de Shein.

Le média spécialisé dans la seconde-main cm-cm a révélé que l’entreprise chinoise avait aussi contacté plusieurs députés lors de l’examen du texte en mars 2024 pour leur proposer une rencontre avec le directeur des affaires publiques de la marque, dans le cadre des débats sur la « fast-fashion ».

Le jeu d’équilibriste des marques françaises

Le groupe Shein n’est pas le seul à scruter la proposition de loi anti-fast-fashion. Plusieurs enseignes françaises ont intérêt à ralentir le processus d’adoption. Objectif : réduire son périmètre d’application. « À l’origine, le texte devait viser des marques d’ultra fast fashion étrangères comme Shein ou Temu, indique Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre. Mais la loi pourrait finalement concerner des marques françaises comme Decathlon ou Kiabi. » C’est un jeu d’équilibriste : faire en sorte que la loi soit sévère pour les géants étrangers mais qu’elle ne s’applique pas au secteur français.

Pour savoir qui sera ciblé, tout va dépendre du seuil sur le nombre de références proposées chaque jour par les marques sur les sites. Alors que Shein proposerait 8 000 références nouvelles par jour selon ses détracteurs, il est difficile de connaître le nombre pour Decathlon par exemple. « La coalition Stop fast-fashion plaide pour un seuil de 10 000 références par an qui soit fixé directement dans la loi et non pas dans un décret afin d’éviter que l’ambition ne soit réduite par la suite », explique Pierre Condamine.

Second élément qui inquiète le secteur de l’habillement français : la mise en place d’un bonus malus fondé sur l’affichage environnemental textile. Des pénalités financières seront appliquées aux vêtements à fortes conséquences environnementales. Ce bonus sera calculé à partir de plusieurs critères comme les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’eau nécessaires pour la production du vêtement mais aussi sa durabilité. Il s’agit ici du nombre de références commercialisées, la durée de commercialisation moyenne d’une pièce, ou encore le fait d’inciter le consommateur à réparer et prendre soin du produit.

Enfin, un autre secteur de la mode qui n’a pas intérêt à ce que la loi anti-fast-fashion soit trop sévère envers Shein et Temu est le secteur du luxe, présume Pierre Condamine. « On peut supposer que les groupes de luxe comme LVMH qui ont beaucoup de clients en Chine ne veulent pas voir en retour des mesures de rétorsion de la Chine contre leurs produits. »

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