« Quand j’ai vu que d’autres malades vivaient la même chose que moi, je me suis rendu compte que je n’étais pas folle, se souvient Céline Lesprit, porte-parole de l’association AprèsJ20 [1], à propos des débuts de son Covid long. Les médecins mettaient ma parole en doute. C’était très dur à vivre. » Depuis, la Haute autorité de santé (HAS) a fini par reconnaître le Covid long comme une maladie. Mais, cinq ans après le début de la pandémie, le virus circule toujours et les personnes atteintes de sa forme longue — des millions de concernés — en sont toujours à réclamer une meilleure prise en charge de la maladie et une communication auprès du grand public.
Après avoir contracté le Covid-19 en mars 2020, Céline Lesprit a rejoint, comme de nombreuses autres personnes, un groupe Facebook de malades subissant encore des symptômes du virus, des semaines après leur contamination. Douleurs et problèmes neurologiques, articulaires et digestifs, malaises post-effort pouvant aussi l’obliger à rester allongée pendant plusieurs jours : sa santé est depuis profondément marquée. De ce groupe, elle est passée à AprèsJ20, une association de malades qui a pour but de faire connaître le Covid long.
Des cartes postales pour le ministre
« On travaille autour de quatre piliers, explique Céline Lesprit : la reconnaissance du Covid long, la recherche, le traitement de la maladie et la communication. » Les militants ont notamment organisé l’interpellation du ministre de la Santé, Yannick Neuder, à l’occasion de la journée de sensibilisation au Covid long, le 15 mars, en envoyant des cartes postales avec leurs témoignages et leurs attentes vis-à-vis du gouvernement.
AprèsJ20 fait partie d’une myriade de collectifs qui se sont constitués à partir des réseaux sociaux au début de la pandémie. « Il y avait une double volonté : celle de réussir à se protéger et celle d’alerter la population sur les effets du Covid », explique Solenn Tanguy, présidente de l’association Winslow santé publique. Elle aussi a d’abord rejoint des collectifs de malades avant de créer cette association en 2022, dans le but de gagner en légitimité et de pouvoir se mobiliser collectivement.
Winslow santé publique s’est spécialisée dans la lutte contre les fausses informations sur le virus et contre l’invisibilisation de la maladie. Car malgré sa reconnaissance par la HAS le 12 février 2021, les associations dénoncent la persistance des manques de prévention, de prise en charge et de recherche.
« Quand on parle de Covid, on ne nous répond pas »
En 2022 pourtant, une loi avait été votée à l’unanimité pour permettre la création d’une plateforme de suivi des malades chroniques du Covid-19. Trois ans plus tard, cette plateforme n’a toujours pas vu le jour. Elle permettrait pourtant de comptabiliser les malades et de les informer si un traitement était trouvé un jour. « Si l’État n’a pas de chiffres, il n’a pas de raison d’augmenter le budget consacré au Covid long », ajoute Priscilla Ribeiro, présidente de l’association Covid Long Solidarité.
Cette organisation a saisi le Conseil d’État en octobre 2024 pour demander l’application de la loi. « Le gouvernement nous a répondu fin février. Il juge inutile de créer la plateforme puisque le site Santé.fr et les fiches de la HAS existent déjà », raconte Priscilla Ribeiro. Un renoncement inacceptable pour l’association, qui se prépare à contester cette réponse devant la juridiction administrative suprême.
« On aimerait obtenir des rendez-vous avec le gouvernement. Mais quand on parle de Covid, on ne nous répond pas. C’est un sujet tabou », dit Solenn Tanguy. « Dans ces conditions, il est difficile d’agir », poursuit la présidente de Winslow Santé Publique.
Errance médicale
« Avec le Covid long, il y a un vrai souci : les patients ne sont pas pris en charge, ils se retrouvent à errer médicalement », se désole Solenn Tanguy. Céline Lesprit témoigne : « On me disait que les examens étaient normaux, que c’était sûrement dans ma tête. Les médecins n’avaient jamais entendu parler de symptômes persistants. »
Un constat que partagent partout les patients atteints du Covid long : il manque des professionnels de santé formés. « Personnellement, je suis suivie à Colmar par la référente du Covid long en Alsace. Le délai d’attente pour avoir un rendez-vous, c’est un an et demi. Pourtant, la HAS préconise une prise en charge la plus précoce possible », relate Céline Lesprit.
« Il existe seulement trois spécialistes en France », selon l’estimation de Solenn Tanguy, et trop peu de structures dédiées. Ce qui pousse les malades à se tourner vers les associations pour être orientés. « Cela nous évite de perdre du temps et surtout de l’énergie », dit ainsi Antoine, malade depuis début 2025.
Le cas des enfants
Le cas des enfants atteints du Covid long est encore plus préoccupant, avec un nombre de pédiatres formés extrêmement réduit. Beaucoup se font soigner à l’étranger. Isabelle Leibl, cofondatrice de l’association Covid long enfants (CLE), témoigne : « Mes deux filles malades sont suivies en Italie et en France. »
Avec son association, elle réalise un travail de relai d’informations auprès des familles. Elle les soutient, notamment dans les procédures judiciaires souvent entamées par les écoles pour absentéisme scolaire des enfants malades. « On envoie des courriers aux établissements scolaires et aux médecins en leur mettant des études scientifiques sur le Covid long chez les enfants pour que la maladie soit reconnue », détaille Isabelle Leibl.
Mais ce n’est pas tout : le CLE participe également à l’information des médecins sur le sujet. « Nous travaillons avec la HAS depuis septembre à l’écriture de recommandations concernant le parcours de soin du Covid long chez les enfants », dit cette engagée.
Elle aussi a tenté d’agir auprès de l’État, mais l’instabilité gouvernementale, en plus de leur non-priorisation, s’est mise sur leur chemin. « On avait rendez-vous le 26 juin dernier avec la ministre de l’Éducation nationale [à l’époque, Nicole Belloubet] mais il a été annulé quand l’Assemblée nationale a été dissoute. Depuis, on a refait notre demande. On n’a toujours pas eu de réponse », raconte Isabelle Leibl.
Un système médical à la traîne
Sophie, malade depuis 2020, constate également le manque de formation des professionnels de santé : « Parfois, c’est moi qui apprends aux médecins ce que j’ai », dit-elle. Le Covid-19 a poussé à l’apparition de patients-experts, ces malades de pathologies rares ou peu connues qui en développent des connaissances importantes.
Une position particulière étudié par la sociologue de la santé Béatrice Jacques : « Ils sont experts dans le sens où ils ont développé une expérience de la vie quotidienne avec la maladie. Ils ont acquis un savoir expérientiel dessus. Mais pas seulement. Ils ont des connaissances scientifiques car ils sont très informés. Parfois, ils en savent plus ou tout autant que le professionnel de santé. » Pour la sociologue, leur savoir est fondamental et peut améliorer le parcours de soin des patients.
« On est souvent face à des patients qui veulent en finir »
C’est autant pour partager ces expériences communes que pour comprendre leur maladie que ces patients discutent entre eux. Mettre des mots sur ce qui leur arrive est quelque chose de « vital », défend Céline Lesprit.
Pour les malades, avoir ces lieux d’échange est primordial, d’autant plus que la maladie les fatigue, incapacitant leur lutte. « On est souvent face à des patients qui veulent en finir », relate Priscilla Ribeiro. « Ça apporte du positif dans cette maladie où l’on se retrouve seul », dit Antoine, lui aussi atteint d’un Covid long. Une respiration essentielle, qui permet de continuer à lutter contre un mal encore méconnu.
COVID LONG : QUE DIT LA SCIENCE ?
Reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Covid long — un terme forgé par les malades eux-mêmes — est une pathologie qui « survient chez des personnes présentant des antécédents d’infection probable ou confirmée par le SARS-CoV-2, généralement 3 mois après l’apparition de la COVID-19 avec des symptômes qui persistent au moins 2 mois et qui ne peuvent être expliqués par un autre diagnostic », selon sa définition publiée en 2021.
Les symptômes du Covid long sont nombreux, diffèrent et fluctuent selon l’évolution de la maladie. Les plus répandus retenus par l’OMS sont la fatigue intense, l’essoufflement et les difficultés respiratoires, les problèmes de mémoire, de concentration et de sommeil, la toux persistante, les douleurs thoraciques, les difficultés d’élocution, les douleurs musculaires, la perte de l’odorat et du goût, la dépression et l’anxiété, ainsi que la fièvre. Les troubles digestifs, les acouphènes et les malaises post-effort sont également des symptômes décrits par les malades et objectivés par la recherche.
Selon les recherches, 10 à 20 % des patients qui ont contracté le Covid-19 développent une forme longue de la maladie. Les recherches sur les causes du développement du Covid long sont précoces et ne permettent pas de les déterminer avec certitude. Plusieurs hypothèses ont été faites : la persistance de SARS-CoV-2 dans le corps ; la présence d’une inflammation chronique ; des anomalies du microbiote intestinal ou du système nerveux ; une inflammation des vaisseaux sanguins.
Concernant les traitements, il n’en existe pas d’universel pour le moment. Les douleurs des malades peuvent toutefois être traitées symptomatiquement. Sur la guérison, les études sont rares. Une étude publiée dans la revue Nature Medecine en 2024 indique que « seulement 7 à 10 % des patients sont complètement guéris deux ans après ».
En France, une étude a récemment été lancée pour comprendre et mesurer les effets du Covid long chez les adultes. Une cohorte de patients atteints du Covid long est également en cours d’étude depuis 2020, au sein de ComPaRe (Communauté de Patients pour la Recherche).
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