Au procès du « Point », Raquel Garrido et Alexis Corbière accusent une dérive « systémique »


Presque trois ans après les faits, Raquel Garrido est encore très émue quand elle raconte l’affaire du faux scoop du Point et ses répercussions. Vendredi 14 mars, à la barre du tribunal correctionnel de Paris – où s’est ouvert le procès de l’hebdomadaire, poursuivi pour diffamation publique par le couple qu’elle forme avec Alexis Corbière –, elle n’a pu contenir quelques larmes, comme son conjoint.

Pour faire la démonstration des mensonges contenus dans l’article paru en juin 2022 sous le titre « L’employée sans-papiers de Raquel Garrido et Alexis Corbière », les accusant de maltraiter une femme de ménage sans-papiers, les démentis n’ont pas suffi. Il a fallu des contre-enquêtes, dont celle de Mediapart.

« On a tout montré parce qu’on n’avait pas le choix, il fallait donner des éléments factuels pour répondre à cette ignominie. Mais il a fallu qu’on sacrifie la vie privée de nos enfants. C’est un arbitrage qui est très difficile », raconte-t-elle en se remémorant l’immense chamboulement provoqué par cette publication, qui imputait aussi au couple un contournement de la carte scolaire.

Alexis Corbière et Raquel Garrido le 14 mars au tribunal de Paris. © Photo Thomas Samson / AFP

« J’étais encore naïf, je me disais que ça ne pouvait pas venir d’un grand hebdomadaire comme Le Point. On était abasourdis. À ce moment-là, vous ne trouvez pas d’amis. On se retrouve isolés, humiliés », a relaté un peu plus tard Alexis Corbière.

Le scandale poursuit sur son erre

L’article du journaliste Aziz Zemouri, qui a quitté la rédaction depuis, avait été largement diffusé sur les réseaux sociaux avec le surtitre « Exclusif » et repris massivement par les adversaires politiques du couple. Raquel Garrido et Alexis Corbière venaient alors tout juste d’être élu·es député·es.

À peine 24 heures après sa diffusion, le directeur du Point Étienne Gernelle avait annoncé sa suppression. Une décision exceptionnelle qu’il avait justifiée par des « vérifications complémentaires » révélant des « erreurs et manquements à la prudence ». Il avait présenté ses « excuses plates et sincères » à Raquel Garrido et Alexis Corbière.

Trois ans plus tard, sur le réseau social X, « ça n’a pas disparu », rapporte Raquel Garrido, qui dit encore recevoir régulièrement des messages lui intimant de « payer [s]a femme de ménage ». Mais ni le directeur de la publication du Point ni Aziz Zemouri n’avaient fait le déplacement à l’audience vendredi.

Je crains un peu qu’on finisse gouvernés par des mythocrates. Le dernier rempart contre eux, ce sont les journalistes qui font leur travail.

Raquel Garrido

Raquel Garrido s’est dite « blessée » par cette absence, notamment celle d’Étienne Gernelle qui, en tant que directeur de la publication, est « le prévenu pour le délit principal ». Alexis Corbière a choisi d’ironiser à ce sujet en raillant la ligne éditoriale de l’hebdomadaire : « Quand on défend le patronat, on se comporte comme un patron jusqu’au bout, même face aux difficultés. »

Tout au long de leurs interventions, les époux ont insisté sur le discrédit jeté non seulement sur Le Point mais plus généralement sur le métier de journaliste lorsque de telles enquêtes sont publiées, en tordant la déontologie. « Je crains un peu qu’on finisse gouvernés par des mythocrates, en mythocratie. Le dernier rempart contre eux, ce sont les journalistes qui font leur travail », a déclaré Raquel Garrido.

Alexis Corbière a rappelé que Le Point, propriété du milliardaire François Pinault, reçoit chaque année une coquette somme de subventions publiques. « C’est donc un débat d’intérêt général. La presse de qualité est un droit que les citoyens doivent défendre », a-t-il observé. Pour le couple, le peu d’efforts faits par la direction du Point pour vérifier les informations de son journaliste s’inscrit dans la « trumpisation du débat public ».

Une « fabrique du faux »

L’avocat du couple, Me Xavier Sauvignet, partage cette analyse : « Pour Le Point, à gauche, il y a toujours un côté cour et un côté jardin. C’est leur lecture du monde et dès qu’un article la sert, comme ici avec ce scandale absolu, c’est du pain bénit pour la direction. Cela valide une orientation idéologique. » « C’est l’aspect systémique de cette rédaction », a critiqué Alexis Corbière, taclant aussi la « course au buzz » dans laquelle s’inscrit l’hebdomadaire. 

Me Xavier Sauvignet a dénoncé « une enquête avec une source unique, frelatée, qui arrive dans un calendrier suspect, où le contradictoire a été une farce », et réclamé aux prévenus 30 000 euros au titre du préjudice et 8 000 euros au titre des frais de justice.

L’information était terriblement fausse.

Renaud Le Guhenec, avocat du « Point »

Dans cette affaire, Aziz Zemouri a, selon les mots d’Étienne Gernelle, fait l’objet d’un « enfumage externe ». Libération a révélé l’implication de l’ex-policier Noam Anouar et de l’entourage de Jean-Christophe Lagarde (UDI). Aziz Zemouri a déposé plainte à ce sujet, une enquête est ouverte.

Son avocat, Me David-Olivier Kaminski, a défendu sa bonne foi, estimant qu’il n’y avait vu « que du feu » : « Si on doit faire l’anatomie de cette affaire, c’est une fabrique du faux, de la manipulation, de la manœuvre frauduleuse. C’est ce qui est totalement inédit. Même les meilleurs se font avoir. »

Mais comme l’a relaté Mediapart, l’« accident industriel » de ce faux scoop n’est pas isolé : les archives du Point montrent les très nombreuses informations erronées publiées par Aziz Zemouri, mais aussi par d’autres journalistes de cette rédaction, et presque jamais modifiées.

Dans son plaidoyer, l’avocat du Point, Me Renaud Le Gunehec, a fait le dos rond face à ce qu’il qualifie d’« accident journalistique lourd ». « J’attendais cette audience avec une certaine résignation depuis deux ans et demi », a-t-il dit.

« L’exercice est peu banal et très peu confortable, il oblige à beaucoup de modestie. L’information était terriblement fausse. Personne ne contesterait qu’elle fût diffamatoire. Elle a été retirée en moins de 24 heures avec des excuses, des mots dénués d’ambiguïté », a-t-il ajouté, avant de conclure en souhaitant que la 17e chambre délibère en faisant « abstraction de certains éléments de décorum ». L’avocat n’a guère goûté les allusions à Trump.

« Y a-t-il eu un manquement à la prudence, et une enquête insuffisamment sérieuse ? » C’est à cette question que, selon le procureur Hervé Tétier, les juges doivent désormais répondre. Il a requis de condamner Aziz Zemouri et le directeur du Point, sans préciser à quelle peine. Le délibéré sera rendu le 12 mai.



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