L’impact de ce fiasco se fait encore sentir aujourd’hui, avec de nombreuses questions sur la poursuite de l’aide américaine et le partage de renseignements avec Kiev, en attendant que le dirigeant ukrainien signe un accord sur les minerais contre la sécurité, approuvé par la Maison Blanche.
Qualifiant la rencontre catastrophique d’« embuscade », Ash a déclaré que Trump et son adjoint J.D. Vance ont « très clairement signifié » que l’alliance militaire a pour ainsi dire rendu l’âme et qu’il n’y a aucun espoir qu’elle se rétablisse. Il a noté que d’autres commentaires faits par le président américain lors de la réunion du Bureau ovale suggèrent la réticence évidente de Washington à intervenir militairement pour protéger les États baltes s’ils finissent par entrer en guerre avec la Russie, violant ainsi l’article 5 de l’OTAN :
« Il doit désormais être parfaitement clair pour les dirigeants européens que l’OTAN est bel et bien morte, que nous ne pouvons plus compter sur les garanties de sécurité des États-Unis, car ils nous l’ont bien fait comprendre. L’OTAN est déjà plus ou moins finie. Le simple fait de douter de la volonté des États-Unis de soutenir certains pays de l’OTAN en dit long. Nous ne pouvons plus compter sur les Américains. Nous devons aller de l’avant, penser à nos propres intérêts nationaux, à notre propre sécurité, car la période de transition s’annonce très difficile ».
L’analyse d’Ash est manifestement partagée par les dirigeants européens. Un jour plus tard, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un plan de 800 milliards d’euros pour « réarmer » le bloc. De nombreux chefs d’État membres auraient largement « approuvé » le plan, qui appelle l’Europe à
« renforcer sa souveraineté, à mieux assumer sa propre défense et à se doter des moyens d’agir et de faire face de manière autonome aux défis et menaces immédiats et futurs ».
Néanmoins, les sondages indiquent que les citoyens européens s’opposent à l’augmentation des dépenses de défense, et les entreprises contractantes préviennent que la réalisation de ce grand projet « prendra du temps ».
Si l’OTAN est vraiment moribonde, c’est un clou de plus dans le cercueil de l’Empire qui méritait de l’être depuis longtemps. C’est aussi la confirmation que l’ordre unipolaire dominé par les États-Unis, responsable de tant de morts, de destructions et de souffrances au cours du dernier quart de siècle, est bel et bien révolu et ne réapparaîtra jamais. Les habitants du sud peuvent pousser un soupir de soulagement collectif — tandis que, ironie amère, les mêmes États occidentaux qui ont aidé et encouragé l’hégémonie incontestée de Washington se retrouvent aujourd’hui démunis.
« Brigade anti-émeute »
Le monde unipolaire a été conçu lors du baptême incendiaire d’attaques aériennes et de campagnes de propagande atroces en Yougoslavie, de mars à juin 1999. L’OTAN a bombardé sans relâche les infrastructures civiles, gouvernementales et industrielles de tout le pays pendant 78 jours consécutifs, tuant un nombre incalculable de personnes innocentes, y compris des enfants, et bouleversant brutalement la vie quotidienne de millions de personnes. Alors que les États-Unis supervisaient cette campagne ruineuse, en public comme en privé, le Premier ministre britannique Tony Blair s’est fait l’ardent défenseur d’une belligérance encore plus agressive contre des cibles non militaires, malgré les préoccupations et les avertissements des conseillers juridiques du gouvernement
.
Là encore, l’attaque de l’OTAN était en soi totalement illégale, menée sans l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies. Une telle intervention aurait été impensable au cours de la décennie précédente. Tout au long des années 1990, Washington a soigneusement construit l’utopie d’un monde uni derrière le leadership américain en s’assurant le soutien de l’ONU pour chacune de ses interventions impérialistes déclarées à travers le monde. Le bombardement de la Yougoslavie a représenté la rupture sans précédent et très controversée avec cette stratégie, destinée à faire figure d’exemple par la suite.
Un article étrangement prémonitoire du New Statesman d’avril 1999 notait que le bombardement non autorisé de l’OTAN n’était pas un « cas isolé », mais « juste l’amorce » d’un « monde meilleur » dans lequel l’alliance militaire agirait de manière autonome comme une sorte de « brigade anti-émeute » à l’échelle mondiale. Selon ce scénario, chaque fois que la Chine et/ou la Russie seraient susceptibles d’utiliser leur droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer une intervention américaine à l’étranger, l’OTAN invoquerait simplement la clause d’autodéfense de la Charte des Nations Unies pour frapper quand et où ses membres perçoivent une « menace », sans se soucier du droit international :
« La menace tient moins aux chars de combat qu’à la crainte d’un afflux massif de réfugiés, du terrorisme et des armes de destruction massive : des sacs de spores d’anthrax ou des fioles de gaz neurotoxiques invisibles, impossibles à vérifier et dont l’existence peut être ou non avérée. Mais tant qu’on aura affaire à des États voyous hostiles à l’Occident et situés à proximité de réserves de pétrole, les États-Unis seront prêts à affronter la menace ».
Comme le prophétisait à juste titre le New Statesman, les implications de ce changement de paradigme étaient « colossales », avec « un potentiel de sape de l’ensemble du système de sécurité international d’après-guerre » et de subversion irrémédiable de la « légitimité de l’ONU ». Le média a ensuite relaté comment les membres de longue date de l’OTAN ont été contraints d’accepter « le principe des opérations hors zone », par crainte que « les États-Unis ne concluent unilatéralement leurs propres accords militaires avec les États d’Europe de l’Est » en dehors du « cadre » établi par l’alliance militaire en cas de résistance.
En échange de leur rôle de larbins dévoués et dociles de l’Empire, pour la protection des intérêts économiques américains à l’étranger et de l’achat de tous les équipements militaires de Washington, à des prix exorbitants et à peine opérationnels, les gouvernements européens se sont vu conférer un sentiment d’invincibilité grâce à l’article 5 de l’OTAN. Pendant ce temps, leurs armées et leurs infrastructures industrielles mouraient à petit feu, avec l’illusion que les États-Unis et leurs nouveaux alliés viendraient à leur rescousse, se battraient à leur place et mourraient pour eux s’ils étaient attaqués. Comme l’écrivait George Soros en novembre 1993 :
« Avec l’OTAN, les États-Unis ne seraient pas appelés à jouer les gendarmes du monde. L’OTAN agirait en collaboration avec d’autres… La combinaison des effectifs de l’Europe de l’Est et des capacités techniques de l’OTAN renforcerait considérablement le potentiel militaire… en réduisant le risque de pertes humaines pour les pays de l’OTAN, principal frein à leur volonté d’agir ».
« Des affaires en or »
La guerre par procuration en Ukraine a illustré les conséquences suicidaires d’un monde unipolaire. Malgré la détermination de l’administration Trump à mettre fin au conflit, les dirigeants européens ne montrent aucun signe de fléchissement, s’efforçant désespérément de combler le vaste déficit d’aide financière et militaire soudainement provoqué par l’arrêt de l’aide de Washington. Jusqu’à présent, aucune solution crédible à l’écart criant entre rhétorique et réalité n’a été proposée. Même les dirigeants ukrainiens admettent que « personne ne peut remplacer les États-Unis en matière de soutien militaire ».
Ce décalage dangereux a été largement évoqué dans l’interview de Timothy Ash accordée à Bloomberg. Malgré ses appels urgents aux gouvernements européens à prendre pleinement conscience « qu’ils ne peuvent plus compter sur les Américains », il a reconnu que l’Europe fait face à de graves difficultés en matière de « production d’armement » et que « nous dépendons des Américains » pour fournir aux Ukrainiens la technologie nécessaire à la poursuite de la guerre par procuration. Ash a suggéré que l’Europe mette simplement en commun ses « liquidités » pour financer l’achat des armes nécessaires à l’Ukraine :
« Je ne pense pas que ce soit au-dessus de nos capacités de mettre en place un programme de financement… nous avons encore 330 milliards de dollars d’actifs russes sur nos comptes bancaires et nos gouvernements n’ont rien fait… Nous devrions faire des propositions aux Américains… Trump aime les gros contrats juteux, nous devrions aller voir les Yankees et leur dire : ‘Nous voulons nous engager sur une période de dix ans à vous acheter pour 500 milliards de dollars à un billion de vos systèmes’… Trump ne dirait pas non ».
Trump est peut-être friand de « gros contrats juteux » mais Ash estime que Washington a la capacité de fournir tout ce qu’il faut à l’Europe, quels que soient les enjeux financiers. Selon les conclusions d’une enquête menée en juillet 2024 par RAND, financé par le Pentagone, les quantités « astronomiques » de munitions, de véhicules et d’armes fabriqués aux États-Unis et destinés à la guerre par procuration ont déjà épuisé les stocks existants du pays. Cette situation, associée à une « capacité de production de défense » dévastée, signifie que les États-Unis sont « dans l’incapacité de répondre » à leurs propres besoins en « équipements, technologies et munitions », et encore moins de subvenir aux besoins de leurs alliés.
Les conclusions alarmantes de RAND ont été reprises le 3 mars par Mike Waltz, conseiller à la Sécurité nationale de la Maison-Blanche. En reprochant à Zelensky de ne pas accepter le plan de paix de Trump, il a averti que
« le moment est venu de négocier » car « les stocks et les munitions des États-Unis ne sont pas éternels ».
Ce message sans ambiguïté n’a apparemment pas été entendu à Bruxelles, Paris et Londres, où des plans déments visant à stopper l’avancée inexorable de la Russie sur le champ de bataille continuent d’être annoncés jour après jour. Les dirigeants européens estiment peut-être que l’OTAN et le monde unipolaire dont elle était le garant peuvent être ressuscités, avec leurs propres leaders aux commandes ?
Article original en anglais : Collapsing Empire: ‘NATO is Dead’, Kit Klarenberg.com, le 12 mars 2025.
Traduction : Spirit of Free Speech